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COVID-19: après l’hospitalisation, l’heure de la guérison pour Dre Mélissa Ranger

le jeudi 16 avril 2020
Modifié à 22 h 22 min le 17 avril 2020
Par Ali Dostie

adostie@gravitemedia.com

La COVID-19 aura été passablement agressive à l’endroit de l’urgentologue de l’hôpital Charles-Le Moyne Dre Mélissa Ranger, qui a obtenu son congé le 8 avril, après 10 jours d’hospitalisation. Deux tests négatifs confirment qu’elle n’est plus atteinte du virus, mais il faudra quelques semaines avant que ne se résorbent les atteintes inflammatoires au foie et aux poumons qui en ont découlé. «Ça va de mieux en mieux, je récupère bien», lance d’entrée de jeu l’urgentologue, qui avait fait l’objet d’articles et reportages télé au moment de son hospitalisation. Pour le moral, il n’y a rien de mieux qu’un retour à la maison. Être loin de sa famille a été l’un des éléments les plus éprouvants de son hospitalisation. «Oui, il y a Facetime, mais ce n’est pas la même chose. Ma plus jeune était fâchée, elle pleurait. J’avais aussi le stress qu’ils développent l’infection.» Ses enfants et son mari sont en pleine santé. Depuis qu’elle est de retour, elle «rattrape le temps perdu»: jeux de société, école à la maison, cuisine en famille. «C’est assez fusionnel, on se colle beaucoup», raconte celle qui n’est plus contagieuse. Complications Une échographie du foie l’attend dans un mois, un scan de contrôle des poumons dans deux mois, en plus de prises de sang. La COVID-19 a entraîné chez la Dre Ranger, âgée de 40 ans, une augmentation des enzymes hépatiques dans le sang. Difficile toutefois d’en déterminer la cause, entre le virus lui-même ou les médicaments qu’elle a ingérés, dont la colchicine, des antibiotiques et des anticoagulants. La perturbation du bilan hépatique peut se voir avec le coronavirus, mais elle est habituellement légère. L’augmentation à des taux plus élevés fait craindre la présence d’hépatotoxicité (pouvant être causée par un des médicaments). L’hépatotoxicité peut entraîner des dommages au foie. En ce moment, ce taux n’est pas revenu à la normale, mais il «est rassurant». Tout devrait entrer dans l’ordre sans séquelle. En crescendo Les premiers symptômes de la COVID-19 se sont manifestés discrètement chez Mélissa Ranger: une légère congestion nasale, doublée d’une grande fatigue. «Je venais de travailler pendant sept nuits à l’urgence; c’était un peu normal que je sois fatiguée, consent-elle. On se demandait même si c’était pertinent que je passe un test de dépistage.» Ce le fut. Dans l’attente du diagnostic, tombé le 28 mars, les symptômes se sont aggravés. «J’avais mal partout. J’avais des douleurs à l’omoplate qui me coupaient le souffle. J’avais de la misère à respirer», se remémore-t-elle. Des douleurs «intolérables» au thorax ont fait leur apparition, au point où la Dre Ranger se demandait si ce n’était pas autre chose que le coronavirus – une embolie pulmonaire? – qui se manifestait. «C’est le cerveau de médecin qui fonctionnait.» En raison de ces troubles respiratoires, elle a été hospitalisée, au jour 7 de la maladie. Un scan a confirmé la présence de liquide entre le poumon et la cage thoracique, soit des épanchements pleuraux. Il y avait aussi un infiltrat pneumonique qui faisait craindre le développement de la forme sévère de la COVID-19. «Une désaturation était notée sur mon appareil à la maison. C’était un signe de complication», détaille la médecin. La saturation en oxygène pouvait descendre jusqu'à 90%, lorsqu’elle parlait ou marchait. Heureusement, il n’a pas été nécessaire de transférer la Dre Ranger aux soins intensifs; elle est passée de l’urgence à l’unité COVID-19. Anxiogène Durant son séjour à l’hôpital, Mélissa Ranger admet avoir vécu beaucoup d’angoisse, à commencer par celle causée par l’obligation d’être éloignée de sa famille. À sa nature quelque peu anxieuse s’est ajouté aussi le réflexe de l’urgentologue de «penser au pire scénario».

«J’avais la crainte de finir sur le respirateur. J’ai pleuré beaucoup, j’ai vécu beaucoup d’anxiété.» Dre Mélissa Ranger
«Mes compagnons de chambre étaient des personnes âgées en détresse respiratoire.» Comme médecin, elle est habituée d’être témoin de ce genre de situation. Néanmoins, devant l’inconnu… Dans ce contexte où des questions demeurent encore sans réponse – même chez les médecins –, «c’était difficile de ne pas participer aux discussions de traitements, reconnait l’urgentologue, habituée à être dans l’action. C’était difficile de les voir travailler pendant que je restais assise dans le lit.» Elle relève à quel point elle a été bien traitée par le personnel soignant, dans une attitude positive et la bonne humeur. «Les cas de COVID-19 deviennent des cas très lourds pour les médecins, avec les masques, la visière, etc. C’est beaucoup d’inconnu.» Au front… dans un CHSLD Dre Mélissa Ranger retournera à l’urgence de l’hôpital Charles-Le Moyne au début mai. Cependant, son boulot reprendra plus tôt, dès le 23 avril, et ce, au CHSLD Henriette-Céré de l’arr. de Saint-Hubert. Elle a répondu à l’appel du premier ministre Legault demandant aux médecins spécialistes de prêter main-forte en CHSLD, où le manque d’infirmières et préposés aux bénéficiaires est criant. Elle en a fait l’annonce sur Facebook. «Or, je ne possède pas les compétences des infirmières. Chaque profession possède ses propres compétences. Nous sommes complémentaires, nous travaillons en équipe. Je tenterai donc d'apprendre sur le tas et de suivre l'enseignement et les directives des infirmières en place. Je ferai de mon mieux parce qu'effectivement, comme le dit Dre Francoeur, les médecins ont le sens du devoir; nous répondons à l'appel!» a-t-elle partagé. Elle invite ses collègues médecins spécialistes qui exécuteront des tâches d’infirmières et de préposés aux bénéficiaires dans les CHSLD à le faire bénévolement. «C'est odieux de facturer 211$/heure pour tenter de «remplacer» maladroitement nos collègues infirmières et nos préposés aux bénéficiaires payés beaucoup moins. Soyons rémunérés pour du travail de docteur lorsque nous faisons du travail de docteur.» Si la crainte de transmettre ou d’attraper le coronavirus n’habite plus ses pensées (n’étant plus contagieuse, et étant immunisée), le retour au travail à l’urgence n’est pas sans préoccupation. Dans le contexte actuel, les procédures changent de façon quotidienne. Les médecins reçoivent une dizaine de courriels par jour provenant de la médecine d’urgence ou encore de la santé publique pour adapter leurs méthodes et techniques d’interventions; webinaires et autres formations se succèdent. Beaucoup de rattrapage en vue. «Depuis quelques jours, je me remets dans le bain»,  indique-t-elle. La Dre Ranger ne peut s’empêcher de songer également au moment où se déploiera le déconfinement. «Est-ce que ça signifie une arrivée plus massive de patients à l’urgence? S’il y a une deuxième vague, est-ce que ce sera plus rapide? Est-ce que ça va limiter l’accès aux respirateurs?» Pour calmer les inquiétudes, l’action est un excellent remède.