Bruel chante Barbara: une tournée québécoise au printemps

ENTREVUE. Patrick Bruel foulera les planches de L'Étoile Banque Nationale le 20 avril pour interpréter les plus beaux classiques de la chanteuse Barbara, mais aussi des titres bien connus de son propre répertoire. De passage à Montréal récemment pour annoncer sa tournée québecoise, le chanteur s'est entretenu avec le Brossard Éclair.
Votre album hommage à Barbara Très souvent, je pense à vous connait un beau succès en France et à l'étranger. Pourquoi avez-vous choisi de vous attaquer au répertoire de cette icône de la chanson française?
«Barbara est une artiste qui a beaucoup compté dans ma vie. Elle m'a touché à 8 ans et ça ne m'a jamais quitté. Je voulais me faire plaisir, mais aussi faire connaître cette grande artiste. Il y a effectivement une vraie difficulté dans l'œuvre; toutefois, le fait d'être un homme a plutôt facilité l'interprétation. Il n'y a pas eu ce souci de mimétisme ou d'imitation. Selon moi, on s'attaque à Barbara comme on s'attaque à Shakespeare, Rimbaud ou Baudelaire. Barbara fait partie du grand répertoire et n'appartient à personne. Alors, oui, on peut ne pas apprécier, mais on ne peut pas critiquer la démarche, car elle est totalement légitime. En l'occurrence, j'ai eu une unanimité à la sortie de l'album et cela m'a agréablement surpris.»
Quels ont été les petits secrets de fabrication? Avez-vous réécouté l'artiste pour vous imprégner de son univers ou avez-vous laissé libre cours à votre créativité?
«Disons que je me suis emparé du répertoire plus que de l'artiste. J'ai réécouté beaucoup de choses et j'ai dû en laisser. Pour sélectionner les 15 titres de l'album, j'ai travaillé avec mon frère ? le compositeur David-François Moreau. Nous faisions la lecture des textes à voix haute et l'émotion prenait le pas. Ensuite, il y a eu un vrai processus créatif. Car respecter Barbara, c'est aussi respecter son audace. D'ailleurs, si vous écoutez l'album, les univers musicaux sont très différents: rock, pop, électro ou plus épurés. Parfois, je me demandais si elle aurait aimé tel ou tel arrangement. Mais de façon générale, j'ai travaillé ces titres comme des nouveaux. Et je pense que c'est aussi ce qui permet au public de les redécouvrir autrement.»
Comment tout ce travail se traduit sur scène?
«Quand on pense à Barbara, on pense au théâtre. Sur scène, il y a plusieurs tableaux qui rappellent l'univers théâtral. Les décors sont contemporains, sobres et épurés. Nous avons de beaux retours sur la scénographie, que ce soit de la part du public, des critiques ou des proches de Barbara. Certains de ces "gardiens du temple" sont venus au spectacle et en sont ressortis bouleversés. Il y a vraiment quelque chose qui se passe durant le spectacle et c'est magnifique de voir ça. Barbara a touché au cœur plus de cinq générations et ça continuera.»
Il y a une grande mélancolie dans l'œuvre de Barbara. Est-ce que cela a fait résonnance en vous?
«Parfois, les mots des autres viennent dire mieux que nous ce que l'on ressent. Ça m'arrive si souvent d'écouter la chanson d'un artiste et de me dire que c'est exactement moi. Dans l'œuvre de Barbara, il y a à la fois une douleur terrible et une grande pudeur, je crois que c'est ce qui est venu me chercher profondément. La tragédie qui se cache derrière ses textes fait tout le mystère et l'universalité de ses chansons. Elle envoie des signaux mais ce qui est palpable, c'est cette douleur. Jusqu'à sa mort, on ne saura pas son histoire. Tout sera révélé dans ses mémoires posthumes.»
(NDLR: Patrick Bruel fait allusion ici aux viols incestueux dont a été victime Barbara durant son enfance. En outre, la chanteuse de confession juive a dû se cacher et déménager à de multiples reprises avec sa famille pour fuir les nazis sous l'Occupation. La chanson L'aigle noire pourrait être une métaphore de cet inceste paterne, mais pourrait aussi faire référence à l'emblème du IIIe Reich, selon l'interprétation qu'en donne le chanteur dans une entrevue accordée au Figaro magazine en 2015.)
Qu'est-ce que vous a apporté cette expérience?
(Après quelques secondes de silence) «Une élévation artistique. Disons que je me suis rapproché de moi-même en faisant ce voyage-là. C'était comme un rendez-vous avec le gamin que j'étais à 8 ans. Est-ce qu'on avait fait bonne route? Est-ce qu'on était arrivés là où on voulait…? Quelque part, ç'a été une psychanalyse. J'ai été submergé par certaines chansons; je me suis même demandé pourquoi certaines d'entre elles venaient me chercher si fort. Je dirais que ç'a été une sorte de laboratoire intérieur.»
Quelle est votre chanson préférée?
«J'en ai plusieurs, mais celles qui me touchent le plus sont Mon enfance et Ma plus belle histoire d'amour c'est vous, parce que cette dernière traduit bien ma relation avec le public. Mais il y a aussi Madame; j'aime beaucoup le sens que j'ai apporté à cette chanson. Je deviens un homme amoureux d'un homme et qui se retrouve face à l'intolérance de l'entourage. C'est un beau clin d'œil au "Mariage pour tous" et j'en suis fier.»
Comment s'annonce votre tournée au Québec?
«Je m'attends à de belles surprises. Je me suis rarement autant senti chez moi quelque part, alors je me réjouis déjà de venir présenter mon spectacle au printemps. Cela fait 30 ans que cette histoire d'amour a commencé et je suis toujours aussi bien au Québec.»