Culture

Alexandra Stréliski, de sensibilité et d’authenticité

le mercredi 16 octobre 2019
Modifié à 11 h 58 min le 14 octobre 2019
Par Ali Dostie

adostie@gravitemedia.com

De la vulnérabilité que présente un piano, seul au beau milieu d’une scène, Alexandra Stréliski en tire une force. Celle de l’authenticité. «Sur scène, je suis dans un rapport de force. Je suis ouverte et transparente. C’est ce que je suis, dans le beau et le laid. Je leur donne accès à moi, à ma sensibilité. C’est ce qu’on veut, ce qu’on cherche tous: l’authenticité, la vérité.» Elle livre ainsi avec cette authenticité les pièces de Inscape, album paru en 2018 qui dresse les «paysages intérieurs» d’une crise existentielle qu’elle a traversée au début de la trentaine. «C’est sûr que c’est prenant émotivement, de toujours revisiter ces émotions. Mais ça change aussi. Tu peux t’en inspirer sans le revivre.» En concert, ses interprétations varieront quelque peu de la forme finale de l’album, mais sans s'en éloigner. Un souci de l’artiste de donner au public des pièces qu’il s’est approprié. Mais parce que «ça pourrait devenir plate de faire tout le temps pareil», Stréliski peut aussi se laisser aller à de l’improvisation, à l’aise avec ce saut dans le vide puisque c’est de cette manière qu’elle compose. Elle se permet également de varier ses interactions avec le public, dépendamment surtout du pays où elle se produit, elle qui compte la Suisse, la France, l’Islande et l’Allemagne dans son calendrier de tournée. Très attaché à l’étiquette des concerts classiques, le public européen respectera davantage la convention, par exemple, de ne pas applaudir. «Mais moi, j’haïs ça! Je leur dit: c’est un hybride.» Au Québec, l’étiquette du classique est beaucoup moins connue. Un concert de Stréliski étant pour la majorité des spectateurs une première immersion dans le milieu du classique, elle trouve plus facilement de la place pour l’humour. Sa place Avec son deuxième opus  – Pianoscope, le premier –, Alexandra Stréliski a ravi le cœur à la fois de la critique et du public. Son album classé dans la catégorie néoclassique a atteint les 40 000 copies vendues en juillet. Sans compter les 52 millions d’écoutes en continu sur les plateformes numériques. Sa participation à plusieurs projets du réalisateur Jean-Marc Vallée – les films Dallas Buyers Club, Demolition et les séries Big Little Lies et Sharp Objects – a donné un immense rayonnement à ses œuvres. À l’ADISQ, elle a décroché sept nominations, dont auteure ou compositrice de l’année, révélation, album de l’année (choix de la critique) et album meilleur vendeur de l’année. «L’industrie n’est pas toujours d’accord avec le choix du peuple. Je suis honorée [de ces nominations], c’est un beau symbole.» Depuis la sortie de l’album en 2018, elle vit une année fort occupée, entre les tournées et les projets spéciaux. La journée de l’entrevue était l’une des rares où elle pouvait travailler de la maison. Après cette année qui a passé très vite, Inscape a encore beaucoup à lui donner. Un album à court terme? Peut-être pas. Mais un album à venir, certainement. «De nouvelles riffs sortent de temps en temps.» Les pieds dans ce tourbillon, cette situation n’a cependant rien qui lui rappelle son autre vie en tant que compositrice pour la publicité, qui l’a menée au burn-out. «C’est complètement différent. Quand je travaillais pour des studios, je composais pour les autres. La pub, oui c’est l’fun, c’est plein de défis, mais in the end, c’est pour vendre un produit. Ça manquait de sens et c’est ce qui m’a fait crasher. Mais là je n’ai pas peur, je suis à ma place. J’exprime ma voix.» Imparfait La musique de Stréliski, entre autres inspirée par la musique de films, est forte en images. Mais ces images, qui appartiennent surtout aux gens qui entendent ses œuvres, ne sont jamais la matière première d’une pièce. Un état d’esprit, un «mood», serait davantage l’étincelle qui pousse Stréliski à s’asseoir devant le clavier et «observer ce qui sort». «Les images, je les vois après, et ça vient naturellement. Je ne me dis pas: je vais faire une toune pour illustrer un garçon qui regarde par la fenêtre et voit défiler sa vie. J’écoute, et après... ah c’est drôle, je vois un garçon qui regarde par la fenêtre et voit défiler sa vie!» illustre-t-elle, dans un rire. Même si sa musique révèle des influences populaires, la technique et la virtuosité acquises durant sa formation classique suivent encore la musicienne, qui se dit particulièrement proche du courant romantique. «La formation classique, elle te drill un musicien!» Mais l’idéal de perfection inhérent au classique ne fait pas partie de l’héritage qu’elle souhaite porter. À travers les douces et puissantes notes de Inscape se fait entendre le bruit des pédales ou encore celui des touches qu’enfonce la pianiste sur le piano droit de son enfance, qu’elle avait sorti de sa chambre pour le transporter jusqu’au studio d’enregistrement. «Je voulais que ce soit imparfait. Parce que les humains sont imparfaits, parce que la vie est imparfaite. Parce que c’est plus authentique.» Alexandra Stréliski est en concert à l'Étoile Banque nationale du Quartier DIX30 le 20 octobre.