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Francisation : des services réduits pour les adultes en milieu scolaire

le mardi 26 novembre 2024
Modifié à 16 h 00 min le 25 novembre 2024
Par Valérie Lessard

vlessard@gravitemedia.com

Les cours de francisation au Centre Camille-Laurin ont changé la vie de Paula Plata en 2019. (Photo : gracieuseté)

«C’est terrible ce qui est en train d’arriver.» Mélanie Mathieu, enseignante en francisation au Centre Camille-Laurin dans l’arr. de Greenfield Park à Longueuil ne mâche pas ses mots. La réduction des services de francisation aux adultes en milieu scolaire nuit aux immigrants qui travaillent fort pour s’intégrer dans leur société d’accueil, selon elle.

Comme dans de nombreux centres de services scolaires (CSS) au Québec, celui de Marie-Victorin a dû réduire son offre de services de cours de francisation aux adultes pour la nouvelle session afin de respecter les limites budgétaires imposées par le gouvernement du Québec.  Ce dernier a demandé de se fier aux données de 2020-2021, une année pandémique où l’immigration a été moins élevée. 

Neuf collègues de Mme Mathieu ont perdu leur emploi puisque six groupes de francisation ont fermé. Le CSS confirme la fermeture de deux groupes de niveau supérieur, ce qui représente 35 élèves. Il ne peut pas accueillir de nouveaux élèves provenant de Francisation Québec, ce qui représente environ 80 candidats qui étaient en attente d’une place.

Des cours précieux

«J’ai des gens dans ma classe en ce moment que ça faisait huit mois qu’ils attendaient d’avoir une place en francisation, explique l’enseignante. Certains ont essayé des cours en ligne, et à force d’essayer, ils se débrouillent, mais ce n’est pas tout le monde qui a une facilité pour les langues.»

La fermeture des groupes de niveaux supérieurs nuit aussi aux immigrants qui aspirent à retrouver leur profession. 

«On a beaucoup de gens très qualifiés. Des architectes, des ingénieurs, des comptables qui ont besoin d’un niveau avancé de français. Ils ont besoin de faire les huit niveaux pour être capable de faire les examens de leur ordre professionnel pour pouvoir travailler dans leur domaine», explique Mme Mathieu. Autrement, ils demeurent coincés dans des catégories d’emploi «que personne ne veut faire».

«C’est triste, on les laisse à eux-mêmes. J’ai tellement d’élèves qui travaillent à temps plein en plus d’étudier à temps plein. Ils passent 30 heures par semaine avec nous et ils travaillent facilement 40 heures par semaine. Ils font le ménage dans les tours à bureaux, ils sont livreurs de nourriture. Ils font tout ça dans l’espoir de retrouver leur profession», ajoute-t-elle.

Même constat du côté de Vanessa Veilleux, enseignante en francisation à l’Annexe Bourassa à Longueuil. La fermeture récente de groupes de francisation a un impact important dans la vie des personnes immigrantes.

 «Certains avaient un projet de vie. Ceux qui avaient commencé la francisation ne s’étaient pas nécessairement inscrits à l’université pour janvier, par exemple, puisque le délai pour eux était peut-être plus au mois de mars. Maintenant, ils se retrouvent devant un vide», souligne Mme Veilleux.

« Ça a changé ma vie »

Pour Paula Plata, immigrante d’origine colombienne arrivée au Québec en 2018, son passage en francisation au Centre Camille-Laurin en 2019 a changé sa vie. «Je pouvais enfin parler avec quelqu’un, je comprenais ce que les enseignants de ma fille disaient, je pouvais aller à l’épicerie et demander si je cherchais quelque chose», cite-t-elle en exemple. 

Ayant l’espagnol comme langue maternelle, elle ne comprenait rien dans ses premiers mois au Québec et se sentait très isolée. «J’étais habituée à parler tout le temps en travaillant à la banque dans mon pays. Mais en arrivant ici, je ne sortais pas dans la rue, j’avais peur de ne rien savoir, de ne rien comprendre», se souvient-elle. 

Les connaissances qu’elle a apprises en francisation dépassent celles liées à la langue. «On m’a appris les choses de la vie ici : comment je peux m’intégrer, comment je peux respecter les gens ici, comment je peux habiller mes enfants pour ne pas qu’ils aient froid», mentionne la maman de trois enfants. 

Si aujourd’hui Mme Plata a une garderie à la maison et qu’elle se sent en confiance de parler en français avec les parents des enfants, c’est aussi grâce à l’aide de ses professeurs. «Je n’ai pas de famille ici, mais j’ai eu de bonnes relations avec mes professeurs. Ils m’ont vraiment beaucoup aidée.»

Les enseignantes de francisation craignent que les immigrants qui n’ont plus accès aux services en milieu scolaire se retrouvent davantage isolés. «Il y a toute une structure dans les écoles, un milieu de vie. On a des orthopédagogues, des travailleurs sociaux, de nombreux professionnels qui peuvent les aider dans différentes sphères de leur vie», mentionne Mme Mathieu.   

Pas de coupe de budget, assure le ministre

En entrevue dans Le Devoir le 23 octobre, le ministre Jean-François Roberge s’est dit étonné de voir que des classes fermaient un peu partout au Québec alors qu’il assure ne pas avoir coupé dans le budget.

Selon le ministre, dans les six derniers mois, les CSS auraient francisé deux fois plus d’élèves dans toute l’année précédente. «C’est comme s’ils avaient choisi de dépenser 100 % de leurs budgets dans la première moitié de l’année. Puis là, ils nous disent qu’ils n’ont plus les sommes nécessaires pour poursuivre», a-t-il affirmé au Devoir.

Questionné sur les alternatives qu'ont les immigrants qui ne peuvent accéder aux cours en milieu scolaire, le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) a répondu que Francisation Québec travaille activement à «trouver des solutions».  Les personnes qui sont touchées par l'arrêt des cours ou la diminution du service n'auront pas à se réinscrire. «Leur dossier sera traité en priorité et elles pourront poursuivre leur apprentissage en réintégrant un cours durant les prochaines sessions en fonction des capacités et de l’offre de cours dans la région, indique Emmanuelle Allaire, conseillère aux affaires publiques au MIFI. Certaines personnes pourraient aussi être dirigées vers des cours en ligne.»

Selon les données du Ministère, le délai moyen d'attente pour commencer un cours à temps complet, lors d'une première inscription, était de moins de 80 jours pour la période entre le 1er avril et le 31 octobre 2024.

Pour les cours à temps partiel, le délai moyen d'attente était de 113 jours ouvrables en date du 4 novembre 2024.