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Changer le monde, une poupée à la fois

le dimanche 10 janvier 2021
Modifié à 14 h 43 min le 08 janvier 2021
Par Hélène Gingras

hgingras@gravitemedia.com

Lorsque leurs chemins ont bifurqué à la fin de leurs études secondaires au Cameroun, Gaëtan Etoga et Yannick Nguepdjop ne soupçonnaient guère qu’une vingtaine d’années plus tard, ils fonderaient ensemble une entreprise au Québec, au beau milieu d’une pandémie. Motivés par l’idée de renforcer l’inclusion et de promouvoir la diversité chez les enfants ils ont lancé, au début décembre 2020, leur première ligne de poupées ethniques, notamment noires et métisses, inspirées des cultures africaines. Tous deux originaires de la ville de Douala, les deux pères de famille camerounais se connaissent depuis un bon moment. Depuis leurs retrouvailles en France il y a plus d’une dizaine d’années, ils mijotaient l’idée de partir en affaires ensemble. «Avec tout ce qui s’est passé ces dernières années et surtout ces derniers mois à l’égard de la situation des noirs dans le monde, nous avons décidé de concrétiser ce projet qui nous tient à cœur. Pour nous, c’est beaucoup plus que de vendre des poupées», dit M. Etoga, statisticien de formation et cofondateur de YMMA à Longueuil. Un besoin à combler Déçus de constater que la diversité culturelle du Québec ne se retrouve pas forcément sur le marché des jouets, les nouveaux partenaires d’affaires souhaitaient pouvoir offrir aux enfants afro descendants des jouets qui leur ressemblent.

«Il n’est pas facile de trouver des jouets pour la diversité sur le marché, alors nous voulions apporter une solution»
  • Gaëtan Etoga, père de deux garçons de 2 et 4 ans
Ils lancent ainsi leur ligne de poupées dans l’objectif de renforcer l’estime de soi des jeunes enfants, leur donner confiance en eux et les inspirer à développer leur plein potentiel. «On veut leur faire réaliser qu’ils sont magnifiques tels qu’ils sont et qu’ils ne devraient jamais avoir honte de leur couleur de peau.» Bâtir l’estime de soi dès le bas âge «Cet enjeu sociétal nous tient à cœur, on souhaite apporter notre contribution pour faire changer les choses», dit M. Nguepdjop, cofondateur de l’entreprise. L’ingénieur industriel employé dans le secteur manufacturier automobile, soutient que sa fille Yanaëlle, âgée de 3 ans, montre une attirance naturelle pour les poupées YMMA, en raison de leur peau foncée et de leurs vêtements colorés. «Elle ne fait peut-être pas encore la distinction consciente entre la peau noire et la peau blanche, car elle est encore très jeune. Et justement, en concevant notre entreprise on s’est dit qu’il faudrait que les enfants puissent réaliser dès leur bas âge que les poupées avec la peau noire sont aussi belles que les autres», confie-t-il. Le résidant de Lévis soutient qu’une exposition plus fréquente à des «poupées blanches» influence la perception des enfants à l’égard des standards de beauté. «Si les enfants jouent surtout avec ces poupées-là, logiquement, ils trouveront qu’elles sont les plus jolies. Mais si on leur offre un jouet qui leur ressemble, ils pourront se faire leur propre idée.» Soutenir l’économie locale En créant YMMA, ses fondateurs tenaient également à contribuer à la création d’emplois et au développement des économies locales, tant au Cameroun qu’au Québec. «Les vêtements de nos poupées sont confectionnés par deux couturières au Cameroun avec des tissus fabriqués localement, tandis que nos emballages sont fabriqués ici au Québec , explique M. Etoga. «Nous voulions aussi mettre en valeur la culture camerounaise, alors nous avons choisi d’inclure des références culturelles dans les noms de nos poupées», renchérit M. Nguepdjop. Ainsi, le nom de chaque poupée est composée par le nom de l’entreprise Ymma (prénom féminin de l’Afrique de l’est, qui signifie “femme forte” en dialecte camerounais Douala), le nom d’un quartier de Douala : Priso, Sadi ou Béri, et le nom du tissu traditionnel camerounais utilisé dans la confection de son vêtement : Ndop (tissu Bamiléké de l’Ouest du Cameroun), Toghu (tissu du Nord-Ouest), Wouri intense (en référence à la couleur bleue du fleuve Wouri qui traverse la ville de Douala), etc. Le cadeau parfait Sophie Boivin, résidante de Québec, dit avoir déniché le cadeau de Noël pour sa fille Delphine en fouillant sur les réseaux sociaux. «J’ai eu un coup de cœur quand j’ai vu passer la publication d’une poupée à la peau métissée qui ressemblait tellement à ma fille. Je me suis dit que j’avais trouvé sa jumelle!» s’exclame la mère de famille, qui est également tombée sous le charme de la ligne de vêtements aux motifs en pagne, s’apparentant aux robes que sa fille reçoit souvent en cadeau de sa belle-famille au Congo. Elle précise qu’il est important d’aider sa fille à développer sa confiance en elle, l’acceptation de soi et des différentes formes de beauté, pour qu’elle puisse être à l’aise dans la société plus tard. «J’ai de longs cheveux blonds et ma fille a une belle grande chevelure noire, c’est sûr qu’elle ne peut pas s’identifier avec moi. Puis, ici à Québec, elle est souvent une des rares filles de couleur dans sa classe, donc, elle a besoin de repères. Elle adore sa nouvelle poupée, elle la traîne partout avec elle!» Soutien inconditionnel Les cofondateurs d’YMMA sont fort reconnaissants du soutien moral fourni par leurs épouses qui leur permet de réussir à concilier leur emploi à temps plein, le lancement de l’entreprise et leur vie familiale. «Heureusement que Prisca est là pour moi, car ce n’est pas évident de travailler soirs et fins de semaine pour développer ce projet», confie M. Nguepdjop, ajoutant qu’elle met la main à la pâte également pour aider avec le design de vêtements et le choix de produits. M. Etoga partage le sentiment de son partenaire d’affaires. «Ma femme Annick s’occupe des relations publiques et de la gestion de réseaux sociaux, mais son soutien moral est également important pour moi.» Article de Karla Meza,  Le Devoir, Initiative de journalisme local