En plus de vouloir établir des données fiables sur le phénomène de radicalisation chez les jeunes au Québec, le directeur du nouveau centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux et la radicalisation (CEFIR) de la Rive-Sud, Martin Geoffroy, croit que l’éducation populaire demeure la meilleure arme contre l’extrémisme religieux.

«Qu’est-ce que peut faire un prof de cégep pour détecter la radicalisation de certains de ses étudiants? Rien. Il n’a pas les qualifications ni l’autorité pour dénoncer des cas hypothétiques. La seule chose qu’il peut faire, c’est de l’éducation, car il est avant tout un enseignant», écrivait Martin Geoffroy dans son article Comment contrer la radicalisation, publié sur le blogue du Huffington post en 2015. Cette réflexion, tout à fait révélatrice de l’initiative qui devait voir le jour en septembre dernier au cégep Edouard-Montpetit de Longueuil avec le CEFIR, a fait son chemin.

Le professeur en sociologie de Longueuil, reconnu à l’international en tant que spécialiste des religions depuis plus de vingt ans, est désormais le directeur de ce centre qui compte une dizaine de chercheurs en psychologie, en sociologie ainsi que des spécialistes de l’intégrisme chrétien, judaïque et islamique. En octobre, ce dernier a notamment été invité à titre d’observateur à la très médiatisée conférence de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) sur le thème «Internet et la radicalisation des jeunes», qui a réuni près de 400 experts du monde entier à Québec.

Favoriser la connaissance

Loin des méthodes de détection, de dénonciation et de profilage «policier», la démarche du CEFIR privilégie la prévention, la sensibilisation et l’éducation pour lutter contre la radicalisation. Hébergé en milieu scolaire, le centre développe une approche scientifique collaborative et une expertise de «terrain» unique au Québec.

«Nous faisons le pari que si les jeunes ont toutes les connaissances devant eux, c’est-à-dire qu’ils ont les outils pédagogiques suffisants pour aborder la question des intégrismes religieux, alors ils seront à même de faire des choix éclairés», estime Martin Geoffroy.

Les équipes du centre souhaitent sonder les connaissances du milieu et la réalité du terrain, avant de mettre en place un programme pédagogique adapté.

«Nous voulons prendre le temps de bien faire les choses, assure le chercheur. Une fois que nous aurons des données solides, l’objectif sera de mettre en place des « contre-narratifs » et des « contre-discours » face à la radicalisation.»

Les chemins de la radicalisation

Peu de chiffres sont disponibles sur la radicalisation des jeunes au Québec. En outre, le spécialiste des religions affirme «qu’on ne peut pas parler de phénomène inquiétant, car le système canadien laisse beaucoup de place à l’expression des cultures religieuses». Néanmoins, on sait que la plupart des jeunes qui succombent aux sirènes de la radicalisation sont des hommes âgés entre 16 et 22 ans – ce qui correspond à la période du cégep. Issus de familles sans problèmes, ils n’ont aucune connaissance de la religion et se convertissent de façon subite.

Un constat partagé par l’étude du groupe Sherpa, paru en octobre dernier. L’étude a été menée dans huit établissements des régions de Montréal et Québec, et révèle que la connaissance ou la pratique d’une religion protégerait de la radicalisation dans les cégeps. Ce rapport a également démontré que les « »Québécois d’origine » sans religion et les migrants de deuxième génération» étaient les plus susceptibles de soutenir une telle logique.

Martin Geoffroy insiste sur le fait que l’adolescence est une période charnière correspondant à «l’âge de la découverte et de l’expérimentation».

«Ces jeunes font face à des difficultés nouvelles: ils doivent donner un sens à leur vie et penser à faire des choix de carrière. Ils prennent conscience aussi de leurs différences, ce qui peut être confrontant pour certains. À cette période, ils sont particulièrement fragiles et vulnérables.»

«L’illettrisme religieux de nos sociétés»

Le directeur du CEFIR reprend l’expression du politologue français Olivier Roy, en évoquant «l’illettrisme religieux et la déculturation religieuse» de nos sociétés.

«Les gens ne connaissent plus rien du religieux, constate-t-il. On a créé des tabous, ce qui laisse la porte ouverte aux charlatans. Notre approche veut mettre en avant une connaissance scientifique du fait religieux. Il s’agit de donner du contenu aux jeunes afin qu’ils puissent faire leur choix et ne pas se replier sur eux-mêmes. Nous voulons sensibiliser aux dérives violentes de l’intégrisme par l’éducation.»

Le chercheur affirme également que l’intégrisme religieux n’est pas l’apanage d’une culture et qu’il n’y a «pas plus de violence religieuse qu’auparavant». D’après lui, les médias exacerbent le phénomène et jouent un rôle amplificateur.

«Il y a une plus grande visibilité médiatique des tensions, ce qui cause une exacerbation inédite de la violence et une polarisation des discours religieux intransigeants», pense-t-il.

«Les villes de la Rive-Sud doivent s’impliquer davantage»

Subventionné exclusivement par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, le CEFIR manque de moyens financiers pour mener à bien ses recherches.

«La Ville de Longueuil ne semble pas réceptive. Notre orientation provoquerait-elle un malaise auprès des politiques qui ne veulent pas entendre parler d’intégrisme religieux?, s’interroge le professeur. Nous représentons la Rive-Sud. Et la recherche ne doit pas être concentrée à Montréal.»

Ce dernier exhorte les gouvernements et les municipalités de la Rive-Sud à plus de soutien et de financement.

Rens.: Le CEFIR organise une conférence: «le chemin de la radicalisation» animée par le Ph.D en psychologie et professeur au département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal Louis Brunet, le mercredi 30 novembre, à 12h30, à l’espace conférence de la bibliothèque du campus de Longueuil.