Culture

TDLV: Danielle Bilodeau quitte avec le sentiment du devoir accompli et une passion toujours aussi vive

le lundi 04 juin 2018
Modifié à 8 h 58 min le 04 juin 2018
Par Ali Dostie

adostie@gravitemedia.com

CULTURE. Au contact de son premier emploi d’étudiante comme ouvreuse au Grand Théâtre de Québec, Danielle Bilodeau rêvait un jour d’avoir un théâtre. Une destinée qui s’est concrétisée pour celle qui quitte la direction générale du Théâtre de la Ville, après près de 15 ans. Ce sont avant tout des raisons personnelles qui motivent Danielle Bilodeau à tirer sa révérence; une envie de profiter de la vie (parce que diriger un théâtre est un métier très prenant). Mais aussi parce que c’est un bon moment pour le théâtre. «Pour une organisation, on est à un niveau de maturité vraiment intéressant. Pour la première fois, nous avons obtenu une subvention sur quatre ans du CALQ et de Patrimoine canadien. Ils ont confiance en l’organisation, c’est solide, c’est stable. On a aussi gagné le prix Opus: ça nous conforte dans notre mission de développement artistique et de développement de public.» Elle laisse le nouveau directeur général Franck Michel entre de bonnes mains, avec une équipe solide. Depuis quelques mois s’est opéré déjà le transfert de compétences, durant lequel Mme Bilodeau lui a présenté les grands dossiers, montré la façon de faire propre au contexte du TDLV. M. Michel a rencontré tous les membres de l’équipe individuellement. «Personne dans la chaîne ne sert à rien. Il doit comprendre comment on a organisé notre chaîne… C’est un bon moment pour apprivoiser ce qui est là et faire évoluer les choses à sa manière. Le but n’était pas de trouver un clône de Danielle Bilodeau, mais quelqu’un qui pourra apporter sa touche, comme je l’ai fait.» Danielle Bilodeau a frappé à la porte du TDLV en 2004, riche d’un parcours en musique classique, radio, réalisation, entre autres. Des expériences qui l’avaient poussée à étudier la gestion dans le milieu culturel. Lorsque la direction générale du théâtre de la Rive-Sud s’est libérée, beaucoup gens – Mme Bilodeau incluse – sentaient que c’était un emploi pour elle. «Ça prenait une direction qui travaille en équipe, qui fait confiance, qui stimule les troupes. Je suis tombée dans cette équipe où – quel bonheur – il y avait un esprit de corps très fort. Le public était là et la direction artistique restait un an et demi avant de quitter.» Petits et grands changements L’un des premiers changements opérés a été l’aménagement d’un troisième espace de représentation: le P’tit bar de Jean-Louis. «J’ai vu le foyer de la salle Jean-Louis Millette et j’ai demandé si des spectacles se donnaient là. Johanne [Aubry, programmatrice] m’a dit "J’en rêve"!» Un rêve qui ne s’est pas fait en un claquement de doigt, mais graduellement, notamment pour s’assurer de la réponse du public. Au fil du temps se sont ajoutés les équipements nécessaires, dont des rampes d’éclairage et des haut-parleurs rétractables. Les bureaux de l’administration ont aussi été rapprochés du théâtre, alors qu’ils étaient regroupés dans des classes du deuxième étage du cégep. «Sans air climatisé, c’était impossible! Le papier frisait dans le photocopieur, relate Mme Bilodeau. L’air climatisé faisait ensuite tellement de bruit qu’on devait l’arrêter quand on était au téléphone!» Publics captifs En entrevue, Danielle Bilodeau raconte une récente prestation de musique numérique de Vidéo Phase, qu’elle suit depuis plusieurs années. Le groupe a fait un spectacle devant des jeunes de sixième année, et en a invité quelques-uns à monter sur scène, pour les diriger et les inviter créer de la musique. «La gang assise, ils ont pogné quelque chose… On a vu comment se construit une musique», témoigne-t-elle, fière du développement du volet scolaire, tout autant que la mission communautaire du TDLV, qui loue ses salles à des organismes de tout ordre (OSDL, Atelier lyrique, etc.). Ce qu’elle considère comme le plus gratifiant dans son métier? «Tout ça. D’avoir une marge de créativité. Le bonheur pour nous – je programme la série musique, Anne-Marie [Provencher] dirait la même chose en théâtre – c’est de suivre les artistes. C’est de suivre, connaître et trier… Et ça, ça fait mal, car on dit plus de non que de oui.» Appelée à identifier une rencontre artistique marquante de son parcours au TDLV, la directrice générale nomme celle du public avec l’artiste, ces soirs où la magie opère. L’initiative de créer des rencontres et échanges à la suite des prestations créent des moments inspirants. «Ce qui m’émeut, c’est quand le public est extrêmement attentif et chaleureux en même temps, que je monte sur scène après le spectacle et demande "Avez-vous des questions? " et que 12 mains se lèvent, que les artistes sortent de scène et disent "Sont donc ben intéressant votre public…!" Ça m’épate tout le temps.» Veine pluridisciplinaire Au cours des dernières années, la mission pluridisciplinaire a pris davantage d’expansion. La musique de concert s’est ajoutée, les volets théâtre, musique du monde se sont bonifiés. La danse a aussi fait son entrée dans les spectacles jeune public. Même en musique de concert – la spécialité de Mme Bilodeau – le mot ordre était la diversité. «La mission qu’on s’est donnée: développer en diversité. Ce n’est pas que du contemporain, mais ce n’est pas que du Schubert ou du Mozart.» Et il y a un – ou plutôt des – publics, pour tout. La programmation donne entre autres accès à de grands noms, que tout le monde veut voir. «Mais si on ne fait que ça, on ne développe pas le public. Il est déjà développé, il connaît l’artiste, il l’a chanté», expose-t-elle. «L’autre beau côté de notre métier, c’est celui de tête chercheuse, de se dire "S’ils savaient à quel point c’est bon, ils viendraient".» Du bon comme du folklore ukrainien ou encore la jeune artiste émergente Suzi Silva qui chante du Fad’azz, mélange de fado et de jazz. Au fil des propositions, le public fait confiance. «Ensuite, c’est à nous de choisir la bonne date, le bon spectacle au bon endroit.» Car remplir le P’tit Bar pour le quatuor de folklore suédois, c’est simple. Peut-être même qu’il y aura deux représentations. Mais 200 personnes dans la salle Pratt & Whitney qui peut accueillir 800 personnes, c’est un flop. «On cultive le succès, on veut que les artistes disent "Oui, je suis à ma place, le public était content".» Meilleures conditions L’éventuel déménagement du TDLV dans un futur Complexe culturel multipliera les possibilités pour le diffuseur multidisciplinaire. Les salles Pratt & Whitney Canada et Jean-Louis Millette ne sont pas dotées de cage de scène, limitant grandement les possibilités de changements de décor. Le peu de profondeur de scène peut aussi s’avérer un inconvénient. Les artistes doivent par ailleurs s’adapter à l’acoustique particulier de la salle, alors que le son reste davantage sur la scène. «On a bien hâte d’avoir de meilleures conditions de travail», dit-elle, semblant momentanément oublier son départ imminent. Mais Danielle Bilodeau ne restera pas bien loin. Déjà, elle compte bien venir voir quelques spectacles. «Mon premier projet de retraite sera de me reposer, de lire en masse, de faire le vide. Mais je suis un peu hyperactive, alors je ne resterai pas assise bien longtemps. Il y a toujours la possibilité de travailler dans le même domaine. Je ne me cherche pas une direction générale, je ne me mets pas de pression… mais je vais toujours rester proche des arts de la scène.»     Quelques chiffres - 38 500: nombre de billets vendus en 2017-2018 -14 000: nombre de jeunes qui ont assisté à une représentation dans le cadre du volet scolaire -70: nombre de spectacles en 2017-2018 (44 en 2004) -140: nombre de représentations (90 en 2004) -3680: nombre record d’abonnés en 2017-2018 (en moyenne, 80% des abonnés se réabonnent) -1000: nombre de spectateurs qui ont bénéficié du programme Les Sorties 30 ans et moins (par rapport à 660 la première année)