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Enseignement à la maison: « Donnez une chance au règlement actuel »

le lundi 27 mai 2019
Modifié à 13 h 30 min le 27 mai 2019
Par Ali Dostie

adostie@gravitemedia.com

ÉDUCATION. Les modifications au règlement encadrant l’enseignement à la maison annoncées par le ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur Jean-François Roberge imposeront désormais les évaluations et le programme ministériels aux enfants qui apprennent à domicile. Selon Michelle Chartrand, qui enseigne à quatre de ses six enfants, une telle mesure va à l’encontre de la nature même de l’école à la maison et aura surtout pour effet de «niveler vers le bas» son enseignement. «Les programmes dans les écoles sont faits pour assurer la continuation d’un groupe de 25 élèves, qui passent d’un prof à l’autre année après année. Ils ne sont pas conçus parce que c’est la meilleure façon d’offrir un enseignement personnalisé», compare la mère de famille de Longueuil. Les parents qui font le choix d’enseigner à leur enfant veulent leur offrir le meilleur, estime-t-elle, et feront beaucoup de recherches sur le sujet. Ayant lu que les élèves les plus performants en mathématiques sont ceux de Singapour, Mme Chartrand enseigne donc ces mathématiques à ses enfants. Ce qui ne serait pas conforme en vertu de la version modifiée du règlement. «C’est un peu prétentieux de la part du ministre Roberge de penser que le programme québécois de 2019 est la meilleure chose qui existe dans le monde», soutient Mme Chartrand. «Je pense que mes enfants ont un niveau supérieur», poursuit-elle, se considérant chanceuse qu’ils aient une «grande facilité» à apprendre. Par contre, ils n’apprennent pas nécessairement les mêmes notions au même moment que les élèves du programme régulier. «S’ils sont soumis à un examen du Ministère qui évalue le volume des solides et que ça s’adonne qu’ils l’ont vu il y a un an ou deux, et pas forcément de la même façon, il sont désavantagés.» Une semaine type Michelle Chartrand privilégie l’enseignement individuel pour certaines notions, alors que d’autres sont apprises en groupe. Du lundi au jeudi, les matières de bases sont abordées. «Un enseignement un à un, c’est très efficace. Alors quatre matins par semaine, c’est en masse. On fait tout ce qu’on doit pour être en avance sur le programme scolaire. Je prépare à l’avance ce qu’ils ont à faire. Ils ont chacun une check list. Chacun travaille de façon autonome et je passe ensuite pour enseigner ce pour quoi ils ont besoin de mon assistance.» Le vendredi, Mme Chartrand et ses enfants rejoignent un groupe d’une quinzaine de familles qui font aussi l’école à la maison. Ils participent à des cours tels que le théâtre, les échecs, les arts plastique, l’éducation physique. Et chez les Chartrand, l’univers social s’apprend en famille. Par exemple, en prévision d’un voyage en Italie, ils en apprennent plus sur la Rome antique ou encore l’histoire de Pompéi. La visite rendra ensuite concrets les apprentissages. Sa fille de dix ans pourra rédiger un texte sur le sujet, alors que son fils de cinq ans fera peut-être un dessin du Colisée. «Je vois des beaux résultats: ils s’intéressent à l’Histoire, parlent de périodes et de lieux. Ça amène des conversations en famille. À mon avis, c’est beaucoup plus riche.» L’enseignement à la maison est aussi une formule privilégiée lorsque les enfants ont certaines difficultés d’apprentissage. Il est ainsi mieux adapté aux besoins de l’élève. Trop tôt Le règlement sur l’enseignement à la maison adopté en 2018 par Sébastien Proulx, à ce moment ministre de l’Éducation, instaure des balises pour mieux encadrer ce qui ne bénéficiait auparavant d’aucune loi uniforme. D’une commission scolaire à l’autre, la méthode d’évaluation variait beaucoup. À Longueuil, les écoles de quartier en étaient en charge. «Ç’a été un processus de plusieurs mois pendant lequel le ministre Proulx a rencontré des familles, des présidents des associations d’école à la maison, des chercheurs qui ont fait des études sur le sujet», expose Michelle Chartrand. Selon elle, la loi actuelle est «assez complète» et il est encore trop tôt pour revoir cette réglementation, qui est vieille d’à peine huit mois. «C’est rare que l’on fait une réforme après si peu de temps. Généralement, on voit pendant un an ou deux comment ça se passe.» Elle croit aussi que les employés de la Direction de l’enseignement à la maison (DEM), au ministère de l’Éducation, qui sont responsables entre autres d’évaluer les projets d’apprentissage et les bilans d’évaluation, deviendront au fil des ans des spécialistes de la question. Selon les données du Ministère, 5200 enfants profiteraient de l’enseignement à la maison dans la province. Experts tablettés? Michelle Chartrand trouve aussi particulièrement frustrant que le ministre Roberge n’ait pas consulté la Table de concertation nationale en matière d’enseignement à la maison, mise en place l’an dernier. Elle regroupe entre autres acteurs du milieu, chercheurs, représentants des organisations et commissions scolaires. «La table est écrite dans la Loi, et depuis que la CAQ est au pouvoir... ils ne l’ont pas abolie, mais ne l’ont jamais convoquée. C’est tout comme.» «Les familles demandent deux choses, résume Mme Chartrand. Donnez une chance au règlement actuel. Si c’est insuffisant, on s’adaptera. Et si vous voulez le changer, parlez à la table de concertation. Si vous prenez des décisions sans faire appel aux experts du milieu, c’est de l’idéologie. Ce n’est pas basé sur des faits, mais sur des idées préconçues.» Les questions et demandes d’entrevue envoyées au cabinet du ministre Roberge étaient toujours sans réponse au moment de mettre sous presse.     Ce que changera le nouveau règlement Actuellement, le Règlement sur l’enseignement à la maison adopté par les libéraux en 2018 exige que le projet d’apprentissage de l’enfant couvre sept matières: le français, une langue seconde, les mathématiques, les sciences et technologies, les arts, le développement de la personne ainsi que l’univers social. Il donne toutefois le choix au parent de suivre le programme ministériel ou d’aborder ces matières au moyen d’autres méthodes d’enseignements et d’activités. Les parents doivent transmettre à la Direction de l’enseignement à domicile (DEM), mise en place au sein du ministère de l’Éducation, un projet d’apprentissage qui sera soumis à l’évaluation et devra être approuvé par un inspecteur. Quant aux méthodes d’évaluation, le règlement offre cinq possibilités aux parents, dont les examens du Ministère, mais aussi une évaluation par la commission scolaire, une évaluation au privé ou encore la présentation d’un portfolio des apprentissages. Les parents doivent soumettre un bilan de mi-parcours et de fin de projet afin de faire état de la progression de l’enfant. Des rencontres de suivi sont aussi prévues. Le nouveau règlement La modification du règlement annoncée par le ministre Roberge prévoit que les parents appliquent les programmes d’études du Ministère pour cinq matières: la langue d’enseignement ainsi qu’une langue seconde (français ou anglais), les mathématiques, les sciences et l’univers social. Les arts ainsi que le développement de la personne ne font plus partie des matières obligatoires à aborder. Tous les enfants qui reçoivent l’enseignement à la maison devront suivre le programme ministériel et se soumettre aux examens du Ministère. Les enfants devront aussi assister aux rencontres de suivi. Le règlement entrera en vigueur le 1er juillet.   La Protectrice du citoyen recommande le report du règlement Dans un rapport publié le 9 mai, la Protectrice du citoyen du Québec recommande d’étudier les impacts de l’actuel Règlement sur l’enseignement à la maison et de reporter l’entrée en vigueur des modifications prévues. Elle attaque la pertinence même des modifications, s’interrogeant sur «la nature et l’ampleur des lacunes que les modifications proposées visent à corriger». La Protectrice Marie Rinfret suggère ainsi au ministre Roberge de consulter les acteurs impliqués afin d’évaluer les impacts du règlement, qui n’ont jusqu’ici pas ou peu été documentés. De plus, elle affirme n’avoir reçu «aucune information permettant de croire que l’application du règlement aurait causé des préjudices aux milliers d’enfants scolarisés à la maison, ou compromis leur droit à l’éducation». Mme Rinfret se dit également «inquiète» que les modifications «nuisent aux efforts» visant, depuis juillet 2018, à encadrer et soutenir les parents qui assurent l’école à la maison. En 2018-2019, 5200 enfants étaient inscrits comme recevant la scolarisation à domicile, soit 4000 de plus qu’en 2013-2014. La Protectrice avise que la passation de ces examens ministériels ne pourrait servir à mesurer la réussite scolaire des enfants. Citant un rapport du Protecteur du citoyen de 2015, elle indique que «les évaluations typiquement scolaires ne sont pas adaptées pour rendre compte des apprentissages des enfants scolarisés à la maison. L’information colligée serait peu ou pas représentative de l’évolution de leurs apprentissages».