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COVID-19

Hôpitaux à Longueuil: entrevue avec deux intensivistes

le mardi 12 janvier 2021
Modifié à 17 h 14 min le 11 janvier 2021
Par Ali Dostie

adostie@gravitemedia.com

Alors que la situation s’est particulièrement aggravée aux soins intensifs des hôpitaux Pierre-Boucher et Charles-Le Moyne récemment, deux intensivistes de ces établissements appréhendent les semaines à venir. Ils se butent aussi à des ressources humaines limitées qui les empêchent d’en faire plus. À lire aussi: la situation est «très critique» dans les hôpitaux du Grand Montréal À l’hôpital Charles-Le Moyne, le nombre de patients COVID aux soins intensifs a doublé depuis avant les Fêtes. «On est à capacité maximale», indique le chef des soins intensifs Dr Germain Poirier, qui n’hésite pas à dire que le centre hospitalier est dans une situation «assez critique», comme bon nombre d’autres hôpitaux du Grand Montréal. À l’hôpital Pierre-Boucher, identifié depuis le 18 décembre comme étant dans une situation critique, le portrait est similaire. Conséquence? Des gens qui se présentent à l’urgence et dont la condition nécessite une hospitalisation sont transférés vers d’autres centres hospitaliers. Intensiviste et cardiologue, le Dr Lior Bibas soulève par ailleurs qu’être soigné à des kilomètres de la maison – jusqu’à Sorel, entre autres – est «encore plus anxiogène» pour les patients. La situation est critique non seulement aux soins intensifs, mais dans l’ensemble de l’hôpital, à pleine capacité, de sorte qu’après une chirurgie, il est difficile de trouver un lit, donne-t-il en exemple. À ceux qui affirment que le réseau de la santé est toujours saturé, il rappelle qu’une maladie très contagieuse et sévère est maintenant dans l’équation.

«On est à 120%. Oui, c’est toujours comme ça, mais là, c’est juste pire.» Lior Bibas, cardiologue à l’hôpital Pierre-Boucher
Le pire à venir ? C’est toutefois ce qui attend le centre hospitalier pour les prochains jours qui «inquiète beaucoup» le Dr Bibas. Jusqu’à la semaine dernière, très peu de personnes ayant contracté la COVID-19 lors de rassemblements du temps des Fêtes s’étaient présentées à l’urgence. «Dans le cours normal des choses, ça peut prendre 5, 10 ou même 14 jours avant l’apparition de symptômes. Et les gens viennent à l’hôpital environ une semaine après les premiers symptômes», analysait-il, en entrevue au journal la semaine passée. Il anticipait donc que ces cas se manifestent dès cette semaine. «Ma crainte, c’est lorsqu’il n’y aura plus d’hôpital où transférer les patients, on sera forcé d’agrandir nos soins. On a l’espace, les équipements, les médecins, mais pas le personnel infirmier et le personnel de soutien, s’inquiète-t-il. On se retrouvera dans une situation où on ne pourra pas offrir les meilleurs soins.» [caption id="attachment_106523" align="alignright" width="360"] Les soins intensifs à l'Hôpital Charles-Le Moyne[/caption] Le Dr Germain Poirier anticipe aussi une telle recrudescence, alors qu’à l’échelle nationale, le nombre de personnes ayant la COVID qui sont aux soins intensifs s’approche dangereusement du point culminant de 226 cas atteint au printemps. «Avant les Fêtes, on ne pensait pas que ce soit possible qu’il y ait une explosion de cas [aux soins intensifs]. Maintenant, tous les scénarios sont possibles», est-il forcé de constater. Tout comme celui de recourir à l’«ultime outil» qu’est le protocole de triage, un processus d’attribution des lits, advenant l’impossibilité de soigner tout le monde. Le Dr Bibas assure que celui-ci n’est pas encore enclenché, mais qu’il demeure malheureusement envisageable. Délester d’abord Avant, l’option de délester certaines chirurgies est sur la table. Le vaste délestage du printemps avait permis aux soins intensifs «d’emprunter» les équipes des salles d’opération. Lors de la première vague, les soins intensifs de l’hôpital Pierre-Boucher avaient ainsi élargi leur capacité à 27 lits. Un scénario qui ne peut être répété en ce moment, faute de ressources humaines (inhalothérapeutes, infirmières spécialisées, physiothérapeutes, notamment). La solution serait-elle de permettre de reporter plus de chirurgies? «On est vraiment mal pris, mais il ne faut pas oublier les patients qui n’ont pas la COVID, nuance le Dr Bibas. Quelqu’un qui attend sa chirurgie et qui aurait tout fait, tout respecté, il serait perdant si on remettait sa chirurgie. Il y a un enjeu éthique aussi. Si c’est une chirurgie majeure, il n’y a pas de délai.» [caption id="attachment_89985" align="alignleft" width="306"] Dr Germain Poirier, chef des soins intensifs de l’Hôpital Charles-Le Moyne[/caption] Le Dr Poirier rappelle la récente demande ministérielle d’augmenter de 150% le nombre de lits des soins intensifs. Une demande qui pourrait éventuellement exiger une hausse de capacité de 200%. Là encore, l’enjeu est la main-d’œuvre. «On peut jouer un peu avec les ratios d’infirmières et se rabattre sur ceux qui travaillent dans les blocs opératoires ou encore les salles de réveil. C’est comme un jeu sur un échiquier, où on déplace des gens, et ce n’est pas facile», explique le médecin.    

21 jours de travail consécutifs

[caption id="attachment_106524" align="alignright" width="317"] Les soins intensifs à l'Hôpital Charles-Le Moyne[/caption] Après 10 mois de pandémie, la fatigue se fait inévitablement sentir chez l’ensemble du personnel de la santé. Avant les Fêtes, le Dr Poirier a travaillé durant 21 jours consécutifs, incluant des périodes de garde de 24 heures. «C’est éprouvant, mais on n’a pas beaucoup le choix, se résigne-t-il. On sait que c’est momentané, on est encore en mode résilience. Ce n’est pas le temps de baisser le fanion.» Dans ce contexte où des efforts exceptionnels sont sollicités du personnel soignant, la frustration devant le non-respect des consignes de la part de certains citoyens est bien réelle. «C’est la population, c’est le système de santé, c’est tout le monde qui paie pour. Ce n’est pas le temps de penser en termes individualistes, mais en termes sociétaires.» Les professionnels vivent entretemps avec la crainte permanente de contracter la COVID-19 au travail. «On devient un peu parano, témoigne le Dr Poirier. J’aimerais mieux ne pas avoir à prendre de risque, mais je n’ai pas le choix. Mais on est testé régulièrement et j’espère que le vaccin va me protéger.» Des professionnels des deux hôpitaux de Longueuil ont commencé à le recevoir. Le Dr Germain Poirier a été vacciné entre Noël et le jour de l’An; le Dr Lior Bibas a eu son rendez-vous le 8 janvier.  

État de la situation

Hôpital Pierre-Boucher -63 patients atteints de la COVID-19 hospitalisés -De ce nombre, 12 sont aux soins intensifs. -La totalité des 15-16 lits aux soins intensifs sont occupés. (En date du 11 janvier)   Hôpital Charles-Le Moyne -49 patients atteints de la COVID-19 hospitalisés -De ce nombre, 15 sont aux soins intensifs. -13 patients sont à l'unité verte des soins intensifs. (En date du 11 janvier)