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Le prix à payer

le mardi 25 septembre 2018
Modifié à 10 h 05 min le 25 septembre 2018
Par Jonathan Tremblay

jtremblay@gravitemedia.com

Félix Levasseur souhaite sensibiliser les athlètes

Ayant bénéficié d’un laissez-passer lors des huitièmes de finale, le Collège Français affrontait le Titan au tour suivant des éliminatoires de 2011. Pour plusieurs, cette série remportée en cinq matchs n’est que vague souvenir – même si cette année-là, le CF avait soulevé la Coupe Napa −, mais elle sera à jamais gravée dans la mémoire de Félix Levasseur. Le défenseur de 6pi 4po conserve un souvenir très clair de l’affrontement du 4 mars 2011.  

Après un but dans un filet désert, il se retrouve dans le coin de la patinoire avec quelques secondes à écouler. Un attaquant de Princeville se dirige vers lui avec l’idée de terminer sa mise en échec, «question de préparer le prochain match, comme il est coutume au hockey».

Levasseur absorbe sans broncher. Cependant, quelque chose cloche au bas de son dos. Rapidement, ses jambes se crispent. À cet instant, le natif de Saint-Hyacinthe croit ses chances de rechausser les patins pour la balance des séries pratiquement nulles. Le lendemain, il rencontre un médecin, qui le remet sur pied. Le pilier du CF à la défense a pris part à toutes les rencontres suivantes, et même à la Coupe Fred Page. À 20 ans, malgré la douleur, il s’est aligné avec les Hawks de Hawkesbury de la Ligue centrale de hockey junior A de l’Ontario, pour ce qui s’est avéré sa dernière saison. À l’automne 2012, le hockeyeur se préparait à porter l’uniforme des Patriotes de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Mais après trois semaines d’entraînement, ses maux de dos sont devenus insoutenables. Douleur chronique Depuis ce vendredi soir de 2011, Félix Levasseur vit avec une douleur chronique en raison de deux hernies au bas du dos, diagnostiquées en décembre 2011. Une douleur si importante qu’elle a eu des conséquences néfastes sur toutes les sphères de sa vie. «Ça part du dos et ça descend jusque dans la cuisse. Ce n’est pas constamment comme un coup de couteau, mais davantage comme un étau qui se resserre sur mon corps», expose-t-il.
«Il y a une certaine solitude dans la douleur. Je ne suis pas du genre à me plaindre tout le temps. Je ne souhaite pas ça à mon pire ennemi.» -Félix Levasseur
À trois reprises, Félix a dû abandonner ses études universitaires, un billet médical justifiant son manque de concentration et de motivation. Il a depuis terminé son baccalauréat en psychologie mais a laissé tomber sa maîtrise et son doctorat, dont les sujets de thèse portaient entre autres sur les blessures au hockey. Au cégep, Félix Levasseur enlignait pourtant les sessions de neuf cours, en plus des pratiques et des parties de hockey au calendrier. «Je faisais ce qu’il fallait pour obtenir mon préuniversitaire en deux ans. Maintenant, je n’ai plus exactement la même confiance en moi, admet-il. Le nombre de choses que j’ai dû abandonner…» Il mentionne également avoir renoncé à certains emplois, ne trouvant pas l’énergie nécessaire pour accomplir ses tâches. «Il y a quelque chose de vicieux avec la douleur chronique; on finit par s’identifier à elle. C’est assez facile de sombrer là-dedans», continue l’ancien porte-couleurs du CF. Ce dernier doit aussi consommer plusieurs médicaments antidouleurs chaque jour. «Ça fait partie de mon quotidien, si je veux espérer fonctionner», précise-t-il, assurant toutefois avoir observé du progrès dans son état au cours des dernières années, résultat d’un travail acharné. [caption id="attachment_57345" align="alignleft" width="350"] Photo: Denis Germain - Le Courrier du Sud[/caption] Repenser son quotidien Pour Félix, le plus difficile est de maintenir un bon fonctionnement au quotidien. «J’ai 26 ans et j’habite encore chez mes parents. Travailler, étudier et avoir une vie sociale, il faut oublier ça. Il faut que je fasse des choix.» S’il a quelques projets pour la fin de semaine, Félix doit se demander comment il fera s’il souffre trop et s’il aura assez de médicaments. Désormais, il rationne tout, de son nombre d’activités à ses heures de travail. «Ma copine me comprend. Mais parfois, même aller prendre une bière avec des amis devient une corvée. Ce n’est pas tout le monde qui comprend cette réalité», convient-il. Même s’il a dû baisser ses attentes en matière de forme physique, lui qui s’entraînait 13 jours sur 14, il essaie de demeurer le plus actif possible. «Je joue au tennis, au golf et je fais du vélo. Je n’ai pas le choix, dit-il. Quand je passe plus de trois jours sans activité physique, je suis ankylosé et la douleur devient plus vive.» Sensibilisation S’il pouvait retourner dans le temps, Félix Levasseur ferait probablement les mêmes choix. «Pour moi, c’était une blessure de guerre, une blessure des séries…» avoue-t-il. L’athlète ne rejette cependant le blâme sur personne. «J’ai toujours été libre de faire mes propres choix. Neuf médecins sur dix me disaient d’arrêter le hockey, mais je n’ai écouté que celui qui me disait que je pouvais continuer.» Loin de lui l’idée de se plaindre; l’ancien joueur junior espère simplement joindre d’autres sportifs qui comprennent sa réalité et sensibiliser les autres. «J’aurais dû arrêter pendant quelques mois au lieu de continuer. C’est toi qui est pris avec ce corps-là, à la fin», conclut-il. Une classique de «maganés» Félix Levasseur aimerait organiser une classique de hockey ou de baseball avec des joueurs «maganés». Il ne ferme pas la porte non plus à éventuellement rencontrer des équipes de hockey pour leur parler de sa situation et pour les prévenir de prendre de bonnes décisions lorsqu’une blessure survient.

« On ne le sait jamais d’avance » -Pierre Petroni

Appelé à se remémorer les événements ayant mené à la blessure de Félix Levasseur, l’ex-entraîneur Pierre Petroni avoue ne pas en avoir conservé de souvenir clair. [caption id="attachment_57349" align="alignright" width="282"] Pierre Petroni
Photo: Archives - Le Courrier du Sud[/caption] «C’est vague pour moi, ça fait longtemps, admet-il. Je sais qu’il a eu mal au dos. Je me souviens que notre soigneur Richard Généreux en a pris soin.» L’aurait-il laissé jouer s’il avait su l’impact que cette blessure a eu sur son quotidien? «Se remettre en question, c’est facile. On ne sait jamais, observe l’ancien instructeur. Chaque cas est différent. Il y a plein de joueurs qui s’en sont bien sortis après une blessure.» Petroni soutient que si Levasseur lui avait mentionné qu’il croyait que sa blessure pouvait avoir des conséquences sur sa vie, il serait intervenu. «Avant de faire jouer un gars, je m’assure d’avoir un avis d’expert. Le médecin décide quand le joueur est prêt à revenir au jeu. Mais après, c’est le choix du joueur.» «Est-ce qu’un athlète olympique ne participe pas à sa finale en ne sachant pas s’il est vraiment en mesure d’y prendre part? Après coup, c’est facile de «prédire l’avenir». On ne le sait pas. On ne le sait pas!» laisse entendre Pierre Petroni, haussant les épaules. Procédure claire et suivie Au Collège Français, dès qu’un joueur se blesse, la procédure est claire: il est évalué par le soigneur Richard Généreux. S’il est nécessaire que le joueur consulte un médecin, l’organisation s’assure qu’il en consulte un excellent. «Chez nous, c’est la grande classe. On travaille juste avec les meilleurs», affirme Petroni. À partir de quel moment l’organisation décide-t-elle qu’un joueur ne joue pas en raison d’une blessure? «Je ne décide rien; c’est Richard qui décide, explique le président et directeur général. Premièrement, un match de saison et un des séries, c’est complètement différent. Une des questions que tu dois te poser c’est: Est-ce que le joueur peut aggraver sa blessure?» Dans le cas des commotions cérébrales, c’est évidemment une autre histoire. «Il y a le protocole. Et chez nous, on est bien strict là-dessus», assure Pierre Petroni. Le protocole de gestion des commotions cérébrales établi par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport consiste à: la détection; la période d’observation; le repos initial; la reprise graduelle des activités intellectuelles, physiques et sportives; les évaluations médicales; ainsi que la communication et la concertation avant la reprise des activités. Un manque de prévention? Pierre Petroni croit-il qu’il y a un manque de prévention concernant les blessures auprès des athlètes dans les équipes amateurs? «Il y a trop de charlatans. Des parents, des coachs qui veulent gagner à tout prix. Moi, tu ne me feras pas gagner à tout prix si le gars est blessé et que c’est grave», conclut-il.

Une douleur provenant du système nerveux

Le professeur Serge Marchand, qui s’intéresse à la neurophysiologie de la douleur, à l’évaluation de la douleur expérimentale et clinique ainsi qu’à l’effet placebo, vulgarise bien ce qu’est la douleur chronique. «Le système nerveux reçoit le même signal que si la blessure était toujours présente. C’est une vraie douleur, mais c’est le système nerveux qui la maintient, explique-t-il. La douleur, c’est une perception. C’est un système d’alarme. Le système nerveux est bon pour amplifier la douleur ou la réduire selon le contexte. Ce qu’il veut, quand vous vous faites mal, c’est que vous ayez une réaction. Pendant un match, en raison de l’adrénaline, on ne le réalise pas toujours.» La douleur chronique proviendrait donc d’une mémoire installée dans le système nerveux d’un individu ayant subi une blessure. Des personnes seraient génétiquement plus propices à la développer. «Malheureusement, dans certains cas, la douleur perdure, même quand il n’y a plus de blessure, note-t-il. Chez d’autres, ça part après un certain temps.» Les sportifs seraient plus enclins à développer ces troubles. «Si le système nerveux est attaqué par plusieurs informations douloureuses, comme chez les sportifs, il va se sensibiliser plus facilement», explique le chercheur. La pharmacologie est la méthode la plus utilisée pour traiter la douleur chronique, car elle est «rapide et simple. Les gens veulent avoir des effets tout de suite.» Le Dr Marchand prône cependant l’activité pour diminuer l’intensité de la douleur et propose d’autres techniques mentales telles que la relaxation et l’hypnose. «Lorsque la douleur est persistante, elle est dure à traiter. On répond tous différemment aux traitements pour ce type de douleur. C’est pourquoi les cliniciens travaillent à développer la médecine personnalisée pour déterminer le traitement le plus efficace.» Le Dr Marchand conclut qu’il faut expliquer aux jeunes que s’ils font de l’excès, ils vont le payer plus tard.

« On se dit: je vais jouer quand même ! » -Sylvain Guimond

«Quand tu rêves d’une grande carrière, te résigner à ce qu’une blessure t’empêche de réussir, ce n’est pas évident, admet le docteur en psychologie du sport Sylvain Guimond. Dans notre mentalité de hockeyeur nord-américain, on se dit: hey, je vais jouer quand même!» Selon lui, ce problème serait causé par la crainte d’être laissé de côté. «Les athlètes blessés ne le disent pas, car ils ont peur d’être retranchés. S’ils ratent des matchs, ils vont se faire remplacer. Dans une équipe, tout le monde s’aime, mais les joueurs sont là pour leurs intérêts personnels.» Sylvain Guimond croit qu’aucun joueur ne joue sans douleur. «Avec deux ou trois matchs par semaine, des pratiques, de l’entraînement, c’est certain que tu as des petits bobos.» Une culture à changer L’auteur et conférencier déplore la mentalité entourant les mises en échec au hockey. «Il y a une culture qui est de frapper fort pour blesser. Il y a un manque de respect total. C’est vrai dans la Ligue nationale de hockey, c’est vrai partout.» «Je voudrais qu’on se concentre sur la manière de prévenir les commotions et les blessures. Pour ça, il faut changer certains règlements. La mise en échec doit être enseignée pour récupérer la rondelle et non pour séparer le joueur de la rondelle. Aujourd’hui, ce n’est plus acceptable», explique le Dr Guimond. Plus d’examens Pour Sylvain Guimond, dans un monde idéal, chaque athlète subirait un examen physique et médical avant sa saison, peu importe la ligue où le sport. «Au moins pour avoir une idée de l’état de la personne au début de l’année.» «Je rêve du jour où un électroencéphalogramme quantitatif, moins invasif qu’un scan, serait fait au début de chaque saison. Si l’athlète subit une commotion, les séquelles pourraient alors être détectées, confie-t-il. J’aimerais que les athlètes aient des examens médicaux et fonctionnels réguliers, qu’ils soient soignés le plus rapidement possible et qu’on s’assure qu’ils soient rétablis à 100% avant de leur permettre d’effectuer un retour au jeu.» Le spécialiste de la posture considère cependant plus ardu d’établir un protocole clair lorsqu’une blessure autre qu’une commotion survient. Il concède tout de même que «la plupart des équipes sont mieux équipées qu’avant en termes de physiothérapeutes. Du progrès a été fait à ce chapitre.» Pour ce qui est du cas particulier de Félix Levasseur, Sylvain Guimond ne veut pas s’avancer, mais garde espoir. «En générale, une hernie discale va souvent se résorber. Le tissu qui a été crevé va s’assécher, diminuer. La blessure reste toujours, mais elle n’est plus symptomatique. La personne l’a encore, mais il n’y a plus de douleur.»