Opinion

Opinion : à propos de la théorie d’Albert Lebeau sur Jacques Cartier

le samedi 16 juillet 2022
Modifié à 10 h 04 min le 13 juillet 2022

Monument de Jacques Cartier à Montréal. (Photo : Le Reflet – Denis Germain)

L’auteur de cette lettre ouverte est ethnohistorien. Il a fait paraître l’ouvrage Gens du fleuve, gens de l’île en septembre dernier.

La Carte Harleiane (Harleian Map), dont il est question dans le reportage Jacques Cartier à Sainte-Catherine?, est l’un des cinq documents cartographiques connus réalisés entre 1542-1543 et 1569. Marcel Trudel a reproduit cette carte historique dans son Atlas de la Nouvelle-France publié en 1968 (document 17, pages 47-48). L’originale se trouve en Angleterre mais une copie est conservée dans la collection de Bibliothèque et Archives Canada.

Tout ce que ces cinq cartes, incluant la Carte Harleiane dressée probablement vers 1542, indiquent et confirment, c’est que Jacques Cartier, lors de ces deux visites dans l’archipel d’Hochelaga (1535 et 1541), suivi de Roberval (1542-1543), ont emprunté le côté sud du fleuve à la hauteur de l’île de Montréal et ne sont pas parvenus à remonter le courant Ste-Marie.

Somme toute, les cinq cartes produites avant 1570 attestent que Cartier et Roberval n’avaient pas établi l’insularité de Montréal. En clair, si les deux colonisateurs français avaient emprunté la route de la Rivière des Prairies, du côté nord, ils auraient été à même de déboucher sur le lac des Deux-Montagnes et de réaliser que Montréal était une île.

Il est hautement probable qu’en 1535 et en 1541, Cartier et ses compagnons aient arpenté les bords et exploré les rives du Saint-Laurent entre Stadaconé (Québec) et Hochelaga (Montréal).  D’autant qu’ils s’étaient établis à Charlesbourg-Royal (Cap Rouge), durant neuf mois, entre septembre 1541 et mai 1542.

Pérorer toutefois que Cartier n’aurait pas débarqué sur l’île de Montréal en 1541, mais qu’il se serait rendu plutôt à Sainte-Catherine, voilà une affirmation gratuite qui va à l’encontre du texte de la relation de voyage du navigateur malouin et de tout ce qui s’est écrit sur le sujet depuis 1860, tant en histoire qu’en archéologie. Les villages iroquoiens de Hochelaga (1535) et de Tutonaguy (1541) visités à deux occasions et décrits par Cartier n’étaient quand même pas situés à La Prairie ou à Sainte-Catherine.  C’est là un fait d’évidence que ces communautés de village étaient établies sur l’île de Montréal, à environ 8 kilomètres, du lieu de débarquement de Cartier (fort probablement en aval de Pointe-à Callières) et en retrait du fleuve.

Lorsque M. Lebeau prétend qu’il ne s’agit pas d’une opinion émise mais bien d’un fait avéré, il s’aventure sur une pente glissante. Ce dernier aurait intérêt à savoir qu’un fait historique est quelque chose qui s’est passée ou qui s’est pensée. Et surtout qui fait consensus.

Quand M. Lebeau claironne qu’il s’agit d’une certitude qui saute aux yeux du lecteur en lisant Cartier, il voit ce qu’il veut bien voir. Il nous livre son interprétation personnelle d’un fait historique. Ce qui peut s’appeler aussi parfois subtilement «prêcher pour sa paroisse».

Roland Viau, Salaberry-de-Valleyfield