Culture

La belle et douce pente ascendante de Tire le Coyote

le mardi 11 décembre 2018
Modifié à 12 h 13 min le 14 octobre 2022
Par Ali Dostie

adostie@gravitemedia.com

Tire le Coyote (Photo: Gracieuseté)

CHANSON. L’ascension fulgurante vers la gloire n’a jamais été un objectif de carrière de Benoît Pinette, alias Tire le Coyote.  Il préfère faire les choses «lentement mais sûrement». Ainsi se sont façonnés ses albums, telles les pierres d’un monument, jusqu’à Désherbage, son cinquième, qui lui a valu son premier Félix.

Un ensemble de circonstances, dont un passage remarqué à Tout le monde en parle en début d’année, auront contribué à le faire connaître du grand public et à ajouter quelques salles à celles qu’il remplissait déjà. Ainsi, 2018 a été belle pour Benoît Pinette.

«Force est de constater qu’il y a quelque chose qui s’aligne. Mais c’est difficile de savoir pourquoi, de savoir si c’est le dernier album qui est réellement meilleur que les autres ou si c’est le fruit du travail des dernières années qui finit par rapporter.»

Éviter le surplace

Depuis ses débuts, Benoît Pinette aime visiblement prendre son temps. Avant qu’il ne vive de ses chansons, la musique était surtout un «hobby» qu’il prenait au sérieux. Tout en occupant un emploi loin des projecteurs, il écrivait et composait.

«C’est pas trop calculé mes affaires. J’ai toujours été comme ça. Tu écris une chanson, tu te rends compte qu’elle est pas pire, tu en écris une deuxième, t’aimes ça. Les albums se construisent tranquillement. J’ai toujours été là, mais on ne croyait pas nécessairement que je serais en mesure de faire ma place. Puis, tu as de belles surprises. À chaque album, j’ai senti qu’il y avait une réception supplémentaire.»

Et au fil du temps se gagnent une confiance et une expérience qui enrichissent le travail; l’écriture se raffine, la composition se complexifie, remarque-t-il.

«J’essaie toujours d’aborder chacun des albums de manière différente, de trouver l’équilibre entre rester fidèle à mon style et pousser plus loin, ne pas faire du surplace.»

À nu

Bien qu’habillés de figures de styles, d’images et de poésie, l’amour, l’amitié et les états d’âme racontés dans Désherbage sont à nu, extirpés de l’intime.

Depuis les premières chansons, l’écriture répond à un besoin bien conscient et sert d’exutoire à des émotions qui n’avaient jusque-là pu être exprimées et qui, autrement, seraient demeurées enfouies.

«Je me souviens de m’être dit que la musique et les chansons seraient une manière d’exprimer ces sentiments et, en bout de ligne, d’être totalement transparent, de ne rien cacher.»

L’engagement a tenu la route. S’ouvrir ainsi à des inconnus n’a pas été si inconfortable pour celui qui, sans être timide, semble de nature réservée.

«Ben… oui, c’est vrai qu’au départ, les premiers spectacles, il fallait assumer que mes chansons étaient fragiles, qu’elles avaient une sensibilité que les gens autour de moi n’avaient pas l’habitude d’écouter. À partir de là, je ne suis pas si confiant que ça dans la vie, mais je suis quand même entêté. Quand je décide de faire de quoi, j’y vais à fond.»

L’universalité des sentiments et des émotions, qui a trouvé écho chez les spectateurs, rassure forcément. «Il n’y a pas de gêne à être amoureux, à être triste, à être déprimé. Tout le monde passe par là.»

Chanteur poète

Le public partage aussi cette même sensibilité aux mots, à la langue et aux ambiances intimes qu’il crées en spectacle.

L’écriture de Benoît Pinette est florissante d’images évocatrices, de métaphores fortes: le besoin d’espace à soi dans un couple devient toit cathédrale et aire ouverte, l’absence étend ses pouvoirs de glace, un ciel backorder est sa réponse à la maladie d’un ami.

Tire le Coyote est conscient de la parenté entre ses mots et ceux de la poésie. «Ça part de mes goûts bien personnels, de creuser davantage sur le plan de la langue, des messages, de la beauté des mots, tout simplement.»

Exigeant envers lui-même, il n’a pas peur de l’être envers le public. Ni même à l’égard des artistes de la chanson. À l’autre bout du fil, une hésitation. Puis il se lance. «Bon, je vais le dire. Les poètes sont souvent beaucoup plus intéressants, intelligents, réfléchis que la plupart des auteurs-compositeurs. Ça m’interpelle beaucoup. Je trouve des fois qu’en chanson, il se dit des choses un peu... faciles.»

Poète chanteur

Ces temps-ci, la poésie l’inspire même davantage que la chanson, alors qu’il œuvre à l’écriture d’un recueil de poésie.

«Après Désherbage, je ressens le besoin de prendre un break. Si j’ai une peur, c’est de m’emmerder moi-même là-dedans, d’avoir l’impression d’écrire quelque chose que j’ai déjà écrit… J’avais un peu cette impression dans la dernière année.»

La poésie lui a donc donné un nouveau terrain à explorer et des thèmes qui n’auraient pu être abordés en chanson. «La poésie est la forme de texte la plus libre. Et ça amène quelque chose de plus direct, bizarrement. Tu vas directement sur une émotion, ou un événement. Tu fonces tout droit sans avoir à commencer avec un couplet d’ambiance, à penser à un refrain qui fera la synthèse de la situation.»

Benoît Pinette se souvient de l’émotion ressentie lorsqu’il tenait dans ses mains son tout premier album, en 2009. Un sentiment qu’il souhaite revivre avec un premier livre. Mais l’écriture s’inscrit dans un processus lent; il accumule les écrits ici et là et l’échéancier et le résultat final sont pour l’instant inconnus.

Ce sera à sa manière, «lentement mais sûrement».

Benoît Pinette est au Théâtre de la Ville le 13 décembre.