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Incendie de la rue Toulouse: une vie à reconstruire

le mardi 19 février 2019
Modifié à 14 h 15 min le 14 octobre 2022
Par Ali Dostie

adostie@gravitemedia.com

La famille Laroche-Veillette (Photos: Denis Germain – Le Courrier du Sud)

Lorsque les pompiers ont «bashé» dans la porte pour les avertir qu’il y avait le feu, ils ont évacué par devant et n’ont pas vu les flammes et la fumée qui soufflaient derrière l’immeuble. Ils ont cru pouvoir rentrer quelques heures plus tard, retrouver le confort de leur lit. Ils ont cru ensuite pouvoir au moins récupérer quelques effets personnels. Des souvenirs, des photos... le chat. Mais non. Rien.

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Pour Janick Laroche, Catherine Veillette et leurs filles Léonie et Frédérique, la vie au 246, rue Toulouse a abruptement pris fin dans la nuit du 9 février, après 7 ans à en faire leur chez-eux.

«On n’a plus rien devant nous, ni derrière nous, décrit Janick. Comme si le temps s’était figé. On est comme en chute libre, on ne sait pas où on va arriver, où on va tomber. C’est un sentiment de vulnérabilité. Comme un mur. T’as pogné un mur, tu es collé là, ça ne veut pas décoller. Tu ne peux pas recommencer à vivre normalement.»

En quelques heures, ils ont perdu le contrôle de leur vie. Les points d’ancrage ont disparu. Et la prise de conscience est graduelle; c’est au fil des jours qu’ils en saisissent l’ampleur. Tout est à refaire: trouver un logement, refaire les certificats de naissance, les cartes d’assurance maladie, contacter Hydro-Québec, Vidéotron, planifier la rencontre avec les assurances – ils étaient l’une des rares familles de l’immeuble à en avoir –, trouver des vêtements, des meubles, des électroménagers, des matelas, la literie, la vaisselle... tout.

«Les réveils sont durs, quand on se rend compte qu’on n’est pas à la maison», admet Catherine.

«Si je pouvais garrocher toutes mes pensées dans un ordinateur pour que ça puisse s’organiser tout seul, ça serait plus simple, image-t-elle. Il y a tellement de choses à gérer. On ne se rend pas compte à quel point on est structuré. Et on perd... tout.»

Rebâtir ne se fait pas en deux jours. La famille est hébergée chez la mère de Catherine, à Mont-St-Hilaire.

Léonie, 13 ans, et Frédérique, 10 ans, ont pu retourner à l’école, malgré la tempête du 13 février et des journées pédagogiques.

Autour d’eux, le réseau d’entraide est solide et ils sont conscients que ce ne sont pas tous les sinistrés qui ont cette chance. Même le Club de soccer de Longueuil, où joue Léonie, a lancé un appel à la générosité sur les réseaux sociaux.

La famille a reçu plusieurs propositions de dons. «On a un filet incroyable en-dessous de nous. On a stocké à gauche et à droite, des gens nous prêtent leur garage, explique Janick. Mais ce sera une gestion monstrueuse de tout rassembler ça.»

«Racines secondaires»

Les écoles Lionel-Groulx et Gérard-Filion, que fréquentent respectivement Frédérique et Léonie, font aussi partie de ce «filet incroyable». Au lendemain du drame, la directrice générale de l’école secondaire écrivait aux parents pour les rassurer: l’établissement fournira le matériel scolaire, les déjeuners et les lunchs à Léonie. Et pas de stress avec les examens; le personnel sera conciliant.

«Le soutien que l’on a reçu, c’est magnifique, souligne Catherine. Les filles ont été bien prises en charge. Au niveau psychologique aussi... car on s’entend que ça va laisser des traces.»

Frédérique

À son retour en classe le mardi suivant l’incendie, Frédérique était accompagnée de la psychoéducatrice. «Le matin, on a fait la rencontre avec le nouveau directeur, M. Marc, raconte la jeune fille. Ensuite Madame Andrée m’a amenée jusqu’à ma classe. J’ai enlevé mon manteau, je suis rentrée, il y avait plein de lettres sur mon bureau, et dans mon bureau aussi. Tout le monde est venu me faire un câlin. C’était l’fun

«Ils étaient soulagés de te revoir», ajoute la maman.

Tant Léonie que Frédérique avaient hâte de retourner à l’école; un repère réconfortant dans ce tourbillon de bouleversements.

«C’est comme ma deuxième maison, tout le monde nous connait», dit Frédérique.

«Comme nos racines ne sont plus à l’appartement, ce sont les racines secondaires qui priment», remarque Janick.

Le moment où ils retrouveront un minimum de routine semble cependant encore loin.

Générosité jamais vue

Janick et Catherine vantent la rapidité et l’efficacité avec lesquelles la Croix-Rouge et la Ville de Longueuil sont intervenues auprès des sinistrés.

Sans compter le réseau bien développé d’organismes communautaires. Janick et Catherine en savent quelque chose. Il est coordonnateur au Carrefour Mousseau, à un jet de pierre de la rue Toulouse; elle travaille à l’Office municipal d’habitation de Longueuil. Elle le dit presque en chuchotant, consciente de l’ironie de la chose.

L’élan de générosité de la population, qui a multiplié les dons matériels et monétaires à l’endroit des sinistrés, les a tous deux soufflés. Un élan plus fort encore que lorsque l’incendie de la terrasse Turgeon a jeté 24 familles à la rue en 2016, selon Janick. «On se retrouve avec trois organismes complètement saturés en dons. C’est presque trois fois plus de dons et d’entraide que ce que j’ai vu dans le passé. Ça continue encore aujourd’hui, c’est impressionnant.»

«C’est juste incroyable, ajoute Catherine. La Ville, les organismes, le club de soccer, les écoles, la communauté... c’est beau. Une chance qu’on s’a. C’est vraiment ça.»

Saluer cette solidarité était l’une de ses motivations à accepter la proposition d’entrevue du Journal. «On ne pense jamais que ça peut nous arriver, jusqu’à ce que ça nous arrive. Je me sens solidaire avec ceux qui sont passés à travers ça. J’avais envie de partager», explique-t-elle aussi.

Deuxième naissance

Au-delà du matériel, ce sont aussi des souvenirs qui se sont envolés, cette nuit du 9 février. La perte la plus dure à digérer, selon Janick. «Cath et moi, ça fait 17 ans qu’on est ensemble. Ce sont les souvenirs de 17 ans de vie commune qui ont disparu. Ce sont les photos, les vidéos quand les filles étaient bébé, c’est tout ça... ce qu’on appréciait.»

Catherine pense aux traits sur le cadrage de porte marquant l’évolution des filles. «On ne retrouve plus ça. C’est l’enfance de nos enfants.»

Un collègue de Janick a imagé ce retour à zéro comme une deuxième naissance. Il n’y a selon lui pas meilleure image.

Léonie

Néanmoins, des souvenirs subsisteront. Ceux gravés dans les mémoires. Les événements réunissant la famille et les amis, entre autres. Appelée à identifier les souvenirs qu’elle gardera de ce cocon familial, Léonie, discrète depuis le début de l’entrevue, se fait hésitante. «Toutes mes fêtes d’enfant, dit-elle d’une voix douce. J’avais rénové ma chambre aussi...»

Le clan Laroche-Veillette restera à jamais attaché à l’endroit où se sont forgées les racines familiales. Catherine souhaite y laisser sa trace. Un besoin de dire «On était là». Peut-être qu’ils y planteront un arbre. «Ou un graffiti?», blague Léonie.

Frédérique admet qu’une fois l’immeuble reconstruit, elle aura l’impression que ceux qui s’installeront dans le logement du sous-sol auront un peu pris leur place.

«Tout sera différent, tout est devenu différent, dit Janick. Il faut qu’on se reconstruise quelque chose. L’idée est simple, mais le processus pour y arriver est plus compliqué. Ça va prendre du temps.»  

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