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Abandonné par Natation Canada, Philippe Guertin réfléchit à son avenir

le vendredi 08 décembre 2017
Modifié à 16 h 46 min le 08 décembre 2017
EAU LIBRE. S’estimant lésé par des décisions de Natation Canada et étant privé d'un brevet de financement pour la prochaine année de compétition, le nageur en eau libre Philippe Guertin réfléchit actuellement à son avenir sportif. Médaillé d'argent à la dernière Traversée du Lac Saint-Jean de 32 km et gagnant du 10 km FINA du même événement en 2016, Guertin bénéficiait d'un brevet monétaire depuis 2014-2015 comme athlète international. Ce brevet lui valait 1500$ par mois, soit 18 000$ annuellement, une nécessité dans une discipline où il faut nager à l'étranger en saison hivernale. Toujours performant malgré une fracture à une main survenue en compétition et ayant nécessité une chirurgie en 2015, Guertin s'était qualifié pour les Mondiaux FINA en Hongrie – présentés aux quatre ans – en juillet 2017, grâce à une victoire nette au 10 km du Lac Saint-Jean de 2016. Il s'entraînait pour les épreuves de 10 et de 25 km des Mondiaux, où il visait le podium – lui qui avait terminé 9e du 25 km en 2013 à Barcelone. Mais l'arrivée d'un nouveau responsable de la nage en eau libre et des longues distances en piscine à Natation Canada, Mark Perry, a changé la donne. De nouveaux critères problématiques Lors de sa nomination en novembre 2016, Mark Perry avait souligné la forte tradition d'eau libre au Québec. Mais cette tradition est rapidement devenue obsolète. Le 10 km, seule épreuve présentée aux Jeux olympiques, est devenu le seul type d'épreuve à surveiller, avec le 5 km. En mars 2017, à son septième mois d’entraînement, Guertin a ainsi appris qu'il ne pourrait pas nager le 25 km des Mondiaux. Les nouveaux critères à remplir pour les brevets de 2017-2018 devenaient aussi plus restrictifs pour les deux meilleurs athlètes du pays, Richard Weinberger, de la Colombie-Britannique, médaillé de bronze des Jeux olympiques de 2012, et Guertin. Dans un sport où les conditions d'eau et de stratégies sont imprévisibles, les deux devaient obtenir un top 16 parmi les 65 nageurs du 10 km des Mondiaux. Guertin, par son statut d'athlète étudiant, avait une 2e chance: réussir un podium au 10 km des Universiades de Taipei, en Asie. Le destin a joué contre eux. En Hongrie, les deux Canadiens étaient au cœur d'un peloton très regroupé d'une trentaine d'athlètes. Les dépassements devenant impossibles, ils ont terminé 23e et 28e, à moins de 45 secondes du vainqueur. Du 12e au 29e rang, il y avait moins de 12 secondes d'écart. La 2e chance de Guertin devait avoir lieu trois semaines après son épique 2e place au 32 km du Lac Saint-Jean. Mais en raison de l'eau trop chaude et des risques d'hyperthermie des athlètes à Taipei, Mark Perry, tout comme les responsables des nageurs américains, anglais et australiens, a pris la décision de retirer ses athlètes de la compétition. L'entourage de Guertin s'était fait dire par Perry qu'en raison de ces circonstances exceptionnelles, il tenterait de faire réviser les critères de brevet. Trois semaines plus tard, le nageur recevait un bref courriel lui annonçant que son brevet ne serait pas reconduit. Aucun autre détail. Le même jour, Weinberger annonçait la même déveine sur Facebook. Incompréhension pour Guertin «J'ai espéré, mais je n'en étais pas à une promesse ou explication illogique près, raconte Philippe Guertin au Courrier du Sud. Mes parents, qui m'ont toujours soutenu, étaient abattus. La Traversée et les longues distances ne sont pas importantes pour Natation Canada. J'avais de réelles chances de médaille aux Mondiaux 25 km, mais seuls le 10 km et le 5 km comptaient pour le brevet, déplore-t-il. J'aurais pu faire le 25 km trois jours après le 10, mais pour des raisons de logistique douteuses, je n'ai pas pu. Pourtant, plusieurs des meilleurs nageurs mondiaux du 10 km sont passés par le 25 km. Je travaillais de façon exemplaire, j'étais de plus en plus fort. C'est frustrant de me faire barrer la route comme ça.» «Mark Perry et/ou son coordonnateur John Atkinson ont choisi de former des jeunes issus du 1500 mètres en piscine pour l'eau libre, où ça joue dur, poursuit-il. Ma main cassée sur une bouée en Coupe du monde alors que j'étais près de la tête en 2015 avait mis fin à mon rêve des Jeux olympiques de 2016. Je suis revenu si fort pour ça… Il y a des invraisemblances dans tout ça.» Contradictions dans l'obtention des brevets Des invraisemblances, nous en avons constaté quand nous avons demandé des entrevues à Sport Canada et Natation Canada. Sport Canada a décliné notre demande d'entrevue, ne répondant qu'à des questions par écrit. Impossible de savoir si le 25 km peut être considéré dans l'obtention d'un brevet – même si le 5 km, discipline non olympique, l’a été aux Mondiaux. On nous a référés à Natation Canada. À Natation Canada, deux personnes différentes, dont le directeur général Ahmed El Awadi, nous ont affirmé que Guertin n'a pas obtenu son brevet parce qu'il avait raté ses trois chances d'obtention, admettant plus tard l'annulation des Universiades. M. Awadi nous a invités à constater les critères sur le site web. Vérification faite, Guertin n’a bel et bien eu qu'une seule chance, celle de Hongrie, difficilement réalisable. Brevet pour l'un, pas pour l'autre? Contre toute attente, le directeur général de Natation Canada a indiqué au journal que Richard Weinberger avait obtenu son brevet sans demande de révision grâce à sa participation au 10 km de Roberval, alors que Guertin avait nagé le 25 km. Affirmant que la décision sur le brevet de Guertin avait été prise en comité, il n'a pas voulu nous dire qui formait ce comité. Après 25 minutes, il a mis fin à la discussion, ne se disant pas à l'aise avec la direction que prenait l'entrevue. Refus aussi d'une entrevue avec Mark Perry. Nos questions sur la subjectivité possible des décisions en eau libre, l'importance du 25 km et des longues distances dans le programme, la pertinence des nouveaux critères et les raisons expliquant le brevet prolongé de Weinberger sont ainsi restées sans réponse. Nous avons recontacté Sport Canada, qui nous a écrit que Weinberger avait obtenu son brevet sans demande de révision. Nos sources nous indiquent pourtant qu'il a bel et bien fait une telle demande. Le programme en eau libre 2016-2017 de Natation Canada a t-il bien servi la cause des nageurs élites? La question demeure.