Actualités
Société
Santé
Éducation

Développer l'empathie des futurs médecins par le dessin

le mercredi 01 novembre 2017
Modifié à 10 h 58 min le 01 novembre 2017
Par Sarah Laou

slaou@gravitemedia.com

INITIATIVE. Depuis bientôt 10 ans, le professeur Yvan Dagenais enseigne les beaux-arts aux étudiants en Faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke, affiliée à l’Hôpital Charles-LeMoyne. Cette initiative inusitée permet aux futurs médecins de se perfectionner en anatomie tout en favorisant les aptitudes empathiques, essentielles dans la relation patient/médecin. Lors de leur stage électif, en quatrième année de médecine, les étudiants souhaitant s'initier aux bases du dessin anatomique peuvent opter pour les cours de l'artiste visuel et chargé de cours à la Faculté des lettres et sciences humaines Yvan Dagenais. Ainsi, crayon à la main, à raison de trois heures par jour durant trois semaines, les futurs praticiens ont l'opportunité d'explorer l'anatomie, d'étudier les proportions du visage, d'apprécier et de commenter des œuvres d’art, de reproduire des modèles nus ou encore de s'essayer au dessin d’espaces négatifs. Une vingtaine d'étudiants s'inscrivent chaque année. Et même si ce cours reste optionnel, il n'en demeure pas moins le seul enseignement en arts proposé à des apprentis médecins au Québec. Les bienfaits de la démarche Lors de ses recherches doctorales, Yvan Dagenais s'est intéressé à l'impact de la pratique du dessin sur les médecins. Pour le chargé de cours, l'expérience des arts a toute son importance et permettrait notamment aux adultes de s’affirmer, aussi bien sur le plan rationnel qu'émotionnel.
«C'est un outil indispensable pour former à la fois des adultes responsables, ouverts et sensibles, et des adultes aux capacités accrues par leur regard plus profond, analytique et critique», exprime M. Dagenais, qui croit que ces qualités devraient être tout particulièrement développées chez les médecins.
«Lorsqu'on dessine, on stimule certaines fonctions de l'hémisphère droit reliées à l'émotionnel, poursuit-il. Dans mes recherches, je me suis basé sur les travaux de l'Américaine Betty Edwards et des études en neurosciences qui démontrent combien le dessin peut stimuler les habilités visuospatiales et d'empathie. Le simple fait d'observer des œuvres d'art sort aussi l'étudiant de l'univers très scientifique enseigné en médecine. Il porte alors un regard différent sur le monde et s'éveille à être plus attentif à l'autre.» Le professeur ajoute que plusieurs universités en Europe et aux États-Unis ont introduit des cours de dessin dans les filières médicales. Une recherche réalisée à l’école de médecine de l’Université Harvard montre d'ailleurs que les étudiants ayant suivi des cours de dessin ont un taux de réussite de 38% plus élevé que ceux qui n’ont pas suivi de cours lorsque vient le temps d’établir un diagnostic médical. D’autres travaux concluent que l’apprentissage du dessin contribue à développer le potentiel créatif et le sens critique dans la recherche de solutions. «En Europe, certains professeurs demandent même à leurs élèves de se déshabiller devant la classe et de poser comme modèle, rapporte Yvan Dagenais. Cela permet aux étudiants de se rendre compte de la gêne que peut ressentir un patient dénudé devant le personnel médical. Mais rassurez-vous, je ne demande pas cela à mes élèves!» précise-t-il en riant. [caption id="attachment_41684" align="alignnone" width="521"] Yvan Dagenais[/caption] Des étudiants appliqués et volontaires «Je commence toujours le cours en leur faisant dessiner le visage de leur voisin, explique Yvan Dagenais. À la fin des trois semaines, je leur redemande la même chose et ils sont souvent surpris de voir à quel point ils ont progressé.» «Il n'y a pas d'évaluation, poursuit-il. Certains se découvrent de grandes habiletés et d'autres, ne sachant pas dessiner, repartent avec des bases solides. Ce que j'apprécie le plus avec ces étudiants en médecine, c'est qu'ils apprennent vite et sont motivés. Je peux leur imposer pas mal de choses dans la pratique du dessin et ils passent toutes les épreuves avec brio. Ils s'investissent à fond et ont le goût de réussir. C'est très agréable de travailler avec eux.» Valoriser les arts dans les filières scientifiques Au fil des ans, Yvan Dagenais explique que l'initiative suscite de plus en plus d'intérêt. Et l'Université de Sherbrooke a bon espoir que la pratique se répande à travers le Québec. «Il faudrait que ce cours soit intégré dans le cursus régulier des enseignements en médecine, défend le chargé de cours. Il faut valoriser les arts comme on valorise le sport. Il existe des bourses pour athlètes alors, pourquoi pas des bourses en arts dans les filières scientifiques? Ça donnerait un aspect plus humain à la formation.»