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50 ans après la fermeture de son usine, la Manic GT fascine toujours autant

le mardi 16 novembre 2021
Modifié à 0 h 00 min le 17 novembre 2021
Par Michel Hersir

mhersir@gravitemedia.com

Pauline Vincent parle de la Manic comme une fierté de jeunesse. On la voit ici devant un modèle appartenant au député conservateur Gérard Deltell, que ce dernier a restauré intégralement. (Photo : Gracieuseté)

C’est dans un petit garage de fond de cour du boul. La Fayette à Longueuil qu’est née la Manic, la seule voiture de série fabriquée au Québec. Alors que le canal Historia présentera le 18 novembre un documentaire sur la fameuse voiture, 50 ans après la fermeture de son usine, Le Courrier du Sud a rencontré deux Longueuillois qui ont vécu sa courte histoire de l’intérieur.

Pauline Vincent était aux premières loges pour assister à l’évolution de cette automobile fabriquée au Québec. L’ex-femme du créateur de la voiture, Jacques About, se remémore avec bonheur les quelques années de l’aventure de la Manic.

«Pour moi, c’est une histoire d’amour!, raconte-t-elle. J’en garde de merveilleux souvenirs.»

Alors qu’elle formait un jeune couple avec Jacques About, l’idée de fabriquer une voiture au Québec est venue de ce dernier vers 1966, 1967. Si plusieurs membres de sa famille travaillaient dans le milieu de l’automobile en France, notamment chez Renault, M. About a choisi de tenter l’expérience de l’autre côté de l’océan Atlantique.

«Jacques, c’était un homme d’action, les tâches ne lui faisaient pas peur, affirme sa première épouse. Il avait une idée en tête : la Manic devait être une voiture sport accessible pour tout le monde. Il voulait que les gens qui aiment l’allure sport puissent l’acheter facilement.»

«La Manic avait un beau potentiel, elle se vendait environ 2000$, alors qu'à l'époque, une Corvette, c’était 6000$!»

– Maurice Gris, mécanicien en chef de la Manic

Mme Vincent ajoute que même s’il était Français d’origine, Jacques About était «Québécois dans l’âme». Son initiative allait ainsi de pair avec une période d’émancipation pour le Québec.

«On était dans une période excessivement effervescente dans les années 1960, relate-t-elle. On prenait possession de notre personnalité et on avait de moins en moins un sentiment d’infériorité vis-à-vis les autres pays francophones.»

Pauline Vincent au volant d'une monoplace en 1969 (Photo : Gracieuseté)

Le nom de la Manic est d’ailleurs inspiré du barrage et de la célèbre chanson de Georges Dor.

«C’était des points importants de l’identité québécoise et Jacques voulait renforcer l’idée qu’on avait un joyau entre les mains», précise-t-elle.

«Une gang de copains»

Maurice Gris a rencontré Jacques About alors qu’il travaillait comme mécanicien chez Renault Canada à Saint-Bruno. Il est ensuite devenu le mécanicien en chef de la Manic.

«Je n’avais pas une badge et un chapeau, assure-t-il, tentant de relativiser son rôle. On était vraiment une gang de copains qui travaillaient ensemble pour le fun

Photo d’époque de la Manic (Photo : Gracieuseté)

Selon lui, Jacques About avait tenté de convaincre Renault Canada d’amener les voitures Alpine au Canada, sans succès.

«Alors il s’est dit : "on va en faire une!" et c’est comme ça que ç'a commencé», explique-t-il.

D’ailleurs, il indique que Renault a eu beaucoup d’influence sur la voiture.

«On n’a rien inventé, suggère M. Gris. Les quatre roues indépendantes, les quatre freins à disque, la direction à crémaillère, ce sont toutes des choses qui étaient assez modernes pour l’époque, mais ça venait de Renault. À cela, on a ajouté une carrosserie plus aérodynamique et il y avait plus de légèreté.»

Maurice Gris à l'usine en 1968 (Photo : Gracieuseté)

Selon Pauline Vincent, la demande était forte pour la voiture, notamment dans le monde du spectacle et chez les hommes d’affaires. Environ 150 Manic ont été vendues au cours de son histoire et il y en a aujourd’hui une cinquantaine dans divers musées de l’automobile à travers le monde.

«On n’a jamais eu de misère à les vendre, on avait plus de misère à les fabriquer!» soutient M. Gris.

Une fin abrupte

Malheureusement, l’aventure de la Manic a été de courte durée, et la production, qui avait déménagé dans une usine neuve à Granby, a cessé en 1971. Selon Pauline Vincent, c’est entre autres un problème d’approvisionnement des pièces qui a causé la fin de la Manic, alors que les commandes de Renault arrivaient incomplètes.

«Ça nous a tordu le cœur, affirme-t-elle. On y avait mis toute notre passion, c’était une œuvre de persévérance, de découverte. C’est comme si ça avait coupé notre vie en deux.»

«C’était une méchante débarque, renchérit de son côté Maurice Gris. On y croyait, on était tous des gars qui avaient 20 ans, qui travaillaient pour le plaisir et pas pour la paye – on n’avait pas de paye de toute façon! En plus, on était rendu avec super belle usine équipée.»

Michel Dandurand est aujourd’hui l’un des quelques propriétaires de la Manic et il en prend soin! (Photo : Le Courrier du Sud – Denis Germain)

Si les deux sont unanimes sur leur déception quant à la fermeture de l’usine, ils ont toutefois des sentiments partagés sur le succès réel de la Manic.

«En ce moment, avec tous ces rappels, je ne peux pas m’empêcher de penser que ç’a été un échec, c’est l’impression d’être passé si proche de quelque chose et d’avoir fini aussi brutalement», estime M. Gris.

«Ce n’est absolument pas un échec, c’est une réussite, croit pour sa part Mme Vincent. Pour moi, c’est une fierté de jeunesse. D’avoir une petite équipe comme la nôtre, assez néophyte, qui a produit 150 voitures, et que deux ou trois générations après, les gens sont entichés à l’idée d’en avoir une, il faut en être fier!»

La Manic, lors d'un Salon de l'auto en 1969 (Photo : Gracieuseté)

Si près du marché américain

La Manic GT aurait pu connaître un sort bien différent. Pauline Vincent indique que le géant américain de l’époque, American Motors, venait souvent à l’usine de Granby, avec l’intention de distribuer l’automobile québécoise aux États-Unis.

Selon elle, quelques jours seulement après la fermeture des portes, les gens d’American Motors ont annoncé qu’ils étaient prêts à aller de l’avant pour distribuer la Manic dans tous leurs points de vente.

«Vous comprenez la déception, mentionne-t-elle. Mais là, c’était déjà fait, on ne pouvait plus revenir en arrière.»

Maurice Gris ajoute que l’usine de Granby permettait une production beaucoup plus importante.

«On aurait vraiment pu en produire peut-être 100 par semaine, soutient-il. On avait vraiment tout, toute la chaîne était faite pour en produire en grand nombre.»

Le moule de la Manic GT (Photo : Gracieuseté)

La Manic, de devant et de l'intérieur (Photo : Gracieuseté)