Culture

La marionnette, une poésie visuelle qui prend vie

le mercredi 07 octobre 2015
Modifié à 0 h 00 min le 07 octobre 2015
Par Ali Dostie

adostie@gravitemedia.com

ARTS DE LA SCÈNE. Le Québec se définit de plus en plus comme un leader dans le monde de la marionnette, fort diversifié: marionnette à fils, marionnette géante, marionnette-sac, théâtre d'ombre, théâtre d'objets, etc. Petite immersion dans cet art méconnu par le biais de trois portraits d'artistes de la Rive-Sud: Magali Chouinard, Jessica Blanchet et Hélène Ducharme.

ARTS DE LA SCÈNE. Le Québec se définit de plus en plus comme un leader dans le monde de la marionnette, fort diversifié: marionnette à fils, marionnette géante, marionnette-sac, théâtre d'ombre, théâtre d'objets, etc. Petite immersion dans cet art méconnu par le biais de trois portraits d'artistes de la Rive-Sud: Magali Chouinard, Jessica Blanchet et Hélène Ducharme.

À chacun sa marionnette

I. Le Théâtre Motus et ses rencontres culturelles

Depuis sa création en 2001, le Théâtre Motus s'est forgé une réputation. La compagnie longueuilloise, qui a pris part au festival de Saguenay, est d'abord née d'un désir de s'adresser au jeune public et de faire place à la marionnette. Depuis, les artistes créent également pour les adultes.

La marionnette semble s'être invitée un peu par hasard dans le parcours de la cofondatrice et directrice, Hélène Ducharme. Autrefois investie dans le théâtre acrobatique, elle s'est tournée vers la marionnette à la suite d'une blessure au genou. «J'ai découvert que la marionnette pouvait faire encore plus que le comédien acrobate», s'exclame-t-elle.

Sans vouloir en faire une marque de commerce, les rencontres culturelles s'avèrent un motif des productions de la compagnie longueuilloise. Baobab, coproduit avec des artistes mexicains, Élisapie, sur le peuple inuit, et Méphisto Meliès, plongeant dans les origines du cinéma et la France du début du XXe siècle, en sont des exemples.

«J'y reviens malgré moi, par mon intérêt pour les cultures, signifie Mme Ducharme.  Je me distingue en me rapprochant de moi. J'aime découvrir d'autres mondes.»

Tout comme la marionnette, le théâtre d'ombres et le jeu de comédiens sont des "matériaux" privilégiés dans ses œuvres. Non pas que Mme Ducharme se fasse un devoir de les inclure, mais elle y revient par la force des choses.

Avec Méphisto Méliès, une première coproduction avec la compagnie Pupulus Mordicus, Mme Ducharme compte percer le marché des États-Unis. «Il y a beaucoup de développement à faire aux États-Unis. Du théâtre de marionnettes pour adultes, il n'y en a pas tant. Ils sont plus dans le stand-up, avec des "muppets". Ce qu'on fait est plus proche du théâtre que du cabaret.»

La marionnette, c'est...

«Il y a une fascination, une étrangeté et un halo de magie. On oublie le marionnettiste. C'est une métaphore qui comble une partie de l'âme.»

 

II. Magali Chouinard: La femme blanche et la poésie de l'intériorité

La Lambertoise Magali Chouinard trimbale depuis trois ans son spectacle déambulatoire, solo et silencieux, à travers le monde. La Turquie, l'Espagne et les États-Unis ont vu sa Femme blanche dans le cadre de festivals.

«Je ne raconte pas d'histoire. C'est une approche plus abstraite, sans parole, ni musique. Je travaille sur la symbolique de l'intériorité et de la solitude. La femme blanche, c'est le personnage et ses doubles (l'enfant, le vieillard, l'animal) qui se rencontrent dans différentes facettes. Elle apprivoise et accueille chaque partie d'elle-même, ce qui crée un totem. Quand on accepte tout ce qu'on est, on est complet.»

Cette approche plus contemplative laisse beaucoup de place au spectateur, libre d'interpréter le spectacle à sa façon. D'ailleurs, les éléments du spectacle, comme le loup ou le corbeau, ne représentent pas les mêmes référents culturels d'un pays à l'autre. «On me dit qu'il y a des légendes très fortes entourant la femme blanche et on me demande si je m'en suis inspiré.»

Le bagage en arts visuels de l'artiste, et ancienne enseignante au secondaire, transparaît dans son œuvre actuelle. La femme blanche est née de l'idée de créer des dessins en 3D et de les faire bouger, comme «des images visuelles en mouvement», résume-t-elle.

«Quand j’ai décidé de faire de la marionnette, il y a eu une convergence. Ç'a été pour moi une période assez effervescente, parce que je sentais la passion que j'avais pour le dessin noir et blanc, pour la sculpture, pour le corps en mouvement. Tout ça allait bien ensemble.»

La marionnette, c'est...

«Il y a quelque chose déconnecté de la réalité, mais ç'a l'air vrai. Ça vient te chercher avec tes yeux d'enfants. Il y a la possibilité de faire comme si…»

 

III. Jessica Blanchet: Flocon, le spectacle et l'outil d'intervention

Flocon est la marionnette-sac qu'a conçue Jessica Blanchet, de Saint-Lambert. Elle donne vie à ce pingouin dans le spectacle du même nom, s'adressant à un jeune public dans les festivals, les écoles et les bibliothèques. Inspirée par les légendes inuit, la marionnettiste les a adaptées pour en faire une histoire sur fond d'aurores boréales.

C'est aussi un prétexte pour faire découvrir ce peuple qui habite le Nord. «Plus au nord que Montréal, il y a des gens qui habitent-là», lance Mme Blanchet, avec un brin d'ironie.

«Puis, je voulais que les jeunes puissent intervenir. Je les interpelle, ils participent à l'histoire. C'est aussi un plaisir personnel, j'aime beaucoup l'improvisation, le challenge que ça me donne.»

Au fil des représentations, Jessica Blanchet n'a jamais été confrontée à un quelconque manque d'enthousiasme de la part de son public. Au contraire. «J'ai dû retravailler le texte, parce que déjà, mon personnage est très enthousiaste. Il fallait modifier certains rythmes pour avoir des moments plus calmes.»

Jessica Blanchet dirige également des ateliers pour les élèves du primaire et du secondaire, histoire de les initier au théâtre d'ombres, à la manipulation de marionnettes et à la fabrication de marionnettes géantes.

La marionnette s'avère aussi un excellent outil d'intervention. Mme Blanchet a d'ailleurs conçu trois marionnettes pour le Service de police de l'agglomération de Longueuil. L'artiste forme des professionnels, notamment pour leur apprendre à donner vie à l'objet. «On n'a pas le choix, il faut passer par cette étape technique. Oublier le manipulateur derrière, c'est souvent l'objectif pour faire parler l'autre.»

La marionnette, c'est...:

«C'est ludique et créatif. L'univers des possibilités est très grand.  Ça permet d'aller dans l'imaginaire: la marionnette peut mourir, ressusciter, s'étirer, arracher ses membres!»

 

Savoir tout faire

Jessica Blanchet a rapidement constaté que la polyvalence est l'une des aptitudes essentielles à la marionnettiste. «Je fabrique mes accessoires et la marionnette. J'ai déjà un côté bricoleur à la base, mais ma passion numéro un demeure le jeu et l'interprétation.»

Hélène Ducharme du Théâtre Motus est bien consciente de la difficulté de recruter des marionnettistes, à cause des exigences du projet en cours. Pour la production Baobab, les artistes recherchés devaient non seulement être bons comédiens, savoir manipuler les marionnettes et jouer un instrument de musique, mais ils devaient … être noirs. «Le spectacle est mieux porté par des Noirs. Heureusement, on a trouvé des artistes formidables!», souligne Mme Ducharme.  Puisque les pièces sont souvent traduites, être bilingue et même trilingue est un autre critère à remplir.

Quant à Magali Chouinard, elle estime que son bagage de 30 ans de création en arts visuels apporte une autre couleur à son travail. «J'arrive avec un langage poétique, visuel. Puis, lorsque j'ai fait mon spectacle pour la première fois dans la rue, j'ai été surprise de cette énergie de la rencontre. Quand tu es artiste visuelle, tu exposes en salle, les gens regardent. Mais là, j’avais l’impression d’être derrière l'œuvre et de voir la réaction en direct, relate-t-elle. C'était fascinant, et ça m'a connecté avec mon métier d'enseignante.»