Art de vivre
Gourmand

La relève en charcuterie, une denrée rare

le vendredi 23 juin 2017
Modifié à 0 h 00 min le 23 juin 2017

En 13 ans, personne n’est jamais venue demander un travail à la P’tite Charcuterie. «Je vais prier tous les soirs à l’Oratoire Saint-Joseph pour avoir une relève», plaisante le propriétaire Daniel Robert.

Le charcutier s’en sort uniquement parce qu’il est prêt à faire de longues heures. Sa journée typique commence à 6h et se termine à minuit. Se déclarant lui-même homme à tout faire, M. Robert regrette de ne pas voir sa femme très souvent, même si le couple habite en haut du magasin.

Les deux employés du magasin, le propriétaire et le boucher Gilbert Simard, ne suffisent pas pour assurer la demande. «Vu le bassin de population de la Rive-Sud, je devrais avoir trois à quatre bouchers et deux autres charcutiers pour m’aider », estime Daniel Robert.  

Tout sourire malgré son estomac vide passé 15h, le propriétaire croit que la passion est essentielle pour pratiquer un métier traditionnel. «À part le salaire, on est comme des joueurs de hockey : on ne fait pas une job, on joue», compare-t-il.

S’armer de patience

Pour gagner une médaille, les sportifs ne s’entraînent pas en quelques jours; des années sont nécessaires, indique le charcutier, toujours dans l’analogie.  Il croit que les plus jeunes générations n’ont plus la patience d’apprendre des gestes précis.

Déjà peu payant, le métier de charcutier ne rapporte pas grand-chose au début. La patience monétaire doit aussi être au rendez-vous.

Beaucoup abandonnent également parce que c’est un travail difficile physiquement. Les bouchers et les charcutiers doivent pouvoir travailler dans le froid et soulever de lourdes charges.

Deux stagiaires du centre de formation professionnelle Jacques Rousseau, qui offre un DEP en boucherie, ont travaillé pour la P’tite Charcuterie, mais ont quitté après 5 et 8 ans.

Une autre charcutier, venu de France à la demande de Daniel Robert, est reparti parce qu’il n’aimait pas travailler à aire ouverte, devant les clients.

Les avantages du métier

«Je n’ai jamais été sur le chômage, pas un seul jour de ma vie. Il va toujours falloir manger», apprécie le propriétaire.

Les employés de la P’tite Charcuterie bénéficient également de denrées peu coûteuses et de trois jours de congé par semaine, le magasin étant fermé du dimanche au mardi. Les trois semaines qui suivent les Fêtes ainsi que quatre semaines en juillet sont aussi des périodes de repos.

Surtout, il n’y a pas de hiérarchie au magasin de charcuteries; tous les employés sont égaux. «J’ai beaucoup de respect pour les gens qui travaillent pour moi; ce sont des personnes qui ont des qualifications et qui sont importantes au travail d’équipe», affirme Daniel Robert.  

Une formation gratuite

Le propriétaire se dit prêt à donner une formation de boucher charcutier gratuitement. Aucun diplôme n’est nécessaire; il souhaite simplement trouver quelqu’un de motivé.

«Je garde espoir, il faut la personne passionnée, il n’en faut pas 40», explique-t-il.

Le candidat idéal, selon lui, est une personne ouverte au public, qui a de la facilité à parler aux gens et à les conseiller. Le sens de l’organisation est également une qualité primordiale pour travailler dans le milieu.

«On fait tellement de choses en même temps, il faut être allumé et efficace pour ne pas perdre les pédales», note Daniel Robert.

Sauver les petits commerces

Beaucoup de clients ne font que se «dépanner» chez la P’tite Charcuterie et achètent leur viande de tous les jours dans les grandes surfaces, alors qu’ils devraient faire l’inverse, estime Daniel Robert. 

Le charcutier croit que les gens n’osent pas rentrer chez lui par peur de faire un trou dans leur portefeuille. «On a des prix compétitifs avec les grands magasins et pour la différence de qualité, c’est le jour et la nuit», soutient-il.

Il admet qu’il faut changer un peu sa façon d’acheter lorsqu’on fait les petits commerces. On ne peut trouver à un seul endroit notre viande, notre pain et notre papier de toilette, souligne-t-il.

Dans les magasins à grandes surfaces, on ne retrouve que quelques morceaux de viande comme on ne trouve qu’une sorte de télé, indique M. Robert. «On nous donne l’illusion du choix», explique-t-il.

Le problème, c’est que si les petits disparaissent, les grandes surfaces pourront vendre ce qu’elles veulent au prix de leur choix, conclut Daniel Robert. 

Daphné Ouimet-Juteau