Opinion
Tribune libre

Rififi linguistique à Longueuil

le mercredi 15 juillet 2015
Modifié à 0 h 00 min le 15 juillet 2015

Robert Myles, chef de la microscopique opposition au conseil municipal de Longueuil et conseiller de l’arr. de Greenfield Park, fait suer ses collègues et les citoyens qui assistent aux séances du conseil par son obstination à répéter en anglais chacune de ses nombreuses interventions. Les gens soupirent, regardent au plafond, consultent leur montre; bref, on s’emmerde dans l’inutilité, car tout le monde dans la salle parle français et certains ne doivent même pas comprendre un traître mot d’anglais.

L’affaire présentait jusqu’ici un petit côté cocasse dans le style du Dîner de cons, mais voilà qu’un bon soir, la mairesse Caroline Saint-Hilaire, excédée par ces pertes de temps, s’impatiente et demande à M. Myles de n’intervenir qu’en français; Longueuil, après tout, n’est pas un village, les dossiers urgents surabondent et le temps, là comme ailleurs, est précieux. Robert Myles refuse et continue son jeu. Les esprits s’échauffent. Le ton monte. Caroline Saint-Hilaire demande publiquement un renforcement de la loi 101. Elle reçoit alors sur Facebook un torrent d’injures d’une teneur impubliable – en anglais, bien sûr –, le tout couronné finalement par des menaces de mort.

Du coup, on sort du Dîner de cons.

Essayons de comprendre ce qui se passe.

M. Myles, par sa tactique, cherche évidemment à consolider sa base électorale anglophone à Greenfield Park. Il faut savoir que la loi 101 permet de reconnaître un statut bilingue à une ville – ou, dans ce cas-ci, à un arrondissement – lorsque le nombre de locuteurs anglophones dépasse 50% de sa population. Or au recensement de 2011, les anglophones n’en représentaient plus à Greenfield Park que 33,8%. C’est une importante minorité. Mais une minorité. Cependant, par courtoisie et pour d’autres raisons qu’il serait trop long de décrire ici, le législateur n’avait pas retiré son statut bilingue à l’arrondissement. Mais qui connaît l’avenir?

Notons également que lorsque Robert Myles se lance dans ses envolées bilingues, il n’est pas en train de siéger dans son conseil d’arrondissement, mais bien au conseil municipal de Longueuil, une ville où 97% des gens parlent ou comprennent le français.

Mais oublions pour l’instant l’ennui et les pertes de temps qu’inflige M. Myles, séance après séance, à ses collègues et au public, et penchons-nous sur un autre aspect des choses.

En 1977, la loi 101 a fait du français la seule langue officielle du Québec. Et ça pressait! Les Québécois francophones représentent à peine 2% de l’Amérique du Nord – massivement anglophone, elle – et chacun sait la pression formidable que subissent depuis toujours notre langue et notre culture. Si, en 1977, le législateur s’était croisé les bras, Montréal serait sans doute aujourd’hui majoritairement anglaise, la couronne montréalaise en voie de l’être, et le Québec tout entier engagé irrémédiablement sur la voie de l’assimilation. Adieu, Québec… Hi, Quebec!

- Bon, je veux bien, me direz-vous. Mais quel rapport avec l’affaire Myles?

Il y en a plus d’un.

Les séances d’un conseil municipal sont des assemblées officielles où se discutent et se décident les affaires de la cité. La langue qu’on y utilise exprime la volonté du peuple qui y a délégué ses élus et, de ce fait, elle possède une grande force symbolique. En répétant systématiquement tous ses propos en anglais, Robert Myles laisse entendre, lui, que le français n’est qu’une langue comme une autre et que la loi 101… eh bien, elle porte un bien joli numéro… et la santé, ça va, vous?

M. Myles ne semble pas avoir une bien haute opinion de notre langue ni de la démocratie.

- Oui, mais il ne s’agit que d’un seul hurluberlu. Pourquoi en faire tout un plat?

Mettons les choses dans leur contexte. Des études nous montrent que la couronne montréalaise – et notamment la Rive Sud – sont en proie depuis des années à une anglicisation rampante qui fait reculer peu à peu le français. Pas surprenant alors qu’on soit devenu si sensible au mépris – tranquille ou vociférant – que certains affichent pour notre langue.

M. Myles n’a rien à craindre pour le moment d’une décision de Québec. Le régime Couillard, prisonnier de sa base électorale anglophone comme tous les régimes libéraux qui l’ont précédé, ne devrait pas trop l’embêter. Mais le temps passe et les gouvernements se succèdent… Peut-être serait-il temps pour Robert Myles, après avoir tant chouchouté la minorité anglaise de son arrondissement, de tenir compte du fait que Longueuil est une ville française?

 

Yves Beauchemin,

écrivain et résident du Vieux- Longueuil