Culture

Jules Massenet, l'intégrale : le plus grand projet de mélodies françaises jamais enregistré

le vendredi 25 novembre 2022
Modifié à 13 h 57 min le 24 novembre 2022
Par Ali Dostie

adostie@gravitemedia.com

Le lancement a eu lieu le 8 novembre. (Photo: Gracieuseté - Sylvain Tousignant)

Jules Massenet. L’intégrale des mélodies pour voix et piano recense 331 mélodies du compositeur français. Ce coffret de 13 CD lancé par ATMA Classique et le Festival Classica, sous la direction artistique de Marc Boucher, constitue le plus grand projet de mélodies françaises jamais enregistré au monde et le plus ambitieux projet lyrique au Canada. 

Aux balbutiements de cette aventure échelonnée sur cinq ans, 285 mélodies de ce compositeur étaient connues. Au fil des recherches, 13 mélodies inédites et 31 qui n’avaient jamais été enregistrées ont été dévoilées au grand jour.

«Je ne savais pas à ce moment qu’il en avait écrit autant. L’œuvre de Massenet, c’est une contribution majeure», témoigne Marc Boucher.

«Massenet, c’est le John Lennon ou le Paul McCartney de son époque.»
-Marc Boucher, à propos de l’œuvre prolifique du compositeur

Recherche et découvertes

Le travail a été colossal et la recherche a mené le baryton, ainsi que son ami musicologue Jacques Hétu, un peu partout dans le monde: à la Bibliothèque Nouvelle de France, et à celle de Beinecke à l’université Yale aux États-Unis, entre autres. 

Des partitions acquises, dont certaines ont nécessité des dépenses «assez considérables» afin que les versions manuscrites soient éditées et ainsi rendues lisibles par des experts.

Certaines mélodies font partie de l’intégrale grâce au chef d’orchestre Richard Bonynge. «Quand il était jeune, il achetait des partitions sur les quais de Paris. Il nous en a donnés, dont une, Près de vous, qui était inconnue», raconte M. Boucher.

Marc Boucher est directeur artistique et interprète pour cette intégrale de Jules Massenet. (Photo gracieuseté)

Jusqu’à deux semaines avant le début de l’enregistrement en avril dernier, il a pu mettre la main sur des partitions.

Malgré le nombre imposant de mélodies, cette intégrale n’est pas complète. Certaines partitions sont conservées par des collectionneurs privés, des encanteurs, des successeurs. «Certains coquins les cachent dans leur salon, dit M. Boucher, quelque peu irrité par cette chasse gardée qui ne prévaut «pas toujours pour les bonnes raisons». 

«Le jour où l’on va pouvoir les rendre disponibles à tous, ce sera le bonheur, exprime-t-il. Ce sont des trésors. Ils méritent d’être entendus.»

Un piano de 1854 

Le piano Érard de 1854. (Photo gracieuseté)

Près de 18 mois ont été nécessaires pour enregistrer ces 331 mélodies. L’église Saint-Benoît à Mirabel, toute en bois, a été choisie pour son acoustique naturel. 

La musique prend vie notamment sous les doigts d’Olivier Godin, l’unique pianiste qui interprète toutes ces mélodies. «Ça m’a pris un an pour le convaincre, confie Marc Boucher. Au début, je lui disais qu’ils seraient deux ou trois, mais je savais déjà que je le voulais lui.»

Il y joue sur un piano historique Érard de 1854. L’instrument a été acquis à Paris chez Pianos Nebout & Hamm. Il a été entièrement remis en état avec des pièces d’origine, telles que son clavier en ivoire et ses marteaux. 

Le piano a été remis au Festival Classica en février 2018. «C’est drôle à dire, mais ça lui a pris six mois pour se stabiliser et s’habituer au climat du Québec, avec l’humidité et la température», relate Marc Boucher.

Cette acquisition n’était pas un caprice, selon lui.

«Tant qu’à faire un projet de cette envergue aussi bien le faire dans les règles de l’art.»

-Marc Boucher

La musicologie cherche cette vérité historique du son, afin de retrouver l’état des œuvres tel qu’entendues à leur création. 

«Avant 1925, ou 1940  les cordes sont des boyaux, des cordes naturelles. Tout s’est développé au 20e siècle. Avec les grandes salles, ç’a forcé à avoir des instruments plus puissants», mentionne le chanteur.

L’instrument est utilisé pour tout concert du Festival Classica mettant en lumière de la musique de cette époque.

À projet ambitieux, budget ambitieux

(Photo gracieuseté)

La production de ce coffret de 33 CD se chiffre à plus de 400 000$, un budget peu commun dans la discographie au Québec. Voilà pourquoi l’une des premières étapes a été de trouver un mécène. Jacques Marchand et Marie-Christine Tremblay, qui ont notamment prêté le piano Érard, ont levé la main.

Le projet a également pu prendre son envol une fois que la maison de disques ATMA Classique s’y est joint. 

Un coup de chance

Le coffre réunit de grandes voix lyriques du Québec, dont Marie-Nicole Lemieux, Karina Gauvin, Antonio Figueroa, Magali Simard-Galdès, Julie Boulianne et Florence Bourget. 

Marc Boucher voit dans la pandémie le «coup de chance» qui lui a permis la concrétisation de cette intégrale. «Tous les chanteurs à carrière internationale étaient à l’arrêt, à Montréal, sans engagement, alors ils ont pu participer. Sinon, ça aurait pris 5 à 10 ans», croit-il.

Le directeur de Classica y interprète aussi des mélodies. «Massenet a écrit beaucoup de cycles pour les voix de baryton. On sent un amour de la voix baryton chez Massenet», souligne-t-il.

Le violoncelliste Stéphane Tétrault, le violoniste Antoine Bareil, le guitariste David Jacques et la harpiste Valérie Milot contribuent aussi à l’intégrale.

Une musique qui vient du cœur

Invité à qualifier l’œuvre de Massenet, Marc Boucher évoque son «extrême sensibilité» relevée par de nombreux chanteurs. «C’est une musique qui vient du cœur, c’est ce que l’on sent dans toute sa production. Ça sort de façon spontané.»

Il lui semble ardu d’identifier un ou ses œuvres préférées de Massenet. «Sur les 331, il y en 5 ou 10 dont on aurait pu se passer, offre-t-il en guise de réponse. Tout est très très très bon.»

 

 

 

Jules Massenet

Jules Massenet est né le 12 mai 1842 à Montaud, en France. Jeune, il apprend le piano au Conservatoire et dès 1861, il étudie dans la classe de composition d’Ambroise Thomas. En 1863, il a obtenu le Grand Prix de Rome pour sa cantate David Rizzio. En 1867, il crée sa première œuvre lyrique, La Grand’Tante, qui est aussi tôt remarquée. Il compose 25 ouvrages lyriques, dont Hérodiade (1881), Manon (1884), Werther (1892), Don Quichotte (1910), et trois cents mélodies. En 1878, il est nommé professeur de composition au Conservatoire. Il est élu à l’âge à l’Académie des Beaux-Arts à l’âge de 36 ans. Il a contribué à la Société Nationale de Musique. «Son influence est devenue telle que, pour obtenir le Prix de Rome, certains compositeurs comme Debussy n’ont pas hésité à «massenétiser» leur cantate», décrit L’Opéra de Paris. Il est décédé le 13 août 1912, à Paris. (Source : Opéra de Paris)