Culture

Jérôme 50: à bas les contraintes

le vendredi 31 janvier 2020
Modifié à 13 h 36 min le 31 janvier 2020
Par Ali Dostie

adostie@gravitemedia.com

Heureux mélange du premier opus Hiérarchill et de cet ovni qu’est Le camp de vacances de Jérôme 49, le spectacle de Jérôme 50 trace son chemin jusqu’au cœur du spectateur et fait immerger cette naïveté perdue qui, chez le chanteur de Québec, n’est jamais bien loin d’une forme de liberté. Le coup de téléphone à 11h a visiblement extirpé Jérôme Charrette-Pépin de son sommeil. Deux minutes – et un café Bailey’s en main – plus tard, il est fin prêt. «Notre quotidien est tellement pris dans quelque chose de stable et immuable. On se lasse de commencer nos semaines, nos journées. Je veux faire la promotion d’une naïveté que l’on peut tous retrouver», plaide Jérôme 50. On reconnait là l’auteur de 1, 2, 3, 4: «1 2 3 4, on s’fume un bat / Et on ne pense plus à rien / 5 6 7 8, toute va trop vite / Ça fait qu’on s’activera demain.» Naïveté Peu de temps après la sortie de Hiérarchill à l’automne 2018, l’auteur-compositeur-interprète a revisité sur album les chansons de camp de vacances telles que Si tu aimes le soleil et Trois p’tits chats. La représentation du 7 février au Théâtre de la Ville – la première de 2020 – en fera la part belle. «Les chansons de camp de vacances sont vraiment naïves. D’habitude, je prends un an pour écrire une chanson, pour trouver les bons mots. Là, ç’a pris deux jours. Comment ça va vieillir?» se demande-t-il, avant d’ajouter au détour d’une phrase que son but, «c’est d’écrire des tounes pour Céline Dion». Il faut entendre ses explications pour comprendre le lien. Car Le camp de vacances de Jérôme 49 pourrait en quelque sorte devenir l’équivalent de cet album «assez trash, sexe et drogues» qu’a créé l’artiste danoise MØ, des années avant qu’elle ne soit connue entre autres avec le succès Lean On. «Elle a osé, et maintenant, elle est une pop star. C’est hot de retrouver ça et d’apprécier quelque chose de moins léché.» Et Céline dans tout ça? «Imagine que Céline m’appelle pour que je lui écrive des chansons et que j’écris un album complet pour elle. Ses fans fouilleraient sur ce que j’ai fait… et trouveraient Camp de vacances.» Liberté Dans la vidéo Avez-vous vu Jérôme 50? Maintenant oui. de la Grosse boîte, le chanteur affirme avec candeur se «soûler en écoutant du Klô Pelgag. Mais je pense que ce n’est pas tout le monde qui le fait.» Celui qui aspire à ce que ses chansons se hissent au rang de classiques rêve-t-il à pareil sort pour ses pièces? «J’aimerais que les gens fassent l’amour en écoutant ma musique. Je ne sais pas c’est comment à Montréal, mais à Québec, il y a quasiment des flèches en sortant de l’autobus pour nous dire de virer à gauche. "Fait pas ci, fait pas ça". On est tellement contraints. L’acte sexuel, c’est libérateur.» Il est vrai que Hiérarchill en appelle à une certaine liberté. La chanson qui donne le titre à l’album est un «éloge aux chilleurs», à ses amis qui, pour prendre une avenue différente et retrouver une autre forme de bonheur, ont décidé d’arrêter l’école, cette «usine à diplômes qui a perdu le sens de l’éducation: former un humain», décrit celui qui a étudié en enseignement du français et a suivi des cours de linguistique. «Avec un diplôme et une bonne job, tes skis sont peut-être plus performants que ceux achetés au marché aux puces, mais j’ai cru voir chez mes amis un bonheur plus simple, plus vrai. Une simplicité volontaire dans le quotidien, une joie de vivre.» Chez cet amoureux des mots, la langue est aussi décomplexée que les jeunes qui dévalent une pente en rouli-roulant dans sa chanson Skateboard. Ses dictionnaires – dont l’indispensable Dictionnaire des coocurrences – sont toujours à portée de main sur son bureau. Les emprunts à l’anglais ne l’inquiètent pas, anglicismes et calques ayant toujours été de l’histoire de l’évolution de la langue française. À son avis, la façon d’enseigner le français au Québec devrait être revue. «Le français est en train de changer et les mentalités conservatrices ne lui permettront pas de survivre. Il faut libérer la langue.» «C’est triste de restreindre. Dans le meilleur des mondes, on arrêterait de chicaner les enfants qui font des fautes. Il faut encourager la création des mots. Si on crée le mot chillitude, c’est parce qu’il y a un besoin. Sinon, on ne le dirait pas», juge celui dont la chanson Sexe, drogue, ceri$e$ & rock n’roll compte quelques perles d’adverbes, dont universitélavalement et transcanadiennement. Sa langue et sa ville Dans ses chansons, Jérôme 50 met de l’avant un habile travail de la langue, qui fait honneur à ce français sans contraintes. «Les jeunes cherchent toujours un modèle linguistique différent. Si tu essaies de leur apprendre du Gilles Vigneault, tu es à côté de la track; c’est une période où tu essaies de t’autodéterminer, tu veux faire quelque chose qui se distingue.» Alors qu’il a grandi avec la musique de Richard Desjardins qui jouait dans le salon, Jérôme 50 a exploré et embrassé l’œuvre de cet auteur-compositeur-interprète phare du paysage musical québécois, au point d’aller vivre à Rouyn-Noranda, pour habiter et «comprendre» comment Desjardins a pu mettre sa ville en chansons. «J’ai essayé de faire ça à mon retour, des chansons qui transpirent Québec, son quotidien: le cinéma Odéon le vendredi soir, les Remparts le samedi après-midi, Place Laurier», énumère-t-il. «J’espère que dans Hiérarchill, on sent mon rapport à ma ville.»