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Casse-tête administratif pour une famille d’accueil

le mardi 15 janvier 2019
Modifié à 9 h 01 min le 15 janvier 2019
Par Maryanne Dupuis

mdupuis@gravitemedia.com

BUREAUCRATIE. François Thibault et son conjoint accueillent plusieurs enfants du Centre de réadaptation en déficience intellectuelle (CRDI) au sein de leur domicile depuis 2011, en plus d’être déjà parents d’un garçon. Pour la première fois cette année, la Ville de Longueuil leur demande un permis d’affaires et réclame des modifications à leur demeure. Des exigences qui leur coûteraient plusieurs milliers de dollars. C’est en mars 2018 que les problèmes ont commencé, alors que le Service de sécurité incendie de l’agglomération de Longueuil a procédé à une inspection de la maison du couple. Après la visite, François Thibault et son conjoint ont reçu une lettre indiquant les modifications à apporter à leur résidence, laquelle est pourtant conforme aux normes du CRDI. Ils ont consulté quelques experts pour avoir une idée des coûts pour les modifications demandées. Résultat: une facture évaluée entre 4000 et 7000$. Parmi les correctifs demandés, on retrouve entre autres l’installation d’avertisseurs de fumée devant être reliés à un avertisseur visuel «permettant au personnel affecté à ces chambres de voir d’où provient le déclenchement de l’avertisseur de fumée». De plus, un éclairage d’urgence devrait être installé à chaque étage du bâtiment. C’est la première fois en sept ans que la famille reçoit une demande pour effectuer de tels correctifs. Fardeau fiscal supplémentaire «Selon moi, la réglementation ne nous vise pas, avance François Thibault. Les parents qui ont des enfants naturels ayant les mêmes limitations que mes jeunes à la maison, est-ce que ça leur est imposé? Non, parce que c’est leur résidence. Alors pourquoi on me l’imposerait comme ressource de type familial?» «Il y a certaines normes à respecter pour les ressources de type familial, comme pour la grandeur des fenêtres, la grandeur des chambres et la hauteur des rampes, par exemple, mais on y va avec le gros bon sens», explique une intervenante du CRDI. «Ce ne sont pas seulement les installations qui me dérangent; c’est tout ce qui va en découler après, ajoute M. Thibault. Cette année, la Ville me demande ça… L’année prochaine, ça va être quoi? Y aura-t-il toujours un tel fardeau fiscal à être famille d’accueil?» Obtention d’un permis d’affaires Et les demandes de la Ville ne s’arrêtent pas là. En juillet, François Thibault a reçu une autre lettre, cette fois de la part de la Direction de l’aménagement et de l’urbanisme de Longueuil, lui demandant un permis d’affaires puisqu’il est une ressource d’hébergement du CRDI. Encore une fois, il s’agit d’une première en sept ans comme famille d’accueil. La première phrase de la lettre va comme suit: «Nous avons été informés que vous exercez une ressource intermédiaire d’hébergement à l’adresse mentionnée ci-dessus.» Or, M. Thibault et son conjoint sont considérés comme une ressource de type familiale (RTF), et non une ressource intermédiaire. Une nuance très importante (voir Différents types de ressources, ci-bas). Pour obtenir un permis d’affaires, les deux hommes doivent fournir une copie des lettres patentes, une déclaration d’immatriculation et une copie de leur bail, s’il y a lieu. Et surtout, payer 282$. «Mon inquiétude est que si j’accepte de payer le certificat et que je suis reconnu comme une place d’affaires, l’année prochaine, la taxe va venir avec, explique le père de famille. Quand j’ai joint la Ville au téléphone, elle m’a assuré que non. Mais si elle me dit que je ne serai pas taxé comme une entreprise, pourquoi me demande-t-elle un permis d’affaires?» Ayant demandé un délai supplémentaire puisqu’il ne comprend pas pourquoi il devrait se munir d’un tel permis, M. Thibault a reçu une deuxième lettre en octobre, la même qu’en juillet. À noter que la famille ne reçoit pas de salaire pour les quatre enfants qu’elle héberge. Elle obtient une compensation financière, montant qui est déclaré aux impôts mais qui n’est pas considéré comme un revenu. Des démarches qui n’aboutissent pas Au cours des derniers mois, François Thibault a multiplié les démarches afin de mieux comprendre la situation. En tant que famille d’accueil, il ne considère pas qu’il devrait avoir à se munir d’un permis d’affaires, ni à payer pour modifier les installations de sa maison, sachant que ces dernières répondent aux demandes ministérielles. «Je suis en communication avec la patrouilleuse à la règlementation de la Ville. J’ai demandé à parler à son patron; impossible. J’ai téléphoné au 311 pour demander une extension de délai pour le permis et on m’a dit qu’ils allaient envoyer le courriel à la personne responsable, en me disant qu’il n’y a aucun moyen de parler à quelqu’un de spécifique à la Ville.» Il a aussi fait une plainte au Bureau du protecteur du citoyen. Les conclusions en découlant stipulent que la Ville ne va pas à l’encontre de sa règlementation. Cependant, le protecteur du citoyen considère «qu’il est important que l’Administration tienne compte de la réalité vécue par les RTF afin de diminuer autant que possible le fardeau administratif». De plus, il mentionne dans son rapport «que l’article 30 du Règlement sur les permis et certificats, tel que présentement rédigé, ne permet pas aux citoyens de bien saisir la portée de l’exigence du certificat d’autorisation». M. Thibault a également joint son conseiller municipal ainsi que la députée de son territoire, entre autres. «Je suis incapable de dire le nombre d’heures que j’ai passées là-dessus; c’est énorme. Chaque jour, je fais un téléphone ou écris un courriel de suivi», affirme-t-il. À bout de souffle, il tente de comprendre ce qui se passe, mais le dossier traîne. «Je me sens harcelé par la Ville; on ne m’écoute pas et on fait juste m’envoyer des avis comme quoi je dois payer. Et je suis inquiet du message qu’on va lancer aux prochaines familles d’accueil du Québec; tu vas devoir dépenser de 5000 à 6000$ sur ta maison. Ça n’a aucun sens.» «Je ne suis pas contre la sécurité incendie pour les jeunes; au contraire, ajoute-t-il. Mais visiblement, la Ville s’est donné un mandat de tout sécuriser sans penser aux conséquences. Si ça continue comme ça, à un moment donné, des familles d’accueil, il n’y en aura plus!» «J’ai encore du jus, mais ça commence à être compliqué. Ça draine de l’énergie. Je veux continuer à m’occuper des jeunes, mais si on a des embuches comme ça tout le temps, on ne pourra pas y arriver. Mon choix, c’est quoi? Déménager?» Conforme au règlement, répond la Ville Le Courrier du Sud a contacté la Ville de Longueuil le 14 novembre pour tenter d’éclaircir le dossier de François Thibault et de comprendre pourquoi elle considère la famille d’accueil comme une ressource intermédiaire. «Lorsqu’un immeuble est occupé par une place d’affaires, l’obtention d’un certificat d’autorisation est requise», a finalement répondu la Ville au journal le 11 janvier, après avoir été relancée plusieurs fois sur le sujet. «Nous considérons qu’il n’y a aucune raison pour que le règlement ne s’applique pas à une ressource intermédiaire ou à une ressource de type familial puisque ces dernières offrent un service conformément à une entente convenue avec un établissement et à ce titre, elles effectuent un ensemble cohérent d’activités», a expliqué le chef des affaires publiques Louis-Pascal Cyr. «Il est possible que les exigences et normes ministérielles demandées par le CRDI pour les ressources familiales soient respectées par les propriétaires, ajoute la Ville. Toutefois, dans le cas présent, les modifications liées aux installations de l’habitation sont régies par le Service de sécurité incendie de l’agglomération de Longueuil (SSIAL). Il revient donc à Ville, puisque c’est cette dernière qui a le mandat et qui possède l’expertise requise, d’assurer le respect du code de sécurité incendie et par le fait même, d’assurer la sécurité des occupants.» Différents types de ressources La Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS) identifie deux types de ressources d’hébergement pour les usagers du CRDI.
Ressources de type familiale (RTF)
«Peuvent être reconnues à titre de famille d’accueil, une ou deux personnes qui accueillent à leur lieu principal de résidence au maximum neuf enfants en difficulté qui leur sont confiés par un établissement public afin de répondre à leurs besoins et leur offrir des conditions de vie favorisant une relation de type parental dans un contexte familial.» (article 312) Il s’agit d’une famille d’accueil, comme celle de François Thibault, qui héberge sous son toit des usagers.
Ressources intermédiaires
«Est une ressource intermédiaire toute ressource exploitée par une personne physique comme travailleur autonome ou par une personne morale ou une société de personnes et qui est reconnue par une agence pour participer au maintien ou à l’intégration dans la communauté d’usagers par ailleurs inscrits aux services d’un établissement public en leur procurant un milieu de vie adapté à leurs besoins et en leur dispensant des services de soutien ou d’assistance requis par leur condition.» (article 302) Les usagers des ressources intermédiaires nécessitent souvent un encadrement particulier. Des employés travaillent sur place 24 heures sur 24 et les propriétaires n’habitent pas au même endroit.