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Changement de direction adjointe à l’école Lionel-Groulx: un transfert qui a eu l’effet d’une bombe

le mardi 29 septembre 2020
Modifié à 17 h 56 min le 25 septembre 2020
Par Katherine Harvey-Pinard

kharvey-pinard@gravitemedia.com

Des enseignants de l’école primaire Lionel-Groulx, à Longueuil, sont en furie. Leur employeur, le Centre de services scolaire Marie-Victorin (CSSMV), a transféré leur directeur adjoint dans une autre école. Une décision qui est loin de faire l’unanimité, tant chez les enseignants que chez les élèves et leurs parents. Joël Boucher était directeur adjoint à Lionel-Groulx, une des écoles les plus défavorisées du territoire, depuis trois ans. À en croire la grogne et la tristesse engendrées par son départ le 11 septembre, son rôle au sein de l’établissement était plus que considérable. «Quand on s’est fait annoncer la nouvelle, plus de la moitié des enseignants pleuraient. C’était comme si on enterrait quelqu’un», racontent deux enseignantes de l’école au Courrier du Sud. Celles-ci préfèrent garder l’anonymat, par peur de représailles de la part du CSSMV. Depuis le transfert, plusieurs parents ont également exprimé leur déception sur la page Facebook Soutien à M. Joël Boucher, qu’ils ont créé à la suite du changement de direction. Une pétition demandant que M. Boucher reste à Lionel-Groulx circule d’ailleurs en ligne. Elle a recueilli plus de 500 signatures jusqu’à maintenant. Des «numéros» Le personnel de l’école a appris la nouvelle deux jours avant le transfert du directeur adjoint. «On s’est fait dire qu’étant donné que ça allait bien à notre école, ils ont envoyé Joël dans une autre école pour qu’il y remette de l’ordre, relatent les deux enseignantes. On s’est aussi fait mentionner que parfois, quand ça fait quatre ou cinq ans que les directions siègent dans une même école, ils les transfèrent.» Les deux enseignantes affirment se sentir comme des «numéros», alors qu’aucun membre du personnel n’a été consulté avant que ne soit prise la décision. «Si la décision ne change pas, que Joël ne revient pas, je pense que c’est dans notre droit en tant qu’employés, en tant que personnes qui se dédient à la profession, de savoir, d’être entendus. Là, j’ai l’impression qu’on est ignorés et je trouve ça insultant. Dans un métier aussi humain, je trouve que la décision est inhumaine», dit l’une d’entre elles. «Surtout en temps de pandémie, ajoute l’autre. On se demande: pourquoi déstabiliser une équipe quand déjà, ça ne va pas bien dans le monde?» «J’ai pris le poste à Lionel-Groulx parce que je savais que c’était Joël et que dans une telle école, il faut une excellente direction pour nous soutenir», poursuit-elle. «De la vocation pure» Au cours de son passage dans l’établissement d’enseignement, M. Boucher a notamment développé une démarche d’école communautaire. Le ministre délégué à la Santé et aux Services Sociaux, Lionel Carmant, a d’ailleurs accordé au projet un financement de 220 000$ en 2019. M. Boucher a également contribué à l’installation de ruches sur le toit de l’école, à l’implantation d’un jardin collectif ainsi qu’à la mise en place de la récupération de cannettes et du compostage. Et ce, sans parler des clubs sportifs et culturels qu’il a mis sur pied et des différents organismes avec qui l’école s’est associée dans l’objectif de subvenir aux besoins des élèves vulnérables. Le tout, sur son temps personnel la plupart du temps, selon les enseignantes. «De la vocation pure», disent-elles. «On a des élèves qui ne mangent pas le matin, mentionne l’une d’elles. Le Club des petits déjeuners a été fondé à notre école. Ils ont 80 places, mais on a des centaines de demandes. Joël a fait des pieds et des mains pour avoir une association avec Maxi, qui nous fournit des collations.» L’école a également, toujours grâce à M. Boucher, une alliance avec la clinique du Dr Julien pour que les élèves «aient des suivis sur le plan de la pédopsychiatrie», souligne les enseignantes. Une pédiatre de la clinique, Karine Falardeau, a d’ailleurs signé la pétition qui circule en ligne. De grandes bottines à chausser La nouvelle directrice adjointe, Stéphanie Ledoux, travaille pour l’instant à l’école deux jours par semaine. Les enseignantes craignent que la charge de travail reliée aux nombreux projets entamés par M. Boucher ne soit trop grande. «Tous ces alliés-là, qui font que les besoins de base des enfants sont comblés, parce qu’on parle de les habiller et de les nourrir, c’est beaucoup à pelleter dans la cour de quelqu’un qui vient d’arriver, soutiennent-elles. L’école continue de rouler, les enfants continuent d’avoir faim.» Le Courrier du Sud a demandé à au CSSMV s’il était possible de parler à M. Boucher, sans succès.   Lettre en mains propres [caption id="attachment_100144" align="alignright" width="444"] Des enseignants et parents ont manifesté le 11 septembre.[/caption] Une trentaine d’enseignants et de parents d’élèves ont remis une lettre en mains propres à la directrice générale du CSSMV, Marie-Dominique Taillon, le 11 septembre. Celle-ci leur a répondu une semaine plus tard dans une lettre où elle dit comprendre le bouleversement causé par le changement de direction. «Nous reconnaissons son implication communautaire et les nombreux avantages que vous énumérez pour les élèves et votre milieu. C’est d’ailleurs en partie pourquoi nous sommes persuadés que le transfert de M. Boucher vers une autre école profitera à l’ensemble de notre communauté éducative», écrit-elle. Elle se dit confiante que le personnel saura collaborer avec le directeur, Marc Bourret, et la nouvelle directrice adjointe. «Tous ensemble, vous agissez à titre de gardiens de l’environnement bienveillant pour nos élèves de l’école. Vous pourrez également poursuivre les projets implantés au cours des dernières années», soutient-elle. Des lettres de M. Boucher Le CSSMV a fait parvenir au Journal deux lettres écrites par M. Boucher, l’une adressée au personnel de l’école, l’autre aux organismes partenaires. Il y mentionne entre autres la dynamique et le climat «incomparables» de l’école primaire Lionel-Groulx. «Je pars donc avec la certitude que vos enfants vivront leur quotidien dans une école, certes, mais aussi dans un milieu de vie, un milieu qui leur permettra de s’épanouir, développer des passions, devenir des citoyens de demain responsables et heureux», souligne-t-il. Il se dit d’ailleurs convaincu que sa remplaçante «saura prendre le relais avec brio».   « Ces projets ne reposent pas que sur M. Boucher » Le Courrier du Sud a pu s’entretenir avec la directrice générale adjointe de la région Longueuil Sud – Ouest du CSSMV, France Blouin, le 22 septembre. Mme Blouin affirme «très bien» connaître l’école Lionel-Groulx, les enjeux communautaires et les projets sur lesquels M. Boucher a travaillé. «Pour moi, la préoccupation, qui est la même pour chacun des milieux quand on change un directeur d’école, c’est de m’assurer que les projets qui étaient gagnants vont se poursuivre. Dans le cas présent, je savais que c’était un enjeu.» Elle se dit «persuadée» que les projets qui touchent la persévérance scolaire, l’engagement ou encore le développement de saines habitudes de vie se poursuivront. «Je n’imagine pas que la situation n’aille pas bien», dit-elle. «Ces projets ne reposent pas que sur M. Boucher, ajoute-t-elle. Ils reposent sur la communauté, sur toute l’équipe-école. En ce sens, il n’y a pas de possibilité de penser que M. Boucher va revenir à l’école Lionel-Groulx. Il va aller œuvrer, avec ses forces à lui, dans une autre école.» Qui plus est, la nouvelle directrice adjointe travaillera à temps plein d’ici quelques semaines, assure France Blouin. Questionnée sur la fréquence des changements de direction au sein du CSSMV, Mme Blouin affirme que «généralement, on essaie d’assurer une certaine stabilité». Le contexte des dernières années, où la clientèle et le nombre d’écoles augmentent, fait en sorte que certaines directions ont été changées plus rapidement. En temps normal, c’est après environ 3, 5 ou 7 ans que des changements sont apportés, affirme-t-elle. Et généralement, le directeur transféré apprend la nouvelle une à deux semaines avant son transfert. Quant à l’équipe-école, «il y a une façon formelle» de la consulter, dit Mme Blouin. «Chaque année, le conseil d’établissement se prononce sur le profil de gestionnaire attendu. C’est l’occasion pour eux de dire quelles sont leurs attentes», explique-t-elle.