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Hôpital Pierre-Boucher : visite d’une urgence sous pression

le mardi 03 juin 2025
Modifié à 16 h 33 min le 02 juin 2025
Par Sylvain Daignault - Initiative de journalisme local

sdaignault@gravitemedia.com

Ce qui frappe en sillonnant les corridors de l’Hôpital Pierre-Boucher à Longueuil, c’est qu’il n’y a pratiquement pas un centimètre de libre sur les murs. Chaque espace est utilisé à son maximum. C’est pourquoi le personnel se réjouit de l’annonce du gouvernement d’aller de l’avant avec le projet d’une nouvelle urgence qui sera construite à côté de l’hôpital.

L’unité d’urgence dispose de 47 places pour accueillir près de 70 000 patients chaque année. On y compte souvent 78 personnes. Malgré cette affluence, environ 85 % des personnes qui s’y présentent retournent chez elles après leur passage. Toutefois, la durée moyenne d’attente frôle les 17 heures, un chiffre révélateur des pressions qui pèsent sur le personnel et les installations.

Le service est assuré par une vingtaine d’infirmières de jour, 15 en soirée et autant durant la nuit, épaulées par des infirmières auxiliaires, des préposés aux bénéficiaires et du personnel administratif. L’équipe médicale compte six médecins le jour, trois le soir et deux la nuit.

Mais derrière cette organisation, les contraintes physiques de l’urgence se font durement sentir. Avec seulement quatre toilettes pour l’ensemble des patients, plusieurs doivent recourir aux chaises d’aisance, souvent utilisées à même les aires de soins, derrière un simple rideau pour toute intimité.

Un poste de garde installé dans un corridor. (Photo: Le Courrier du Sud – Sylvain Daignault)

L’espace exigu a forcé l’hôpital à étendre l’unité d’urgence jusque dans les corridors, où l’absence de poste de garde central complique davantage le travail du personnel. Des postes de soins improvisés sont disséminés çà et là, obligeant les infirmières à se lever constamment pour laisser passer collègues et patients.

L’encombrement des corridors de l’urgence de l’Hôpital Pierre-Boucher rend difficile la circulation du personnel et des patients. (Photo: Le Courrier du Sud – Sylvain Daignault) 

«Au triage, on a installé une zone de pré-tri... en plein milieu d’un corridor très passant. On a même dû abattre un mur pour gagner un peu d’espace. L’urgence est morcelée : on fonctionne en grappes, en racoins. Il n’y a pas de poste de garde central», déplore Marie-Claude Rousselle, cheffe de l’urgence et de l’aire ambulatoire, lors d’une visite du Courrier du Sud.

Cannibalisation

:À 43 ans, le Dr Clément Stegen a grandi en même temps que l’Hôpital Pierre-Boucher. Mais aujourd’hui, ce chef médical de l’urgence constate que l’établissement, tout comme son service, est à bout de souffle.

«Avec les années, l’urgence, en manque chronique d’espace, a cannibalisé des secteurs qui appartenaient à d’autres départements », explique-t-il. Une expansion improvisée dictée par la nécessité, dans un contexte où l’urgence affiche un taux d’occupation annuel moyen de 140%.

Et les pointes hivernales ne font qu’aggraver une situation déjà tendue. «En période de surcapacité extrême, des patients en attente d’hospitalisation doivent parfois patienter dans la salle d’attente faute de civières disponibles, même dans les corridors», déplore-t-il.

Un système à bout de souffle

Pour illustrer les rouages de cette surcharge, le Dr Stegen divise le fonctionnement de l’urgence en trois volets : les «intrants» (la population desservie), les services offerts (sur lesquels le personnel peut influer) et le «déversement», c’est-à-dire la capacité à transférer les patients vers les étages ou d’autres établissements.

«C’est là que ça coince. Quand on se fait dire à 22 h qu’on ne peut pas retourner Mme Tremblay en CHSLD, le blocage est là. L’engorgement ne vient pas de l’entrée, mais du fait qu’on ne peut pas libérer les lits», souligne-t-il.

Pour lui, la phase I du projet doit impérativement être suivie d’une phase II, avec l’ajout d’étages pour accroître la capacité d’hospitalisation.

«Une urgence ne déborde pas» 

Claudie Gagnon, directrice des soins critiques pour le CISSS de la Montérégie-Est, chapeaute les urgences de trois hôpitaux dont Pierre-Boucher. Elle veut mettre fin à un malentendu persistant : «Une urgence ne déborde pas. Le problème, c’est qu’on y retient des patients qui devraient être hospitalisés.»

Selon elle, à l’année, la moitié des civières sont occupées par des patients en attente d’un lit aux étages. Un phénomène aggravé par les délais pour transférer les patients vers les CHSLD, résidences intermédiaires ou centres de réadaptation.

Dans l’ordre habituel : Claudie Gagnon, directrice des soins critiques pour le CISSSME, Marie-Claude Rousselle, cheffe de l’urgence et de l’aire ambulatoire de l’Hôpital Pierre-Boucher, et le Dr Clément Stegen, chef médical de l’urgence. (Photo: Le Courrier du Sud – Sylvain Daignault)

Et la clientèle vieillissante de la région complique davantage la gestion. «Il faut éviter le déconditionnement. Les patients âgés doivent bouger, mais ici, faute d’espace, c’est souvent impossible. Et ça devient dangereux», alerte-t-elle.

Sécurité en péril

La pression quotidienne s’accompagne aussi d’une montée marquée des cas de violence. Pour protéger le personnel, l’établissement a installé des plexiglas, des boutons d’urgence, et même vissé les équipements aux bureaux. Malgré cela, les incidents se multiplient.

«On voit de plus en plus de cas complexes : santé mentale, violence, itinérance. Il y a peu de jours où on ne doit pas gérer un patient agressif. Une porte a même été arrachée récemment, raconte le Dr Stegen. Les installations actuelles ne sont tout simplement pas sécuritaires.»

Et l’aile de psychiatrie, située en plein cœur de l’urgence, dans une pièce sans fenêtre, n’aide en rien au rétablissement des patients. «Ce n’est pas un environnement thérapeutique.»

Un projet attendu, mais à compléter

Malgré les obstacles, les équipes gardent espoir. «Notre projet est réaliste, simple et efficace. Il a été bien accueilli. La SQI (Société québécoise des infrastructures) a visité les lieux en hiver et a vu notre réalité de près», affirme Mme Gagnon.

Les nouvelles installations prévoiront 54 civières, une zone d’évaluation rapide avec 10 fauteuils, une unité d’hospitalisation brève de 24 lits, et plusieurs espaces multifonctionnels dédiés aux soins ambulatoires, à la formation et au soutien clinique.

Le bâtiment sera également conçu pour permettre l’ajout d’étages à long terme. Des travaux de génie civil, nécessaires pour dévier temporairement les ambulances pendant le chantier, doivent débuter sous peu.

La nouvelle urgence occupera l’emplacement d’un stationnement. (Photo: Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Est)

L’Hôpital Pierre-Boucher, qui compte actuellement 365 lits, espère ainsi sortir l’urgence de l’impasse — et lui offrir, enfin, l’espace dont elle a désespérément besoin.