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Éducation à l’enfance : la formation en présence n’intéresse plus

Il y a 2 heures
Modifié à 16 h 12 min le 09 mai 2025
Par Michel Hersir

mhersir@gravitemedia.com

Les formations en ligne en éducation à l'enfance sont de plus en plus nombreuses. (Photo: Le Courrier du Sud ‒ Archives)

Quand vient le temps de choisir une formation pour éduquer des enfants en service de garde, de nombreux étudiants préfèrent aujourd’hui la formation à distance. Une réalité qui inquiète divers intervenants du milieu, qui estiment qu’un «métier humain» devrait être précédé par une formation «humain à humain».

À l’hiver 2024, cinq cohortes d’étudiants étaient inscrites à l’Attestation d'études collégiales (AEC) en éducation à l’enfance au cégep Édouard-Montpetit.

«Là, on en a une de démarrée, de peine et de misère», déplore Véronique Stanton, coordonnatrice du programme Techniques d'éducation à l'enfance au cégep.

Pourquoi? Principalement à cause de la prolifération des formations AEC qui se donnent à distance. Par exemple, un étudiant qui habite Longueuil peut très bien aujourd’hui suivre la formation à distance du cégep de la Gaspésie et des Îles.

Un phénomène que peine à comprendre Mme Stanton.

«Si je disais : nous partons une technique de soins infirmiers totalement à distance, tout le monde dirait : ben non! Hygiène dentaire? Ben non, il faut aller dans la bouche. Pourquoi on pense que quand il s’agit d’enfants, c’est possible?» déplore-t-elle.

Toute la différence

Camille Poulin-Riopel est enseignante en éducation à l’enfance au cégep Édouard-Montpetit. Elle supervise parfois des étudiants en stage et la rétroaction en milieu de garde ne peut être plus claire : «on se fait dire : on est contents de les avoir les vôtres! Quand est-ce que vous en avez d’autres? Envoyez les nous! Ils nous demandent des références», évoque-t-elle.

En milieu de garde, la différence entre une courte formation et un DEC «est évidente», estime Claudia Beaudin, directrice générale des centres de la petite enfance l’Attrait mignon, à Longueuil.

«Quand t’es en présentiel, tu te nourris de la richesse du groupe. Tu ne plies pas ton linge, tu ne fais rien d’autre que d’écouter le professeur», ajoute-t-elle.

Celle qui cumule une vaste expérience en milieu de garde rappelle l’historique de la création des AEC : «ç’a été construit au départ pour des gens qui travaillaient dans le milieu avec beaucoup d’expérience, pour que ces gens-là soient qualifiés. Maintenant, on trouve des gens dans l’AEC avec aucune expérience».

 

Camille Poulin-Riopel, Véronique Stanton et Martin Desrochers souhaitent une revalorisation de la profession d’éducatrice à l’enfance. (Photo: Le Courrier du Sud ‒ Michel Hersir)

 

Un format qui plait aux adultes

Pourtant, ces formations à distance sont pratiquement rendues la norme à la formation continue comme l’AEC. Si les données du ministère de l’Enseignement supérieur indiquent qu’en 2024-2025, 92,6% des formations à l’AEC se donnaient en présence, on note que la catégorie «en présence» inclut les formations hybrides.

Selon Martin Desrochers, directeur adjoint aux études au cégep Édouard-Montpetit, environ 5% des programmes en éducation à l’enfance à la formation continue se donnent aujourd’hui en présence.

«Il y a de la précarité financière chez nos étudiants adultes, quand ils reviennent aux études, ils doivent travailler en même temps. C’est sûr que c’est facilitant du point de vue logistique. C’est plus simple pour tout», évoque-t-il à propos des raisons qui amènent les étudiants à délaisser la formation en présence.

On comprend d’ailleurs que le cégep n’aura pas le choix de s’adapter et instaurer ce type de formation dans un futur rapproché : « ce qu’on a dit à l’équipe, c’est que même si on voit la plus-value d’être en présence pour une technique humaine, on ne peut pas vivre à l’extérieur de notre environnement», ajoute M. Desrochers.

 

Compétence collégiale

Au ministère de l’Enseignement supérieur, on dit prendre acte de la place grandissante de la formation en ligne, sans prendre position sur le sujet. «La volonté du ministère n’est pas de limiter ou d’augmenter, mais bien de soutenir les établissements, et ce, peu importe le mode d’enseignement déterminé», exprime-t-il.

Il ajoute que l’offre de formation continue et ses modalités relèvent de la compétence des cégeps. «Le ministère […] s’attend de la même qualité pédagogique pour les programmes en ligne qu’en salle de classe», souligne-t-il.

 

Milieu sous tension

La situation à la formation régulière n’est pas tout rose non plus. Les inscriptions au DEC en éducation à l’enfance sont stables au cégep Édouard-Montpetit, mais la population étudiante en Montérégie a augmenté et la plupart des programmes ont vu une hausse des demandes d’admission.

De plus, cette stabilité ne se reflète pas ailleurs dans le réseau : le cégep de Sorel a récemment fermé son département de technique d’éducation à l’enfance. La Presse révélait également que la formation au cégep Gérald-Godin à Montréal était suspendue pour la prochaine année.

Le Cégep de Valleyfield n’a pour sa part diplômé qu’une seule étudiante au DEC en 2024, confirme Geneviève Boileau, directrice des communications de l’établissement.

Celle-ci évoque cependant un contexte défavorable pour cette cohorte, notamment avec les effets collatéraux de la Covid : remise en question de plusieurs étudiants et émergence de formations courtes.

Et il n’est pas question de fermer le département, assure-t-elle, soulignant les importants efforts déployés depuis pour attirer les étudiants. Les demandes d’admission «se sont nettement améliorées» d’ailleurs, alors que deux groupes par année ont commencé la formation depuis deux ans.

Profession à valoriser

Tous les intervenants rencontrés sont unanimes : la formation à l’éducation à l’enfance doit être plus valorisée à l’échelle nationale. Claudia Beaudin évoque entre autres l’entente de principe récemment conclue dans plusieurs centres de la petite enfance.

«Dans le monde de la construction, on n’attend pas que les conventions deviennent échues. On négocie, on ne tombe pas en grève. Nous, c’est toujours la même affaire. On a l‘impression que l’éducation est toujours en grève, mais c’est parce que le gouvernement tarde à régler. Oui, il y a une dévalorisation», estime-t-elle.

Mme Beaudin soutient entre autres qu’il est plus difficile de recruter des éducatrices qualifiées qu’auparavant et attribue le tout aux salaires de la profession.

«Mes employés ici ne font même pas 1000$ clair par 2 semaines. Quand tu penses que te loger ici à Longueuil te coûte au moins 1400$ par mois… On est toujours le DEC le moins bien payé de toutes les formations collégiales», renchérit-elle.

Véronique Stanton estime quant à elle que le rôle de l’éducatrice a été perdu de vue.

«On dévalorise la profession, mais en parallèle, on n’a jamais autant exigé des éducatrices. On veut qu’elles fassent des portraits développementaux des enfants deux fois par année, on veut le contrôle de la qualité éducative, le ministère insiste là-dessus, ils envoient des inspecteurs. Les éducatrices sont à bout de souffle»,  signale-t-elle.

Dans ce contexte, Martin Desroches croit ainsi plus important que jamais de redorer la profession.

«C’est quand même complexe, on voit que c’est plus que juste la formation à distance. On ne parle pas assez de l’importance des éducatrices qualifiées dans notre société. On veut valoriser cette formation-là et s’assurer que plus de personnes s’intéressent à ça», soutient-il. 

 

À LIRE ÉGALEMENT : Chronique d'un programme et d'une profession sous respirateur artificiel, un article de Camille Poulin-Riopel et Véronique Stanton dans La Dépêche, le journal du Syndicat des professeures et des professeurs du Cégep Édouard-Montpetit