Opinion
Tribune libre

Lettre ouverte: Le mouton devenu bélier

le vendredi 24 juin 2016
Modifié à 0 h 00 min le 24 juin 2016

Le Québec doit deux choses au gouvernement de Bernard Landry (2001-2005). D’abord, la fête des Patriotes que les Québécois célébraient le 23 mai dernier et dont il est question plus loin dans cet article.

Le Québec doit deux choses au gouvernement de Bernard Landry (2001-2005). D’abord, la fête des Patriotes que les Québécois célébraient le 23 mai dernier et dont il est question plus loin dans cet article.

Nous devons aussi à Bernard Landry la Paix des Braves, accord avec les Cris de la Baie James, qui protestaient avec force contre l’invasion de leur territoire ancestral pendant la construction des grands barrages hydroélectriques à partir des années 1970. Bernard Landry s'inscrivait ainsi dans la tradition instaurée par Champlain, qui a recherché sans cesse la bonne entente et la collaboration avec les autochtones pendant ses nombreux voyages d’exploration du nouveau monde. Un ouvrage récent, Le rêve de Champlain, puise largement dans les œuvres mêmes de Champlain où celui-ci décrit ses voyages de « descouvertures ». Il rappelle que les autochtones n’étaient pas tous hostiles aux Européens. Il existait plutôt une émulation entre les divers groupes amérindiens, car ayant leurs propres territoires d’exploitation des fourrures, ils rivalisaient entre eux pour commercer avec les Européens.

Champlain admirait l’organisation sociale des peuples autochtones et les rapports empreints de liberté que les membres des tribus entretenaient avec leurs chefs. Mises à part les cinq nations iroquoises qui, dans les années 1610, étaient déjà liguées avec les Hollandais avant de l’être plus tard avec les Anglais, Champlain a cherché par tous les moyens à fréquenter les autochtones vers lesquels un courant de sympathie l’attirait. Cette entente cordiale fut la tendance générale pendant tout le régime français.

Au contraire, la Loi sur les Indiens de 1876 dénote cet orgueil raciste qui est déjà présent en 1839 dans le rapport de Durham et, au fond, depuis 1760. Il en est resté des traces jusqu’à aujourd’hui dans l’attitude dominatrice et fermée du reste du Canada envers le Québec. Durham reprochait aux Canadiens d’origine française d’être « un peuple sans histoire » : ils devaient donc, prétendait-il, être assimilés au conquérant anglais, puisque se fondre dans la race qui se croyait supérieure était la voie à suivre pour bénéficier de ses avancées historiques. Il est sans doute vrai qu’à cette époque, le soleil ne se couchait pas sur l’Empire britannique, mais voilà une situation révolue depuis longtemps. Il y a plus d’un siècle que la reine Victoria (1819-1901) a rendu l’âme et l’Empire britannique s’est largement rétréci après les deux guerres mondiales du 20e siècle. On ne compte plus les anciennes colonies qui ont pris leurs distances avec la couronne britannique et réalisé leur indépendance.

Depuis les années 1950, l’égalité des nations est incarnée par leurs représentants à l’assemblée de l’ONU. Il en est de même pour les droits des peuples autochtones, qui ont fait l’objet de déclarations spécifiques, mais le Canada est loin d’être exemplaire à cet égard. La situation des Amérindiens a stagné sous Harper, et il faut maintenant sonner le rappel afin que le gouvernement libéral d’Ottawa modifie en profondeur la Loi sur les Indiens, en commençant par son titre rétrograde. La question est très complexe, mais d’autres pays sont parvenus à attribuer une égalité citoyenne à leurs autochtones. Ici, il existe un précédent comme nous l’avons vu, la Paix des Braves signée en 2002 avec les Cris du Québec sous le premier ministre Bernard Landry. Cette entente a fait la prospérité des Cris.

Le début de cet article déclare que nous devons aussi à Bernard Landry la fête des Patriotes. Nous la célébrons le troisième lundi de mai en remplacement celle de Dollard des Ormeaux, qui était fêtée le 24 mai. Fort bien, mais cela ne signifie pas pour autant que nous devions laisser tomber la fête nationale des Québécois, la Saint-Jean-Baptiste du 24 juin. Certains objectent qu’il faut ranger aux oubliettes le petit mouton qui a longtemps symbolisé les Canadiens français. Tout au contraire, il faut clamer qu’il est bien vivant ! Les Québécois de toutes origines doivent savoir qu’après 1760, le Canadien français a été traité en inférieur et réduit systématiquement à l’état de minorité dans un Canada britannique qui fut d’abord peuplé d’anglophones aux frais de l’État, et ensuite par des immigrants de toutes provenances. L’attitude d’Immigration Canada n’a pas changé : les francophones sont admis en sol canadien au compte-gouttes. Le gouvernement Couillard du Québec continue pour sa part à couper les vivres aux organismes de francisation mis en place en vertu de la loi 101. La tâche de consolidation nationale des francophones reste donc à poursuivre.

Alors, oui, le blanc mouton de la Saint-Jean. Mais devenu bélier ! Il a grandi, il lui a poussé des cornes qui lui font la tête dure, il sait se mesurer aux adversaires. Il connaît ses points forts et ses droits. En même temps, le Québec sait se serrer les coudes, il ne craint pas de s’ouvrir aux autres, de se serrer les coudes avec tous et chacun-chacune qui l’habitent. Et cela en français sur la place publique !

Pour le 24 juin, souhaitons-nous un bélier solide et dynamique pour promouvoir l’autonomie économique et culturelle du Québec. Le Québec sait depuis longtemps accueillir les nouveaux venus, faisons-nous-en des alliés. Si le bélier québécois ne se réveille pas, il est voué à la disparition. Et alors, c’en sera fini de la promotion de notre économie, de notre culture et de tout ce qui marque le caractère distinct du Québec.

Bonne Saint-Jean à vous tous, gens du Québec!

Hélène Trudeau