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L’antenne du REM vers l’aéroport, succès sous-estimé ou éléphant blanc ?

le lundi 19 octobre 2020
Modifié à 13 h 36 min le 19 octobre 2020

Le débat se poursuit au sujet de l’antenne du Réseau express métropolitain (REM) qui desservira bientôt l’aéroport Montréal-Trudeau. Éléphant blanc pour certains, équipement essentiel pour d’autres, le chantier du REM vers l’aéroport a commencé bon an, mal an le 15 octobre. Rappelons que le projet du REM, piloté par la filiale CPDQ Infra de la Caisse de dépôt et placement du Québec, inclut une antenne vers l’aéroport reliée au tronçon qui remplacera l’actuelle ligne de train de banlieue vers Deux-Montagnes. Cette antenne doit relier le Technoparc de Saint-Laurent, où la station Marie-Curie est actuellement en construction, par un tunnel de trois kilomètres sous des milieux humides dans le Technoparc, puis sous les pistes d’atterrissage et l’aérogare. Les travaux doivent être menés sans interrompre le trafic aérien et sans causer de vibrations pour la tour de contrôle. Le chantier du tunnel est estimé à 500 M$. La gare elle-même, qui doit être aménagée à 35 mètres sous l’actuel stationnement étagé de l’aéroport, est évaluée à 600 M$. La mise en service est fixée à 2023. Le temps de trajet entre l'aéroport et la Gare centrale est évalué à 26 minutes. La fréquence sera d’une voiture aux 10 minutes en période de pointe et aux 15 minutes en période hors pointe. Dans une étude préparée par la firme Steer Davies Gleave en février 2017 pour CDPQ Infra, on prévoit 5648 embarquements quotidiens à l’aérogare dès 2031 et 318 à la gare Marie-Curie. Les stations Bois-Franc et Du Ruisseau, les seules qui desserviront directement l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville, devraient respectivement en afficher 8968 et 3696. Trop cher Les opposants à ce projet se sont exprimés par une lettre coup de gueule dans Le Devoir, le 21 septembre dernier. «Nous appuyons totalement un lien de transport en commun sur rail entre Montréal et l’aéroport, explique Luc Gagnon, bénévole à la Coalition Climat Montréal, un des organismes signataires de la lettre. Mais il y a moyen de fournir un tel service pour beaucoup moins cher que le REM.» M. Gagnon explique qu’un projet de tramway reliant la station de métro Lionel-Groulx à l’arrondissement Lachine pourrait être prolongé vers l’aérogare pour 200 M$. «C’est beaucoup moins que l’antenne du REM», ajoute-t-il. Ce dernier mentionne aussi que certaines lignes d’autobus de la STM effectuent plus de 30 000 embarquements quotidiens. «Avec le milliard de dollars de l’antenne du REM, on construit une ligne complète de tramway vers ce même aéroport, mais qui générera plus de 50 000 embarquements quotidiens», dit-il. «Je ne suis pas un spécialiste en transports, mais comme je suis ce dossier depuis 40 ans, je constate qu’un lien passant à proximité des lignes ferroviaires du CN et du CP, le long de l’autoroute 20, aurait été réalisé à un coût beaucoup plus raisonnable», soutient pour sa part Pierre E. Lachapelle, des Pollués de Montréal-Trudeau. Ce dernier s’indigne du fait qu’une gare existe déjà sous l’hôtel Marriott et la jetée transfrontalière de l’aérogare. Elle sert de stationnement et ne sera jamais intégrée au REM, car elle était prévue pour un lien passant depuis le sud. Celui du REM vient du nord et aboutit ailleurs. «Les gestionnaires de l’aéroport ont manqué de sérieux, car un lien vers le centre-ville aurait dû être la première préoccupation dans les années 1990, reprend-il. Ça traduit leur manque de conviction envers le transport en commun. Ils ont préféré fermer Mirabel, une aérogare moderne, déjà dotée d’une gare de transport en commun, pour tout concentrer à Dorval, que l’on rénove depuis des décennies.» Au mieux, les dirigeants auraient pu construire une passerelle au-dessus des stationnements, avec trottoir mécanique, vers l’actuelle gare de train de banlieue, située à un peu plus d’un kilomètre de l’aérogare, affirme-t-il. «Ça ne coûterait pas 1 G$», ajoute-t-il. Pauvre comme Job La COVID est venue compliquer la réalisation du projet. Avec un achalandage en baisse d’environ 90%, Aéroports de Montréal (ADM), l’OBNL qui gère les installations aéroportuaires, n’a plus les moyens de ses ambitions. Avant la pandémie, l'aéroport Montréal-Trudeau connaissait une des croissances du trafic aérien les plus importantes du continent. Or, si la configuration des pistes permet d’ajouter encore plus de vols, celle de l’aérogare et surtout de ses approches, conçues dans les années 1950, est souvent complètement congestionnée. La circulation déborde même quelques fois sur l’autoroute 520. L’aérogare est désormais entourée d’une mer de stationnements. En conséquence, ADM a conçu un plan de modernisation intitulé Côté Ville, prévoyant la démolition et la reconstruction de la rampe d’accès et des stationnements étagés, qui sont en fin de vie utile, ainsi que l’ajout d’espaces à l’aérogare et… d’une station du REM. Ce projet de plus de 2,5 G$ est suspendu par la situation financière précaire d’ADM. L’organisme a récemment demandé un prêt de 600 M$ à Québec et à Ottawa pour au moins compléter le chantier de la gare du REM. Le creusage du tunnel a d'ailleurs commencé le 15 octobre. Côté financement, toutefois, nulle nouvelle n'a filtré. «Nous sommes convaincus que les deux gouvernements conviendront avec nous rapidement de la nécessité de construire cette infrastructure publique qui permettra à la fois de réduire les GES et de participer à la relance économique, tout en hissant Montréal au rang des grandes villes qui ont un lien rapide vers leur aéroport international», nous a écrit la porte-parole d’ADM Anne-Sophie Hamel. À ce sujet, voici ce qu'a écrit au Journal des voisins la ministre du Développement économique et des Langues officielles Mélanie Joly, députée d’Ahuntsic-Cartierville, en réponse à notre demande d'entrevue. «Comme dans toutes les grandes villes du monde, une connexion entre le centre-ville et l’aéroport est essentielle. Les transports en commun sont également un moyen de continuer de lutter contre les changements climatiques. C’est pour cela que depuis le début, nous appuyions le projet du REM. Nous allons continuer de travailler avec l’aéroport de Montréal et nos autres partenaires, incluant la Ville de Montréal et le gouvernement du Québec. Pour ma part, je continuerai d’être à l’écoute des préoccupations des citoyens d’Ahuntsic-Cartierville.» Nécessaire Le REM regroupe quatre projets de transports en commun qui étaient étudiés depuis plusieurs décennies : le SLR Montréal-Brossard; la deuxième modernisation du train de banlieue Montréal-Deux-Montagnes; le projet de train vers l’Ouest (modernisation de la ligne vers Vaudreuil); et le projet d’Aérotrain défendu initialement par ADM, explique Pierre Barrieau, chargé de cours aux universités de Montréal et de McGill, urbaniste et spécialiste de la planification et de l’histoire des transports en commun. Il rappelle que le projet d’Aérotrain, qu’ADM devait construire et opérer à ses frais, devait relier l’aérogare et la station Lucien-L’Allier. Mais le ministère des Transports du Québec a en quelque sorte torpillé le projet en ne l’autorisant qu’après la réfection des échangeurs Turcot et Saint-Pierre (desservant le pont Mercier), en… 2036. «Le projet de REM piloté par la Caisse de dépôt a sauvé le principe d’un lien de transport en commun sur rail entre l’aérogare et le centre-ville, dit-il. La Caisse offrait une gare typique du REM, mais ADM avait des exigences supérieures pour le confort. Les deux organismes se sont donc partagé les coûts du projet, alors qu’ADM connaissait une croissance effrénée de son achalandage et fonctionnait au-delà de sa capacité. Ce contexte ne tient plus.» M. Barrieau croit qu’il ne faudra que deux ou trois ans après la fin de la pandémie pour qu’ADM revienne en mode croissance. Et que le REM est incontournable, car la desserte en taxi ou par automobile est saturée. «Montréal est une des seules grandes villes au monde sans aucun lien de transport en commun sur rail avec le centre-ville, dit-il. Nous sommes très en retard. Le REM permettra aussi aux Montréalais des quartiers centraux, notamment ceux d’Ahuntsic-Cartierville, de se rendre à l’aéroport en transport en commun, plus rapidement et moins cher qu’en taxi. Et de polluer moins pour s’y rendre. De plus, il desservira une clientèle sous-estimée : les travailleurs de l’aéroport.» Il considère que la popularité de la ligne 747 a prouvé la nécessité du REM, mais qu’une bonne part de la clientèle potentielle, notamment les gens d’affaires, rebute à utiliser l’autobus, y préférant le train, pour une question de vitesse, de confort et d’image. Sous-estimé Contrairement à plusieurs critiques, M. Barrieau croit que l’achalandage projeté du REM vers l’aéroport est sous-estimé. «Partout dans le monde, quand vous investissez dans le transport en commun, malgré les coûts de construction astronomiques, l’achalandage est toujours bien plus important qu’envisagé au départ», dit-il. Sur le plan du bruit, que dénonce notamment les Pollués de Montréal-Trudeau, M. Barrieault croit que plus les années passent, moins les avions sont bruyants, même s’ils transportent davantage de passagers. Malgré cela, un aéroport international demeure une énorme source de pollution sonore et atmosphérique, même s’il représente un pôle de développement économique fondamental. «Évidemment, conclut-il, avec Montréal-Trudeau, les gouvernements n’ont pas tenu un débat de société nécessaire, pour lequel nous payons aujourd’hui le prix : est-ce acceptable d’avoir un aéroport international en pleine ville?» Texte de Simon Van Vliet, Initiative de journalisme local, Journal des voisins