Chroniques
Opinion

Je suis une auteure féministe

le mercredi 04 mars 2020
Modifié à 17 h 27 min le 28 février 2020
Dans le cadre de la Journée des femmes du 8 mars, Gravité Média donne exceptionnellement la parole à l’auteure de séries télévisées Sylvie Lussier. Depuis quelques années, à mon grand déplaisir, le terme autrice s’est frayé un chemin dans la langue courante et les génériques. Je ne m’y fais pas. Mon oreille le rejette. Le mot se coince dans ma gorge. Le prétexte de ce changement? Augmenter la visibilité des femmes. En parlant d’une autrice, on saurait immédiatement son genre. Comme si dire «une auteure» n’était pas suffisant. Et si on refuse le nouveau mot à la mode, on est soupçonné du pire. On est une pauvre petite chose sans colonne vertébrale, écrasée sous la botte du patriarcat triomphant. J’exagère un peu mais il y a une pression certaine d’adhérer au nouveau dogme. Ce type de débat me semble stérile et superficiel. Du féminisme de façade. Une coquetterie linguistique inutile. Si le nom des métiers pouvait faire progresser l’égalité, ça se saurait. Les institutrices, qui avaient pourtant un joli nom en «trice», n’auraient pas eu à attendre la Loi sur l’équité salariale pour espérer un traitement comparable à celui de leurs confrères masculins. Et pourtant! Encore aujourd’hui, dans les universités québécoises, les femmes gagnent en moyenne 77% de ce que gagnent les hommes. Soixante-dix-sept! Il me semble que là, il y aurait matière à débat. La Loi sur l’équité salariale a été adoptée au Québec il y a plus de 20 ans. On en était si fières. Malheureusement, elle n’a pas rempli ses promesses. En 1996, les femmes gagnaient en moyenne 84 sous pour chaque dollar gagné par un homme. En 2016? 90 sous. On a gagné un gros 6 cennes. Les cennes noires ont disparu entretemps, mais pas les iniquités. Et un des grands responsables de cet état de fait? Notre gouvernement. Celui-là même qui doit faire respecter cette loi et qui est loin de prêcher par l’exemple. La fonction publique est majoritairement féminine au Québec. Avec les mesures d’austérité des dernières années, les conditions de travail des employés de l’état se sont grandement détériorées si on les compare à celles du secteur privé. Si le gouvernement s’attelait à rattraper son retard, c’est plus du tiers des inégalités salariales qui disparaîtraient au Québec. Il me semble qu’au lieu d’ergoter sur le nom des métiers, il y aurait lieu de s’assurer que les emplois dits traditionnellement féminins cessent d’être chroniquement sous-payés. Quant à moi, je suis trop vieille pour changer de métier. Je suis auteure depuis trente ans et avant cela, j’étais docteur en médecine vétérinaire, même pas de e à docteur. Ça ne m’a pas empêché d’être reconnue et respectée dans les deux métiers et de les exercer à ma manière. Avec mes sensibilités féminines et féministes.

Sylvie Lussier

Les chiffres proviennent d’un rapport de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) publié en février 2019. Ils recoupent ceux publiés par Statistique Canada en octobre dernier.

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