Opinion

Regard sur la couleur de mon quartier

le mardi 21 janvier 2020
Modifié à 15 h 33 min le 20 janvier 2020

Au milieu de mon quartier, une magnifique église, plutôt une cathédrale, exhibe un dôme majestueux et élève avec grâce une flèche de transept loin au-dessus de l’horizon. Ce monument patrimonial, ce lieu de culte, j’y suis attachée malgré mon athéisme. Comme d’autres, je lui donne un peu d’argent pour qu’il ne se délabre pas, je lui rend visite quand j’ai besoin de beauté et de lumière ou lors d’une exposition. Mais je sais aussi qu’il a été un lieu de soumission et d’abus, à commencer par le confessionnal, porte d’entrée sournoise des prêtres dans la vie intime des couples, contraignant sans détour les femmes à donner naissance à des enfants aux 18 mois. Cette emprise sociale et religieuse a scellé le destin de ma grand-mère, qui appliquait ces principes inhumains: anémique et chagrine, elle y perdit son souffle et ma mère en a beaucoup souffert. Ce manque de maternage se transmet et m’a marquée à mon tour. Aujourd’hui, je peux investir à ma guise le lieu chargé d’histoire de la cocathédrale Saint-Antoine-de-Padoue de la rue Saint-Charles, dans le Vieux-Longueuil. Car je sais combien la débarque a été justifiée et puissante dans les années 1960, mettant fin dans un souffle de libération à l’hégémonie des prêtres sur les consciences et la politique. Et par la suite, j’ai applaudi la fin des écoles confessionnelles. Enfin, l’emprise de l’Église s’estompait encore dans l’espace étatique. Alors comment expliquer qu’après l’adoption de la Loi sur la laïcité, une grande croix trône encore sur le devant de l’école primaire – publique, donc laïque – de la rue de Normandie, tout près de chez moi? L’incongruence me heurte. Cette croix pourrait être déplacée au musée de la cocathédrale justement, pour la situer dans l’histoire de notre quartier. Pour se rappeler d’où l’on vient, et pour ceux et celles qui en ont besoin, pourquoi ne pas investir visites, argents et même bénévolat auprès des magnifiques églises des villes et villages qui éveillent un sentiment de respect et d’attachement? Comprenons-nous bien, je ne prône pas un retour à la religion, mais d’user de notre liberté pour fréquenter des lieux qui ont du sens pour nous. Peut-être qu’ainsi, l’acceptation de se défaire de nos croix en devanture des écoles laïques serait plus facile? D’une façon ou d’une autre, les institutions scolaires et les citoyens qui veulent mettre la laïcité au premier plan dans l’habillement de leur personnel tout en exhibant une croix catholique sur leur édifice créent une situation intenable. Acceptons de déplacer nos croix des écoles, sinon, tout le débat autour de la Loi 21 aura été traversé d’un énorme biais qui se terre dans l’angle mort. Je laisse à chacun le loisir d’y réfléchir et d’en discuter.

Marthe Savoie