Opinion
Tribune libre

Une œuvre dont Longueuil sera fière

le mercredi 11 novembre 2015
Modifié à 0 h 00 min le 11 novembre 2015

En tant que citoyen de Longueuil depuis 45 ans et en tant que membre du petit comité qui, depuis plus de trois ans, a travaillé à réunir les fonds nécessaires à l’érection de la sculpture de l’artiste Armand Vaillancourt qui vise à rendre hommage au syndicaliste Michel Chartrand, je voudrais apporter quelques éclairages à des questions qu’on peut légitimement se poser.

L’excellent reportage consacré par Le Courrier du Sud à cette entreprise en cours de réalisation dans le parc Michel-Chartrand, dans son édition du 30 septembre, en a d’ailleurs soulevé quelques-unes.

Pourquoi mettre 1 M$ dans une sculpture quand les besoins sociaux sont tellement criants?

C’est vrai que l’argent est rare pour répondre aux besoins en nourriture, en soins de santé, en logements décents. Les personnes qui ont été engagés dans ce projet en sont fort conscientes. La plupart d’entre nous sont déjà engagés dans leurs milieux, sous une forme ou sous une autre, à travailler de sorte que les manifestations de la pauvreté soient de moins en moins présentes.

Mais je rappelle que la démarche entreprise il y a plus de trois ans maintenant a rejoint des milliers de personnes qui ont contribué à la mesure de leurs moyens. Une collecte populaire appuyée par Le Journal de Montréal a permis de recueillir des milliers de dollars. Ce sont des contributions personnelles qui ont été faites. Encore aujourd’hui, à la suite de la présentation des travaux le 28 septembre, et des échos qu’on a retrouvés dans les médias, plusieurs personnes ont communiqué avec nous pour offrir une contribution.

Deux motifs majeurs

Il y a deux motifs, plus importants que les autres, qui ont animé ceux qui ont voulu mener à terme ce projet.

Le premier, c’est de rendre concrètement hommage à un homme qui n’a pas dévié d’un pouce dans la défense des moins bien nantis. Un homme qui s’est appuyé sur la force ouvrière pour faire entendre sa voix.

Le second, c’est que la beauté ne doit pas être accessible aux seules personnes qui sont en moyens. De ce point de vue, la création artistique doit être mise au service des citoyens. L’art est libérateur et même révolutionnaire.

Chartrand rappelait souvent qu’il «ne fallait pas mésestimer la force d’une rime dans le peuple».

L’art est subjectif

Vous ne craignez pas que des citoyens trouvent cette sculpture disons, pas tellement belle?

Il n’existe pas de canon universel pour la définition de la beauté. On est ici dans un monde subjectif. Une personne la trouvera formidable parce qu’elle lui parle. Une autre la trouvera affreuse parce qu’elle se sentira agressée. Cela fait partie des mystères de l’art. Les œuvres d’Armand Vaillancourt provoquent toujours des débats pour une seule et très bonne raison: ses œuvres ne sont pas fades, mièvres, ajustées aux goûts du jour.

Déranger un ordre établi qui n’est rien d’autre qu’un désordre qui sert les intérêts de quelques-uns, provoquer des débats fondamentaux, dénoncer les conformismes et les idées reçues, c’est ce que Chartrand a fait toute sa vie et c’est justement la raison pour laquelle le peuple se souvient de lui comme d’un défenseur indéfectible de sa cause. En cela, Vaillancourt et Chartrand se ressemblent. Il n’y a pas de cause populaire que Vaillancourt n’a pas épousée depuis plus de 60 ans.

Ce qu’il y a de meilleur dans l’homme

Qu’est-ce que cette sculpture va apporter à la Ville de Longueuil?

Il est toujours difficile d’évaluer l’impact d’une œuvre d’art. On doit admettre cependant que Longueuil et ses citoyens auraient pu continuer de vivre sans cette sculpture. Or, pour un coût relativement modeste – moins de 10% de sa valeur – la Ville de Longueuil va hériter d’une œuvre d’art qui, nous l’espérons, fera sa fierté pour des décennies à venir.

Comment évaluer l’impact d’une œuvre d’art ? Il faut voir les choses autrement. Tout en demeurant, bien sûr, dans l’ordre de l’humilité, quand on fait des comparaisons…

Paris aurait fort bien pu se passer de la tour Eiffel. Il faut d’ailleurs relire les journaux de l’époque pour constater que jamais Vaillancourt n’a suscité autant de passions négatives… Des dizaines d’artistes, et non des moindres, one mené une campagne rageuse. Verlaine, Gounod, Alexandre Dumas, Maupassant, Zola, Léon Bloy ont publié un manifeste «au nom de l’art contre l’érection de l’inutile et monstrueuse tour Eiffel». Ce dernier répliqua «qu’il y a dans le colossal une attraction, un charme propre auxquelles les théories d’art ordinaire ne sont guère applicables».

Mais Paris serait-il Paris aujourd’hui sans la tour Eiffel?

L’île de Manhattan n’aurait pas été engloutie si Bertholdi n’y avait pas érigé sa statue de la Liberté. Elle serait encore là aujourd’hui. Mais New York serait-il New York sans la statue de la Liberté ? Et les Pyramides? Et le Colisée de Rome? Et l’Opéra de Sydney? Et la tour de Pise? Et Stonehenge?

Il ne s’agit pas, on l’aura compris, de comparer la sculpture de Longueuil à ces trésors de l’humanité. Mais le processus de création demeure le même. Tout ça pour dire que l’art contribue, à sa manière, à faire ressortir ce qu’il y a de meilleur dans l’humanité. Les talibans et autres islamistes ne s’y trompent pas quand ils détruisent des œuvres d’art séculaires. Ils s’en prennent alors à ce qu’il y a de meilleur dans l’homme. Et ce qu’il y a de meilleur ne peut que leur être étranger.

La création artistique réunit

Vous avez mis plus de trois ans avant de commencer les travaux. Ce n’est pas un peu long?

La sculpture de Vaillancourt a été rendue possible par un financement populaire. C’est un processus plus long que si un mécène avait allongé le 1,3 M$ nécessaire. Les dollars et les gratuités ont été amassés un à un. Ça prend visiblement plus de temps.

Chartrand était un socialiste et pourtant, il y a plusieurs entreprises qui ont contribué à l’érection de cette sculpture. N’y a-t-il pas là une contradiction?

C’est la beauté de la chose.

C’est la preuve que la création artistique peut réunir, au-delà de leurs appartenances idéologiques, des hommes et des femmes qui partagent un même idéal de beauté et de solidarité. Il faut aussi se rappeler que Michel Chartrand était un ami des arts, des artistes et des poètes. Et il faut se réjouir aujourd’hui de voir des artistes, des entreprises multinationales et nationales, des sociétés d’architectes et d’ingénieurs, des syndicalistes réunis autour d’un même projet. C’est un peu à l’image de la société québécoise, qui peut être « tricotée serrée » quand est partagé un objectif commun.

Michel Rioux