Culture

L’art de la chute: les muses de l’argent

le lundi 22 octobre 2018
Modifié à 16 h 34 min le 22 octobre 2018
Par Ali Dostie

adostie@gravitemedia.com

THÉÂTRE. Qu’est-ce qui fait que les œuvres d’un artiste sont soudainement les plus courues et se vendent à des millions de dollars alors qu’elles peuvent tout aussi soudainement perdre la moitié de leur valeur? Les aléas de l’élan créateur dudit artiste ne seraient qu’un (faible) élément de l’équation… quand tout est question de fric, de gros fric. Alors que le coup de marketing de Banksy a semé l’étonnement et encouragé les théories les plus folles afin de démystifier ce qu’il est réellement advenu de la Girl with Balloon déchiquetée, L’art de la chute, en tournée avec le Théâtre La Licorne, dont au Théâtre de la Ville les 27 et 28 octobre, tombe à point. L’art de la chute plonge dans le milieu des finances et de l’art contemporain. Alice Leblanc, qui crée des installations sculpturales, est dans un creux de vague professionnel et décroche une résidence de création à Londres. Elle sera aux côtés de son amie, qui œuvre dans le milieu des finances, lorsque cette dernière perdra son emploi. C’est en septembre 2008, année de la faillite de la banque Lehman Brothers. Le même jour, Alice assiste à une vente aux enchères où un artiste vend ses œuvres pour la somme de 212 M$. Elle y rencontre un collectionneur d’art et trader, qui avait vu venir la chute économique et a su saisir l’occasion pour s’enrichir. L’art de la chute, c’est la chute de Lehman Brothers, mais aussi des oeuvres, qui peuvent passer du sommet aux tréfonds. «C’est un clin d’oeil à la finesse de la stratégie, de la pensée derrière ces chutes, expose l’actrice Marianne Marceau, qui est l’une des auteurs de ce collectif. Qu’est-ce qui s’est passé pour causer la crise de 2008? La pièce s’intéresse aux stratégies derrière ces monstres que sont la finance et le marché de l’art contemporain.» Cette rencontre entre un trader qui empoche 200 M$ en un jour et une artiste au revenu de 25 000$ va changer une partie de la vie d’Alice. «Son œuvre, très engagée, est affectée par la spéculation. Elle voit les répercussions dans sa vie. La spéculation amène un rapport insidieux, irresponsable, qui manque d’éthique», détaille la comédienne. «On pose la question de l’éthique, mais on ne pose pas de jugement. On va des deux côtés», ajoute-t-elle. Car accoler une valeur monétaire à une œuvre est légitime… mais quelle valeur? Qui tire les ficelles et fixe le prix d’une toile devenue marchandise? «On ne garde que la valeur objectale. Mais l’art doit porter une valeur humaine. Elle révèle quelque chose de l’humain. La mission de l’art est déjouée par des gens qui font un jeu de valeur. La valeur des artistes est entre les mains des collectionneurs, qui décident.» Démystifier En montant cette pièce, l’un des buts de Jean-Philippe Joubert était de vulgariser certains concepts importants de l’économie, qui peuvent sembler complexes mais qui s’avèrent assez simples, souligne Marianne Marceau. «On donne les clés pour saisir les enjeux de la fiction, soulève-t-elle, ce volet didactique étant l’un des intérêts du show… et qui a fait son succès.» Spéculation, banque d’investissements, Lehman Brothers, papiers commerciaux adossés à des actifs sont quelques notions décortiquées. Le tout est présenté de façon variée, dynamique, intégrée à la fiction, un personnage se retrouvant par exemple à chanter l’un de ces concepts au karaoké. La pièce décrypte aussi quelques réalités du monde du marché de l’art contemporain, très niché, qui attire essentiellement les gens très fortunés. Une couche de plus Un an et demi après avoir présenté la pièce au Théâtre Périscope de Québec, Marianne Marceau pose un regard différent – une couche d’analyse supplémentaire – sur L’art de la chute. «Ce qu’on fait de cette pièce en dit sur notre rapport à l’argent… et à la femme, ajoute-elle. Mais c’est bien personnel, comme point de vue. Je ne sais pas si mes collègues le partagerait.»