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Visite dans l’estomac qui digère la matière organique

Il y a 4 heures
Modifié à 15 h 43 min le 13 juin 2025
Par Michel Hersir

mhersir@gravitemedia.com

Un grapin géant dépose la matière organique dans un déchiqueteur. C'est l'une des premières étapes avant la transformation de la matière en gaz, notamment. (Photo: Gravité Média ‒ Michel Hersir)

Une boule de quilles est bien en évidence à l’usine de biométhanisation de Varennes, là où les matières organiques de plus de 30 villes de la Rive-Sud sont envoyées. Une boule de quilles, qui avait été mise dans un bac brun. «Tout ce que vous pouvez vous imaginer, on l’a reçu!» assure Sylvain Berthiaume.

Ainsi va la vie dans une usine qui reçoit de la matière organique. Mais l’infrastructure ne reçoit pas que des boules de quilles, pneus de vélo ou échelles de piscine.

Depuis la mise en marche complète de son agrandissement en 2024, elle peut traiter 120 000 tonnes de matières par année, dont, heureusement, une majorité est de la matière organique.

«Les matières organiques, lorsqu’elles étaient toutes enfouies, elles généraient à peu près 8% des gaz à effet de serre au Québec», évoque M. Berthiaume, directeur général de la MRC Marguerite D’Youville et de la SEMECS (Société d’économie mixte de l’Est de la Couronne Sud), l’entité qui traite les matières organiques ici.

Comme un humain

Une usine de biométhanisation n’est pas si différente de nous, soutient M. Berthiaume.

«C'est exactement comme un corps humain à échelle géante. L'usine fonctionne à même température que le corps et elle fait le même processus que chacun d'entre nous. Nous, si on veut se nourrir, on va aller dans le jardin chercher de la nourriture. Ici, le jardin, c'est un bac brun», illustre-t-il.

La matière est envoyée dans un déchiqueteur – «la mâchoire» – puis vers son «estomac», où deux machines vont trier la matière, notamment celle indésirable comme les sacs de plastique, pots de yogourt et objets plus lourds, qui sera envoyée à l’enfouissement.

 

La matière qui entre dans les digesteurs y passe en moyenne 21 jours. (Photo: Gravité Média ‒ Michel Hersir)

 

Après être passée dans un dessableur, la bonne matière termine son voyage dans «l’intestin», soit les quatre gros digesteurs impossibles à manquer sur le site.

«Les bactéries qu'on retrouve dedans, ce sont les mêmes que vous avez dans votre intestin. Et tout comme le corps humain, ça fait trois produits : de l’eau, du gaz et du digestat», résume M. Berthiaume.

Beaucoup d’eau

Sur la matière qui entre dans l’usine, il en sort 54% d’eau. Celle-ci sera ensuite traitée comme dans une usine d’épuration. Une partie de cette eau sera utilisée dans le procédé de l’usine, le reste, une fois traitée, sera envoyée dans le fleuve.

La matière produit également 21% de digestat (une forme de compost), soit environ 10 000 tonnes. Celui-ci est répandu dans les champs de la région, dans un rayon de 40 km.

Un digestat très apprécié des agriculteurs de la région, soutient M. Berthiaume, alors que les sols sont très argileux et ont constamment besoin qu’on y ajoute de la matière organique.

«Il y a 50 ans, les fermes laitières, les porcheries et les poulaillers fournissaient cette matière. Mais dans la grande Rive-Sud, on en retrouve de moins en moins. Et ce qu’on fait s’étend super bien et a beaucoup moins d’odeurs. Toutes les terres agricoles à côté du IKEA ne prennent que du digestat d’ici, parce que les gens qui vont au centre d’achat ne se plaignent pas!» évoque-t-il.

Un 10% devient du gaz, soit environ 7% de gaz naturel renouvelable vendu à Énergir et un autre 3% envoyé par oléoduc à l’entreprise voisine – et partenaire de l’usine – Éthanol Greenfield. «C'est à peu près 2000 foyers qu’on peut alimenter en énergie avec le gaz fait ici», résume M. Berthiaume.

 

Les MRC de la Vallée-du-Richelieu, Marguerite d'Youville et de Rouville ont créé la Société d'économie mixte de l'Est de la Couronne Sud (SEMECS), afin d'être actionnaires du projet. Ainsi, la SEMECS est propriétaire des installations, détenant 67% de l'actionnariat, et leur partenaire, Biogaz EG, une filiale d'Ethanol Greenfield, est responsable de la conception, de la construction et de la gestion des opérations du centre de traitement. (Photo: Gravité Média ‒ Michel Hersir)

 

Compromis

Le 15% restant, c’est le rejet de procédé comme la boule de quilles, mais le plus souvent des roches ou des sacs de plastique.

S’il reconnait qu’il y a encore un grand besoin en éducation sur ce qui est mis dans le bac brun, M. Berthiaume souligne que l’usine accepte les rejets, ne serait-ce que pour faciliter la vie des gens.

«Si je vais voir votre IGA du coin et lui dit : il faut que tu me déballes tous tes fromages et ta viande hachée avant de me l’envoyer, on va dire : c’est trop compliqué, on envoie ça à l’enfouissement. On l’accepte donc. Et notre système est fait pour que la barquette de viande hachée se défasse», explique-t-il.

Même principe pour les pots remplis de Yogourt ou de crème sure.

«Si tu ouvres ton pot de fromage cottage et dit : ouf, il bouge tout seul, remet le couvert dessus et met le direct dans le bac brun. Je veux pas le contenant, je veux le contenu. Mais s’il reste beaucoup de contenu, ben envoie le moi avec le pot», ajoute-t-il.

Pourquoi? Toujours pour faciliter la vie. C’est le cas des couches aussi. L’avènement du bac brun a espacé les collectes de déchets, mais les a rendues moins odorantes aussi, à l’exception des couches.

«On a parlé avec nos ingénieurs, on a dit : est-on capable de recevoir les couches? Ils ont dit : pour la quantité de matière qu’il y a dans une couche, ça ne vaut pas la peine. Mais peut-on les traiter? Oui, parce qu’on peut avoir un taux de contaminant jusqu’à 20%. Puis ça gère le problème chez le citoyen quand son bac noir passe aux trois semaines», détaille M. Berthiaume.

 

Sylvain Berthiaume était directeur général de la MRC Marguerite d'Youville en 2010 lorsque le gouvernement du Québec a fait pression pour que les matières organiques sortent de l'enfouissement. Quinze ans plus tard, on le sent fier du projet d'usine de biométhanisation qui a été construit à Varennes. (Photo: Gravité Média ‒ Michel Hersir)

 

Il aime, il n’aime pas…

Produits appréciés dans une usine de biométhanisation : tout ce qui est graisseux ou sucré. Donc les huiles, les graisses, les produits laitiers et les desserts.

«L’huile à friteuse, tu ne vas pas la vider dans le bac brun, mais tu peux prendre une pinte de lait et la verser dedans, puis la déposer dans le bac», suggère Sylvain Berthiaume.

Pour les sacs : «pas de sacs ou des sacs en papier!».

«Tu prends du Saint-Hubert? Enlève les couverts de plastique, referme la boîte et mets ça dans le bac brun. La boîte de pizza, même affaire. On aime beaucoup la fibre qui vient avec tout ce qui est papier carton.»

Produits moins appréciés : la terre, la litière à chat, les bouchons de liège, les branches, le sable. Les sacs compostables pas en papier, sacs de plastique ou sacs oxobiodégradables.

Et le gazon : «c'est une fibre qui est très longue à se digérer. Ce n’est pas pour rien que les vaches ont trois estomacs. Il va colmater dans les tuyaux, puis dans les digesteurs, il flotte sur le dessus, il ne se mélange pas. Ce qu'on dit aux citoyens, c'est que le meilleur engrais du gazon, c'est le gazon, lui-même. Et tu ne perds pas 15 minutes à le ramasser!», lance M. Berthiaume.