Abusés sexuellement d'une génération à l'autre
Sa mère fut victime, ses sœurs et elles furent victimes, et ses enfants… encore une fois, victimes. Lyne Vaillancourt veut briser le cercle vicieux des abus sexuels en publiant un livre sur le calvaire qu'elle et toute sa famille ont vécu.
La Brossardoise Lyne Vaillancourt parle ouvertement des nombreux abus dont elle a été victime. Deux de ses oncles ont fait de la prison pour les gestes qu'ils ont commis contre elle et ses sœurs, de même que sur d'autres enfants.
«Richard était violent. Il m'a attachée quand il m'a sodomisée. J'avais 8 ans», raconte-t-elle.
C'est à l'âge adulte que Mme Vaillancourt a porté plainte contre ses bourreaux. En 1999, Richard Vaillancourt a plaidé coupable à une cinquantaine de chefs d'accusation liés aux gestes commis contre six fillettes. Il a reçu une peine de 30 mois de prison, mais est sorti au tiers de sa peine.
L’autre oncle de Mme Vaillancourt, George Hallis, était plus doux. Il amadouait ses victimes, leur demandait de lui faire plaisir. En 2013, il a bénéficié d'un sursis malgré le fait qu'il s'agissait de sa quatrième condamnation en pareille matière.
«Les gestes ont été commis avant ceux des autres condamnations, alors pour le tribunal, c'était comme s'il n'avait pas d'antécédents à ce moment-là», explique sa victime, qui a aujourd'hui 46 ans.
Laisser entrer les bourreaux
Les gestes de ces deux abuseurs sont largement décrits dans L'inceste en héritage, le premier tome d'une trilogie autobiographique que Lyne Vaillancourt tente de publier. Elle y explique comment les comportements de son entourage, mais aussi ceux des victimes, participent à maintenir et à recréer des dynamiques propices aux abus sexuels. Tellement propices que les abus se répètent d'une génération à l'autre.
«Ma mère a été abusée elle aussi. Elle savait ce qui se passait, mais elle se fermait les yeux. C'est elle qui faisait entrer les bourreaux chez nous.»
Mme Vaillancourt a eu bien peur de perpétuer le problème. Elle avait tellement peur d'abuser de cses propres enfants qu'elle est devenue hystérique à l'hôpital lorsqu'elle a vu le sexe de son nouveau-né.
Mais, au final, ce n'est pas elle qui les abusera; sa fille s'est fait violer par son nouveau conjoint, et encore une fois lorsque les trois enfants ont été placés dans un centre jeunesse. Son fils y a goûté aussi.
Pendant ce temps, Mme Vaillancourt continuait de subir les violences de ses conjoints.
«À un moment donné, tu te dis "coudonc, c'est tu moi qui les attire?". Et puis, il y a une psychologue qui m'a dit que oui, ma personnalité attire les abuseurs. C'est comme les filles qui ont un père alcoolique et qui marient des alcooliques. Il y a une certaine sécurité à retrouver le même pattern.»
Pour briser ce cercle, elle a décidé de ne plus laisser d'hommes entrer dans sa vie. Non pas qu'elle n'a plus d'aventures, mais elle vit seule depuis maintenant 18 ans.
Pour l'entourage des victimes
L'inceste en héritage est écrit à la troisième personne. Mais l'auteure utilise la première personne lorsque vient le temps de décrire les gestes. «Dans ces moments-là, c'est la petite fille qui parle», explique-t-elle.
Mme Vaillancourt a décidé de parler de son calvaire en 2013, lorsqu'elle a appris qu'elle était atteinte d'un cancer du sein. «J'ai toujours dit à mes enfants que j'allais le faire. Alors quand j'ai reçu le diagnostic, je me suis dit que c'était maintenant ou jamais.»
Mais elle l'a fait non pas pour elle, mais pour l'entourage des victimes d'abus sexuels. Pour qu'ils puissent comprendre les comportements parfois inexplicables de leurs proches.
Mme Vaillancourt a elle-même subi l'ostracisme lorsqu'elle a porté plainte contre son oncle George Hallis. Certains l'accusaient d'inventer des histoires, et sa mère l'a traitée de menteuse devant les policiers.
Pendant trois ans, presque personne ne lui parlait. Puis, ses sœurs se sont ralliées à elle et l'ont appuyée dans son projet de livre.
Curieusement, le cancer a aussi aidé Mme Vaillancourt à surmonter certains de ses problèmes. «C'est drôle à dire, mais c'était symbolique parce que le sein a quelque chose de sexuel. Alors quand ils ont enlevé la tumeur, c'est comme s'ils enlevaient une partie du mal aussi», explique-t-elle.
Aucune maison d'édition contactée par Mme Vaillancourt n'a encore accepté de publier son livre. Selon elle, le sujet est encore trop tabou. Mais elle espère trouver un éditeur courageux afin que le silence entourant de tels gestes soit enfin brisé.