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Kahnawake, théâtre du « tout premier » film tourné au Québec

le lundi 30 septembre 2024
Modifié à 15 h 42 min le 30 septembre 2024
Par Ali Dostie

adostie@gravitemedia.com

Une image tirée de Danse indienne, dont la Cinémathèque québécoise garde une copie. (Photo: Domaine public)

Danse indienne est un film muet d’à peine une cinquantaine de secondes, réalisé en 1898 par Gabriel Veyre, un opérateur des frères Lumière. Cette œuvre filmée à Kahnawake serait la première tournée au Québec, ou à tout le moins la plus ancienne qui ait été retrouvée. 

La caméra, immobile, montre trois Autochtones effectuant une danse dans des costumes traditionnels et portant des plumes sur la tête, devant un tipi.

À l’occasion du centenaire du cinéma en 1995, des sommes ont été débloquées pour restaurer des films à Lyon, là où se trouvait l’usine des frères. Parmi les œuvres déterrées, cette «Danse indienne», de Gabriel Veyre. Ce dernier était un opérateur «commis voyageur» qui parcourait le monde pour en rapporter des images. 

«Au début, ils ont crû qu’il s’agissait d’Indiens de l’Inde, car Veyre avait parcouru l’Amérique du Sud, puis toute l’Amérique, pour ensuite retourner en France», expose André Dudemaine, fondateur de l’organisme Terres en vues, derrière le festival Présence autochtone à Montréal.

Les hypothèses se sont ensuite tournées vers le Canada, où Veyre avait séjourné. C’est à ce moment qu’André Gaudreault et Germain Lacasse, deux spécialistes du cinéma des premiers temps à l’Université de Montréal, ont été approchés.

Leurs recherches ont démontré, tel que mentionné dans un article de la revue 24 images de printemps 1995, que Veyre aurait présenté plusieurs vues au cinématographe lors de son séjour au pays. Danse indienne aurait pu être tourné le 2 ou 3 septembre 1898. Au Canada, il ne s’est aventuré qu’au Québec et aux chutes Niagara.

La quête d’un lieu

MM. Lacasse et Gaudreault ont fait appel à André Dudemaine pour tenter de retracer le lieu de tournage exact de ce court film. Des photographies de plateau, montrant davantage le décor, ont été utiles.

«On ne voyait qu’un fragment de bâtiment qui pourrait être de l’époque coloniale française. Alors je me suis mis en quête de ce lieu», détaille M. Dudemaine. 

Il a contacté Michael Loft, du Centre culturel mohawk de Kahnawake. Ce dernier trouvait que ce bâtiment ressemblait beaucoup à ce qui était un presbytère et qui est aujourd’hui le sanctuaire Kateri Tekakwitha.

Mais sur la photo, la bâtisse comptait deux lucarnes, et non trois, comme le bâtiment qu’il connaissait. C’est un Jésuite du nom de Louis Cyr qui a pu résoudre l’énigme. Il reconnaissait le lieu, à côté de l’ancienne cartouchière du fort Saint-Louis. La troisième lucarne avait été ajoutée après coup.

Le bâtiment qui a permis d’identifier le lieu de tournage. (Photo: Domaine public)

Regard colonial et folklorique

Il restait ensuite à trouver qui était sur ces images. De retour au Centre culturel mohawk, un homme sur place, un certain M. Philipps, a vu les photos et y a reconnu son grand-père.

Le petit-fils de M. Philipps a permis aussi de comprendre que cette petite danse était en fait une mise en scène pour les touristes qui venaient à Kahnawake. 

Les communautés étaient ouvertes, pour des considérations économiques, à faire quelques concessions et à participer à cette folklorisation de l’«Indien pur» qui vit selon ses traditions, rapporte André Dudemaine, membre de la communauté de Mashteuiatsh. 

À l’aune de l’éthique d’aujourd’hui, le film des frères Lumières a toutefois le défaut de montrer cette représentation passéiste comme la réalité.

Germain Lacasse n’hésite pas à parler de l’approche coloniale des frères Lumière. «Les opérateurs comme Veyre avaient comme mission de parcourir le monde à la recherche d’images exotiques. C’est la France coloniale qui s’approprie le monde! C’est beaucoup de clichés.»

L’inscription «le dernier village indien du Canada» derrière l’une de ces photographies participe à ce regard.
«C’est tout à fait dans l’esprit de l’époque, poursuit M. Dudemaine. Les frères Lumière n’étaient pas des artistes, mais des commerçants.»

L’une des photographies de plateau. (Photo: Domaine public)

Ils n’étaient toutefois pas les seuls à filmer au Québec. En 1897, des opérateurs d’Edison étaient venus, sans compter Ernest Ouimet, qui a fait des dizaines de films à Montréal de 1906 à 1922.

Kahnawake figure aussi dans Dollard des Ormeaux, en 1913, réalisé par une compagnie américano-canadienne. Des résidents de Kahnawake y étaient figurants.

Danse indienne aura été diffusé à la communauté autochtone qu’en 1995, au festival Présence autochtone.

«La famille Philipps était très contente de voir ça, dit M. Dudemaine. Je crois que ç’a été reçu avec curiosité et sympathie. On reconnaissait que c’était d’une autre époque.»