Saint-Lambert : un conseil déchiré pour terminer le mandat

La conseillère Stéphanie Verreault, la mairesse Pascale Mongrain et le conseiller Loïc Blancquaert. (Photo: Le Courrier du Sud ‒ archives)
La Commission municipale du Québec (CMQ) rendra bientôt sa décision concernant la citation en déontologie des conseillers municipaux de Saint-Lambert Loïc Blancquaert et Stéphanie Verreault. Mais en attendant, on comprend que le conseil est profondément déchiré. Les deux élus et la mairesse Pascale Mongrain s’accusent mutuellement de manquements importants.
Les audiences à la Commission municipale du Québec du 28 et 29 mai, ainsi que les récentes séances publiques de la Ville ont mis en lumière des conflits à l’hôtel de ville.
Les deux élus n’ont pas réfuté avoir commis les infractions qui leur sont reprochées lors des audiences, soit principalement d’avoir divulgué de l’information confidentielle. Ils admettent avoir enregistré et transmis le contenu d’un huis clos, tenu le 31 mai 2024, au directeur général de l’époque, François Pépin.
M. Blancquaert et Mme Verreault ont cependant soutenu l’avoir fait dans l’intérêt de la Ville, évoquant une vague de mécontentements au sein de l’appareil municipal et que plusieurs employés, dont M. Pépin, étaient malheureux dans leur fonction.
«Il fallait réagir pour ne pas perdre un autre directeur général», a noté plusieurs fois Mme Verreault, évoquant un roulement important à ce poste depuis le début du mandat du conseil, en novembre 2021. M. Blancquaert et elle ont rejeté la responsable de cette situation sur la mairesse. «Si vous saviez le nombre d’employés qui ont peur d’elle», a-t-elle lancé.
M. Pépin est ultimement parti en congé de maladie à l’été 2024, avant de quitter la Ville.
Colérique ou apprécié ?
Pour Pascale Mongrain, la situation est tout autre. Elle voit ces reproches comme étant «tout à fait électoralistes» et a affirmé avoir agi correctement avec l’ensemble des employés, dont M. Pépin.
Elle a cependant soutenu que celui-ci vivait des difficultés dans son poste. Témoignant lors de l’audience, Mme Mongrain a répondu par l’affirmative lorsqu’on lui a demandé si elle le trouvait colérique, s’il avait des problèmes de mémoire et s’il manquait de rigueur.
«Il avait démontré de l’agressivité physique envers un citoyen et envers moi deux fois. […] Je n’étais plus à l’aise de faire mes rencontres individuelles hebdomadaires», a-t-elle signalé.
Invitée à expliquer davantage ces épisodes, Mme Mongrain a décliné, évoquant une entente de confidentialité signée en lien avec le départ de M. Pepin. Celui-ci n’a pas voulu commenter pour la même raison.
L'ancien directeur général de Saint-Lambert, François Pépin, avait témoigné à des élus de sa relation difficile avec la mairesse. (Photo : gracieuseté)
Le huis clos du 31 mai, une séance où uniquement les élus de Saint-Lambert étaient invités, portait justement sur la performance de M. Pépin et sur l’élaboration d’un plan pour gérer cette situation. Selon Mme Mongrain, tous les élus présents excepté M. Blancquaert avaient appuyé sa démarche.
Mme Verreault, alors en arrêt de travail, n’avait pas signalé sa présence à cette rencontre. Elle l’a toutefois suivie à l’insu du conseil aux côtés de M. Blancquaert, afin de comprendre ce qui se passait, assure-t-elle, notant une dichotomie entre les révélations de la mairesse et sa perception de M. Pépin.
«On avait que des bons commentaires de la part des membres de l’administration. J’étais sur plusieurs comités, en sondant le monde, les gens l’appréciaient. […] Notre mairesse, c’est la seule personne de qui on a entendu des commentaires à son égard et des commentaires qui sont importants», a précisé la conseillère.
«Comme mairesse, je passe beaucoup plus de temps avec le dg que les conseillers municipaux», a répliqué Mme Mongrain.
Ingérence
Le climat de travail à la Ville est également revenu lors des audiences. L’une des pièces présentées à la cour est une lettre signée par les cinq directeurs membres du comité de direction de la Ville adressée à M. Pépin, le 27 juin 2024.
On peut y lire : «vous nous avez récemment informé qu’une plainte a été déposée […] concernant les agissements de la mairesse de Saint-Lambert, dont l’ingérence constante dans les dossiers de l’administration municipale et son manque de respect envers les fonctionnaires municipaux».
«L’ensemble des membres du comité de direction ont été témoins de plusieurs manquements concernant les éléments mentionnés ci-haut», ajoutent-ils.
Mme Mongrain a admis sa surprise à la lecture de cette lettre lors de l’audience, croyant plutôt à un climat tendu entre les directeurs et M. Pépin. «Ma surprise était qu’ils auraient signé cette lettre le 26 juin 2024, mais à peine 3 mois plus tôt, ils avaient demandé la médiation […] parce que ça n’allait pas avec le dg», a-t-elle réagi.
La lettre en question des directeurs. (Photo : document déposé à la cour)
La mairesse a indiqué avoir rencontré l’équipe de direction à ce sujet quelque temps après l’audience et a ajouté qu’on lui aurait fait part d’une pression pour signer ladite lettre.
«Je ne fais pas d’ingérence», a-t-elle répondu lors des audiences. Une suggestion que rebute M. Blancquaert, qui dit ne plus compter les dossiers d’ingérence depuis le début du mandat.
Plaintes
Quelques plaintes ont bel et bien été déposées contre la mairesse en ingérence et en harcèlement psychologique, mais aucune d’entre d’elles n’ont abouti.
Une lettre du 18 décembre 2024 de la CMQ adressée à M. Blancquaert a notamment été présentée lors des audiences. Elle mentionne que la Direction des enquêtes et des poursuites en intégrité municipale a enquêté sur des allégations d’ingérence de la part d’un membre du conseil de ville, «situations qui ont été prises en charge par la Direction générale par intérim». Elle dit de plus ne pas aller de l’avant dans ce dossier avec les éléments qu’elle possède.
«Au moment où on se parle, toutes les plaintes ont été jugées irrecevables, non fondées ou ont été abandonnées, et deux conseillers ont été accusés», a réitéré la mairesse.
En septembre 2024, le directeur général par intérim, Jacques Des Ormeaux, avait également mentionné «avoir eu beaucoup de difficulté à trouver un climat toxique» à la suite d’une intervention de la présidente du syndicat des cols blancs à la séance précédente.
Mme Mongrain a en outre évoqué une rencontre avec le ministère des Affaires municipales et de l'Habitation (MAMH) le 18 juillet 2024, où des représentants ont confirmé que les démarches qu’elle avait entreprises dans le cas de M. Pépin relevaient de sa responsabilité.
Une résolution achoppe
Lors de la séance publique du 2 juillet 2024, Mme Verreault, M. Blancquaert et deux autres élus, Julie Bourgoin et Francis Le Chatelier, avaient fait adopter à la majorité un point afin de mandater une étude sur le climat de travail par une firme externe.
Le point avait été ajouté en pleine la séance à l’initiative des élus Verreault et Blancquaert, et la mairesse, se disant nager en plein mystère, avait utilisé son véto. À la cour, Mme Mongrain a tout de même admis avoir été au courant d'une plainte à son égard à la mi-juin.
Lors des audiences, la conseillère Bourgoin est revenue sur cet épisode.
Celle-ci a noté les relations difficiles entre la mairesse et le directeur général et que la mairesse ne semblait plus avoir confiance en lui pour gérer des dossiers. Elle aussi souligne que durant des congés de M. Pépin, celui-ci n’était pas remplacé et que des directeurs lui avaient mentionné que la mairesse leur demandait beaucoup de travail, «qui mettait en péril l’avance de leurs dossiers».
M. Pépin avait ensuite téléphoné à Mme Bourgoin pour lui dire qu’il était malheureux et qu’il avait l’intention de porter plainte contre Mme Mongrain.
«C’est sûr, on n’est pas dans les rencontres, on n’est pas dans les couloirs de la mairie, mais en tant que bon gestionnaire, tu ne peux pas avoir cette info et ne pas chercher à savoir ce qui se passe. […] J’ai donc voulu appuyer Stéphanie et Loïc», a-t-elle témoigné, ajoutant que la mairesse n’avait pas été informée «parce que ça se pourrait qu’elle était incluse dans le problème».
Avant d'appuyer la résolution pour une étude sur le climat, Mme Bourgoin avait contacté la directrice de ressources humaines et la greffière pour savoir si le dépôt d'une telle résolution était la marche à suivre. «Elles sont restées neutres, mais j'étais sous l'impression qu'on ne me décourageait pas de le faire», a-t-elle témoigné. (Photo: Le Courrier du Sud ‒ archives)
Le point est revenu en séance extraordinaire le 22 juillet, mais quelques élus étant en vacances, il n’avait pas été adopté. «Après tout est tombé à l’eau, on n’a pas eu d’étude de climat toxique, le dg est parti en congé de maladie, un autre directeur est parti, il y a eu toutes sortes de situations après qui étaient très désagréables. On ne saura pas la cause et on ne le saura jamais», s’est-elle désolée.
Fin de mandat compliquée
Entre les accusations de manque de civilité des élus d’un côté et d’un manque de leadership positif de l’autre, le mandat qui tire à sa fin semble avoir usé plusieurs élus. Mme Mongrain a reconnu que la dernière année a été pénible et Mme Verreault dit être «un peu désabusée» par tout ce processus.
Et avec cette situation qui a pris une grande place lors des séances publiques, le malaise était évident chez d’autres élus. Certains ont exprimé vivre une situation profondément regrettable ou ressentir une intensité grandissante à l’approche de l’élection.
Des citoyens habitués des séances ont aussi exprimé leur difficulté à voir clair à travers ce qui est avancé des deux côtés ou leur inquiétude quant à la capacité des élus de poursuivre des dossiers dans ce climat.
À ce sujet, autant la mairesse que les élus ont assuré qu’ils étaient capables de se parler dans le quotidien de leur travail.
«On arrive à travailler. [..] mais encore une fois, faire avancer des dossiers d’envergure, ce n’est pas le conseil qui va le faire. Ça prend un bon dg et moi, c’est ça que je déplore», a conclu Mme Verreault.