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COVID-19

Centre de jour et refuge temporaires pour itinérants: un soutien d’urgence dans la crise

le mardi 05 mai 2020
Modifié à 15 h 45 min le 04 mai 2020
Par Ali Dostie

adostie@gravitemedia.com

Après avoir dormi paisiblement – après une douche et un repas, dans des vêtements propres – sur un banc plongé dans le soleil à côté de l’église Notre-Dame-de-Grâces devenue depuis le 24 avril un centre de jour pour itinérants, l’homme de la rue n’avait qu’un mot à adresser au policier qui faisait entendre de la musique de son autopatrouille. Quatre mots en fait: «Merci, merci, merci, merci». Cela faisait quatre jours qu’il n’avait pas dormi. Les enjeux telles la consommation et la santé mentale peuvent parfois compliquer les interventions auprès des itinérants, «mais c’est simple de les aider», dit le policier Ghyslain Vallières du Service de police de l’Agglomération de Longueuil (SPAL). Dès les premiers jours de la pandémie, la situation est rapidement devenue problématique chez ces personnes vulnérables, a-t-il remarqué. Quête devenue presque impossible, accès limité aux installations sanitaires, toxicomanes en manque; le tout, dans une grande proximité. Les itinérants se sont retrouvés quatre fois plus nombreux qu’à l’habitude au métro Longueuil, n’ayant plus accès aux centres commerciaux, aux organismes (fermés ou à pleine capacité) ou même aux restaurants qui leur venaient en aide. Des problèmes de violence et d’intimidation sont apparus. Ç’a été le «cocktail parfait, illustre l’agent Vallières. Ils étaient une trentaine à dormir au métro. Certains qui avaient des problèmes de consommation pouvaient crier toute la nuit. Et le jour, on les obligeait à bouger. Alors, ils ne dormaient plus.» Dans ce contexte de crise, les itinérants parfois réfractaires à toute forme d’aide sont plus enclins à recevoir du soutien. «On a réussi à en placer trois en appartements, se réjouit l’agent Vallières. D’habitude, ça peut prendre six mois en convaincre un.» Un répit [caption id="attachment_90316" align="alignright" width="444"] Jean-Paul a gentiment accepté de prendre la pose devant le centre de jour temporaire.[/caption] Le centre de jour de la rue Bourassa, dans l’arr. du Vieux-Longueuil, répond visiblement à une demande: une vingtaine d’itinérants y ont recours quotidiennement. Là, ils peuvent sommeiller sur un lit de camp, dans un environnement plus tranquille. «On le voit; leurs yeux sont plus éveillés, ils s’expriment plus clairement, ils ont plus de force», remarque le policier. Des repas leur sont servis, grâce à l’organisme Le Repas du Passant, dont les locaux sont situés au sous-sol de l’église. Toutes les mesures sont prises pour respecter les directives de santé publique. «Des intervenants tels que des travailleurs de rue et des travailleurs sociaux sont en soutien aux activités du Centre de jour ou encore au métro Longueuil, mentionne la porte-parole du CISSS de la Montérégie-Centre Martine Lesage. Ils «profitent du même coup de cette opportunité pour faire du repérage et de l’éducation, tout en favorisant l’accès aux ressources du milieu qui viennent en aide sur une base régulière en itinérance», souligne-t-elle. Un répit, la nuit Un centre d’hébergement temporaire a été érigé au motel La Siesta, sur le boul. Taschereau. C’est là que sont accueillis les cas plus complexes. «L’accès est plus contrôlé: les itinérants s’y présentent sur rendez-vous», explique le coordonnateur à la Table itinérance Rive-Sud Gilles Beauregard. Ils sont référés par des organismes communautaires, la police, les hôpitaux, le centre de crise l’ACCÈS et les CLSC. La durée maximale de l’hébergement est de 14 jours. [caption id="attachment_90314" align="alignleft" width="444"] Claude, devant le centre de jour temporaire[/caption] «Des équipes d’intervenants des CISSS de la Montérégie-Centre et de la Montérégie Est sont sur place 24 h/24 afin d’assurer le bon fonctionnement des services offerts: entrevue d’accueil, évaluation par une infirmière, dépistage du COVID-19 au besoin, distribution de repas, sécurité sur place, etc.»,  détaille Mme Lesage. Ainsi, un système de triage a été instauré: des zones vertes, jaunes et rouges pour les bénéficiaires sans symptôme, avec symptômes et atteints de la COVID-19. Quelques tests de dépistage ont été effectués et jusqu’ici, on ne compte aucun cas confirmé. Des 43 places disponibles, 27 étaient comblées, en date du 4 mai. «On est contents. On veut que ce soit graduel, sinon ç’aurait été difficile à gérer», ajoute M. Beauregard. L’offre de service pourrait être revue, en fonction des besoins. Du soutien médical offert par des médecins et psychiatres, et des soins offerts par des infirmières praticiennes en soins infirmiers ont d'ailleurs été ajoutés. La Ville de Longueuil a aussi été mise à contribution, notamment pour ce qui relève de la coordination. Avant l’ouverture des deux centres, l’aréna Jacques-Cartier avait d’abord été ouvert pour permettre aux personnes itinérantes d’utiliser les douches. Un autobus du Réseau de transport de Longueuil (RTL) a fait la navette vers l’aréna, ainsi que vers la Maison chez Lise, pour donner un accès à des installations sanitaires. Une dizaine de personnes ont utilisé ce service de transport. Depuis le 23 avril, une navette fait des transports du terminus Longueuil vers les deux ressources temporaires. En une semaine, 43 y ont eu recours.  

Mobilisation sans précédent

La liste de partenaires mobilisés afin que ces deux ressources voient le jour est impressionnante: la Table itinérance Rive-Sud, Macadam Sud, le Repas du Passant et la Paroisse Saint-Antoine-de-Padoue, en plus des CISSS de la Montérégie-Centre et de la Montérégie-Est, la Direction de la Santé publique de la Montérégie, du SPAL, du RTL et de la Ville de Longueuil. L’Abri de la Rive-Sud, la Casa Bernard-Hubert, l’Antre-Temps, Moisson Rive-Sud, Macadam Sud, le Diocèse Saint-Jean-Longueuil, la CDC de l'agglomération de Longueuil et le Réseau d'Habitations Chez Soi ont apporté leur soutien. Un montant de 60 000$ a été accordé par le fonds d’urgence Centraide. En plus de l’agent du SPAL Ghyslain Vallières qui a sonné l’alarme, la Table itinérance Rive-Sud et le Repas du Passant sont de ceux qui ont vitement pris contact avec la Fabrique de la paroisse Saint-Antoine-de-Padoue, ayant dans la mire l’église fermée définitivement pour qu’elle accueille les sans-abri. L’approbation du Diocèse Saint-Jean-Longueuil pour louer le lieu de culte est venue tout aussi rapidement. «Dans toutes les décisions à prendre durant cette crise, c’était important pour le Diocèse de garder des agents de pastorale en "tenue de service", expose le président d’assemblée de Fabrique Benoît Laganière. Alors aider les plus démunis entrait tout à fait dans cette mission.» Des agents de pastorale mettent la main à la pâte et Mgr Claude Hamelin a servi des repas. Tous les intervenants interrogés ont souligné à grands traits l’efficacité ressortie de cette concertation. «En 20 ans, je n’ai jamais vu ça, reconnait l’agent Ghyslain Vallières. On prend des notes, c’est certain.»    

Et après?

Ces ressources temporaires resteront en place aussi longtemps que les besoins l’exigeront en ce temps de crise. Néanmoins, à long terme, des structures devront être mises en place pour aider ces personnes vulnérables, jugent les intervenants interrogés. En matière d’hébergement, le service de première ligne l’Abri de la Rive-Sud ainsi que le centre de réinsertion sociale La Casa Bernard-Hubert ont exprimé dès le début de la crise des besoins criants, que les longues listes d’attente confirment. «Il y a un trou dans l’offre de service: ça prendrait un centre de jour comme ce centre temporaire, qui accueille les itinérants sans condition, suggère le policier Ghyslain Vallières. Parfois, quand il y a des critères, certains décrochent.» Gilles Beauregard de la Table itinérance Rive-Sud espère que l’implication du milieu institutionnel fera prendre conscience aux instances décisionnelles du manque de financement des organismes. La mairesse Sylvie Parent souhaite également que les gouvernements verront ce besoin de soutien additionnel. «Cela fait plus deux ans que l’on attend pour déployer des logements sociaux sur notre territoire. On fait des représentations, mais nous sommes à la remorque des programmes de Québec et d’Ottawa, relève-t-elle. Il y a des besoins depuis plusieurs années.»