Culture

La promesse de Félix Rose

le mercredi 02 septembre 2020
Modifié à 17 h 01 min le 02 septembre 2020
Par Ali Dostie

adostie@gravitemedia.com

Par le biais de l’histoire familiale, le film Les Rose retrace la lutte sociale des felquistes et aborde de l’intérieur les tristes événements de la crise d’Octobre 1970 survenus sur la Rive-Sud. Dans ce documentaire réalisé par Félix Rose, le fils de Paul, on insiste peu sur les circonstances entourant la mort de Pierre Laporte, alors que les membres de la cellule Chénier ont toujours collectivement assumé leur responsabilité. Le but n’étant pas de tout savoir, mais de mieux comprendre. «On était démolis par ça, mais on l’a assumé. On l’assume encore; responsables jusqu’au bout», témoigne avec émotion Jacques Rose, à la caméra de son neveu Félix Rose. «Pourquoi avoir gardé ça entre vous?» lui demande le réalisateur, scénariste et producteur du film. «Pour garder l’accent sur le "pourquoi" d’Octobre.» Genèse d’un film [caption id="attachment_98469" align="alignright" width="295"] L'affiche du film[/caption] Les événements d’Octobre 1970 étaient rarement l’objet de discussions au sein de la famille Rose. «J’ai appris à l’âge de 6-7 ans que mon père avait été impliqué dans la mort d’un homme, relate le réalisateur. C’était trop gros pour moi.» C’est de retour d’un voyage en Irlande avec son père que Félix Rose a voulu faire un film sur sa famille et ces événements majeurs de l’histoire du Québec. Leur passion commune pour la généalogie les avait menés à ce voyage sur la terre de leurs ancêtres. Félix et Paul y ont été accueillis par le parlement d’Irlande, puisqu’il y avait eu des liens à l’époque entre le Front de libération du Québec (FLQ) et l’Irish Republican Army (IRA). Pendant le voyage, Paul Rose a perdu la vue. «Il n’a pas voulu retourner chez lui. Il est demeuré calme et me demandait de lui décrire ce que je voyais. J’ai compris sa force intérieure.» Les discussions ont commencé un an après leur retour, le temps que Paul Rose «se refasse une santé». Après ces premiers échanges, il a fait un AVC.

«Je lui ai fait la promesse que j’irais au bout de mon projet.» – Félix Rose
«Ben du monde me disait que je ne serais pas capable de faire financer ce film, mais Colette Loumède, productrice à l’ONF [Office national du film], a cru au projet.» Bien que le sujet eût le potentiel de rendre les institutions et instances subventionnaires frileuses, les intentions de Félix Rose étaient claires. «En faisant ce film, je ne voulais pas banaliser la mort d’un homme, qui est extrêmement grave. Mon but était de comprendre ce qui les a poussés à poser des gestes aussi graves», mentionne-t-il. C’est ainsi que ses efforts se sont tournés vers les archives. Huit ans à fouiller dans les archives familiales et les «bobines qui puent» de l’ONF, notamment. Le film donne à entendre entre autres des enregistrements de Paul Rose qui, depuis sa cellule de prison, s’adresse à sa mère. Le militantisme et la détermination de Rose Rose aura d’ailleurs été une «révélation» pour Félix Rose, qui n’a jamais rencontré sa grand-mère. «C’est un personnage très connu dans la famille, mais je la découvrais. Elle est au cœur de toutes leurs convictions.» Elle n’hésitait pas à prendre publiquement la parole et s’est ardemment battue pour la libération de ses fils ainsi que pour l’amélioration des conditions de détention des prisonniers. En réaction à la répression [caption id="attachment_98468" align="alignleft" width="383"] Paul Rose[/caption] Les descentes policières dans les comités ouvriers, le Lundi de la matraque, le règlement instauré par Jean Drapeau interdisant les rassemblements, le coup de la Brinks, le saccage à la Maison du pêcheur en Gaspésie; autant de répression «qui nous montrait qu’il fallait passer à autre chose», raconte Jacques dans le film. En entrevue, Félix Rose évoque des propos que son père lui a tenus concernant ce qui a mené aux premières actions du FLQ. «Il m’a expliqué la violence, la répression. Mais pour lui, tant que tu pouvais prendre la rue, il croyait que tu pouvais changer les choses.» Dès l’époque où il enseignait à l’école secondaire Gérard-Filion, Paul Rose organisait des manifestations pour venir en aide aux enfants qui souffraient de handicap et qui étaient mal encadrés. Le film montre des images de Ville Jacques-Cartier où a grandi la famille Rose. Jacques y décrit les conditions de vie difficiles, «un milieu populaire tough, du monde qui en arrachait, des enfants qui dormaient à terre, des poules dans les maisons en tôle». «Forcément, ça allume une conscience sociale, quand tu vis dans la misère, que tu vois tes parents exploités [le père de la famille travaillait à la Redpath Sugar], en arracher pour leur famille», constate Félix Rose. Un récit Il aura fallu deux ans – et des fenêtres – pour convaincre Jacques Rose de s’ouvrir à la caméra. «Il n’avait jamais voulu. Quand il a eu besoin d’aide pour installer de nouvelles fenêtres, j’ai fait un pacte: je l’aide, à condition qu’il me donne une à deux heures d’entrevues par jour, pendant une semaine. Le soir, on était tellement fatigués, il a oublié la caméra, il n’avait plus de filtre. Nous avions une conversation honnête. J’ai réalisé qu’il pouvait être le moteur narratif du film.» Des souvenirs datant de 50 ans, forcément, peuvent être parfois idéalisés. Comme lorsque Jacques Rose affirme que les explosions de bombes n’ont jamais blessé de gens et que son neveu lui rappelle que l’attaque à la Bourse de Montréal avait fait des victimes. Le fait de nommer des hold-ups des «réquisitions volontaires» peut aussi faire sourire. «Jacques était dans l’action tout le temps. Il n’était pas à l’aise avec "hold-up", car c’était associé à des gens qui volaient pour eux-mêmes, soutient Félix Rose. Ils le faisaient pour leurs convictions.» «Il y a forcément quelque chose d’un peu romantique là-dedans, reconnait-il. Mais c’est l’intérêt du film: on est dans le récit de Jacques Rose. J’ai décidé d’adopter le point de vue subjectif. Et en étant «le fils de», je serais malhonnête de tenter d’être objectif.»     Présenté sur la Rive-Sud Le film prend également l’affiche ce vendredi 4 septembre dans différentes salles dont au Megaplex Guzzo Jacques-Cartier, à Longueuil. Une projection spéciale est prévue en compagnie du réalisateur Félix Rose et des députés indépendantistes Catherine Fournier et Denis Trudel, le 6 septembre à 18h50 (les billets s'achètent à la porte le jour même. Rens.: https://www.facebook.com/events/438845083711631/). «Ce film présente une image assez fidèle de la situation de l’époque, témoigne Denis Trudel C’est un documentaire coup de poing et il me semble plus qu’important que cette œuvre soit diffusée et vue par tous pour comprendre les enjeux qui animent encore aujourd’hui le Québec moderne.» «Comme députée de Marie-Victorin à Longueuil, une grande partie de ma circonscription est constituée de l’ex-Ville Jacques-Cartier, là où le FLQ a pris racine, souligne pour sa part Catherine Fournier. L’histoire des Rose est majeure pour les gens de chez nous, comme elle l’est pour le Québec. Elle fait partie de notre histoire collective. On ne peut pas ignorer sa genèse, ni ses conséquences. Je vous invite à aller voir en grand nombre ce long-métrage riche en archives qui offre un regard intimiste et une perspective rarement couverte d’octobre 70, son contexte et ses suites », commenté Catherine Fournier. [caption id="attachment_98514" align="alignnone" width="444"] Félix Rose et Catherine Fournier[/caption] [caption id="attachment_98515" align="alignnone" width="444"] Denis Trudel[/caption]