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Église de Saint-Lambert : la vision d’une historienne de l’art

le mardi 26 mars 2024
Modifié à 9 h 23 min le 26 mars 2024
Par Sylvain Daignault - Initiative de journalisme local

sdaignault@gravitemedia.com

À la suite de l’annonce survenue en décembre dernier concernant la vente de l’église catholique de Saint-Lambert, Gaétane Dufour, historienne de l’art et résidente du secteur, souhaite rappeler tant au vendeur qu’aux éventuels acheteurs ses rappels symboliques, ses qualités architecturales et son histoire.

C’est sur le parvis de l’église que Mme Dufour accueille le journaliste du Courrier du Sud. Se décrivant comme peu pratiquante – comme la grande majorité des Québécois – Mme Dufour tient quand même à la préservation du patrimoine religieux.

«Depuis 1937, cette église a été le théâtre des rituels spirituels catholiques des Lambertois. Il faut reconnaitre ses innombrables valeurs patrimoniales et lui assigner de nouvelles fonctions répondant à des nouveaux besoins sociaux-culturels», ajoute l’historienne de l’art.

Gaétane Dufour, historienne de l’art. (Photo: Le Courrier du Sud – Sylvain Daignault) 

Selon les informations obtenues par le curé Grégoire Tshimanyika Tshiombe, le prix de vente demandé pour l’église est de 1,5 M$, un prix somme toute raisonnable quand on constate que des condos de 1000 pieds carrés se vendent à plus de 500 000$ dans le secteur. «Nous voulons vendre à une ONG ou un OBNL qui présentera un projet qui aura un impact social et communautaire pour le quartier», précise-t-il. Aucune offre concrète n’a été présenté jusqu’à présent.

Quatre types d’arcs
Une fois à l’intérieur de l’église, l’historienne de l’art se transforme en professeure. «Le plan de l’église en croix latine est traditionnel, mais ses bras sont courts.»

Tout en déambulant, Mme Dufour fait remarquer que quatre types d’arcs composent l’intérieur du bâtiment. Un point central, la statue de saint Lambert, repose au sommet d’un arc de cercle peu profond, et issu du sol, un arc allongé parabolique qui enveloppe l’arc de cercle précité, et se prolonge vers la nef formant ainsi les murs du sanctuaire. «L’arc est magistral, et encore une fois, un éclairage approprié rend l’espace radieux. Cet ensemble sacré est la représentation symbolique de la voûte céleste.»

La structure de l’édifice, en béton armé, a permis la réalisation d’une très haute voûte en arc polygonal triangulaire couvrant la nef entière, et particulièrement, sans colonne obstruant la vue. Enfin, des arcs en mitre ouvrent les murs latéraux à la lumière du jour et rappellent la coiffe des Évêques.

Le chemin de croix a été réalisé en 1937 par Mgr Charles Maillard, un artiste qui a œuvré à travers le Canada. Des Lambertois se souvenaient qu’il utilisait les gens du milieu à titre de modèles pour réaliser les personnages de son œuvre ; il respectait le style dépouillé de l’époque. De plus, l’église est dotée d’un imposant orgue Casavant et Frères en bon état. 

Projets
Mme Dufour a déjà fait part au diocèse de deux projets qui pourraient être intéressants. Le premier : une salle de concert en raison de l’acoustique. Puis, l’installation d’un colombarium dans la partie avant de l’église. «J’ai eu le malheur de perdre ma fille quand elle avait 35 ans. Son urne est enterrée dans notre lot familial. S’il y avait un colombarium, c’est certain que je l’apporterais ici.»  

Apprécier les qualités patrimoniales
«Au cours de leur histoire, les Lambertois ont érigé neuf églises. Il en reste sept. Elles possèdent toutes des valeurs historiques, patrimoniales et urbanistiques indéniables», souligne Mme Dufour. 

«À l’origine les gens du Mouillepied, le premier nom du village, étaient rattachés à la paroisse de La Prairie de la Madeleine. En 1721, ils ont intégré à la paroisse Saint-Antoine-de-Longueuil contre leur gré», poursuit-elle.

En 1857, la municipalité de Saint-Lambert est créée. «Un des grands souhaits du moment est d’obtenir l’autonomie religieuse, ajoute Mme Dufour. À compter du 20 février 1887, des messes sont célébrées dans la maison de Noël Mercille.»

En 1891, le culte est offert dans une chapelle-école jusqu’en 1894, année de la fondation de la paroisse Saint-Lambert. «La première église réalisée selon un plan de George-Alphonse Monette est ouverte en 1896. Elle sera détruite par un incendie en 1936. L’église actuelle sera construite sur le même terrain de la rue Lorne, et selon les normes architecturales du moment», précise la passionnée. 

Le recouvrement extérieur du bâtiment est en pierre. La façade simple et large affiche les préceptes chrétiens. Comme le voulait le mouvement rationaliste en architecture, le monument offrait tout ce qui était essentiel à ses fonctions religieuses. «En architecte reconnu, Gaston Gagnier connaissait l’utilité et la symbolique des formes et des équipements. Après avoir visité plusieurs églises de l’époque, à mon avis, l’église Saint-Lambert est d’un goût raffiné et elle est la plus harmonieuse parmi toutes celles créées dans le style Dom Bellot au Québec», de conclure Mme Dufour qui souhaite par-dessus tout que cette église ne connaisse pas le même sort que l’ancienne église anglicane de Saint-Lambert située à quelques dizaines de mètres sur la même rue.

Style Dom Bellot
À cet effet, le moine bénédictin français Dom Paul Bellot (1876 1944) étudia les créations architecturales européennes, en particulier celles des Maures d’Espagne issues du Moyen-Orient. Son enjeu était d’adapter les nouvelles constructions d’églises au nouveau rationaliste architectural. 

«Ce moine vient au Québec entre 1934 et 1944 et réalise la coupole de l’oratoire Saint-Joseph et l’abbaye de Saint-Benoit-du-Lac, deux joyaux parmi le patrimoine bâti québécois reconnu», souligne Mme Dufour.

Dom Paul Bellot s’attire plusieurs disciples, tel l’architecte montréalais Gaston Gagné (1905-1982), le créateur des plans de l’église Saint-Lambert. Cette dernière serait une des premières, si non la première, d’une lignée d’une trentaine d’églises québécoises réalisées entre 1935 et 1955 dans le style dit : Dom Bellot.