Le dollar canadien et le supplice de Tantale
Dans la mythologie grecque, Tantale avait été condamné à une terrible torture : affamé, il avait au bout de ses doigts plein d’arbres regorgeant de beaux fruits, mais il ne pouvait jamais les atteindre. Il lui était impossible de profiter de l’aubaine. C’est quand même moins douloureux que pour Tantale, mais nous sommes pour l’instant incapables nous aussi de profiter d’une rare aubaine. Le dollar canadien atteint des sommets face au dollar américain, et nous ne pouvons pratiquement pas nous servir de ce nouveau pouvoir d’achat, alors que les voyages au-delà des frontières sont encore sévèrement contrôlés. Il y a quelques jours, il valait environ 83 cents américains. Il faut remonter à mai 2015 – il y a six ans – pour retrouver un tel niveau. Son élan ne se dément pas depuis quelques mois. Et l’étonnante vigueur de la reprise économique, avec l’atténuation de la pandémie, y est pour quelque chose. Est-ce à dire que le Canada s’en tire mieux que les États-Unis et que le jeu des devises reflète notre bonne performance? Pas vraiment. En fait, c’est la réputation du Canada comme fournisseur de matières premières qui explique la poussée de notre dollar. On a beau parler d’économie du savoir et d’autres raffinements technologiques, la planète nous voit encore comme un pays de de mines, de forêts et de champs. Ces temps-ci, le prix des métaux de base, comme le fer et le cuivre, caracole vers le haut. La demande internationale est forte. Le prix du pétrole est lui aussi reparti vers le haut. Pareil pour le bois d’œuvre. Il suffit de vouloir se faire construire une maison, ou juste de penser à des rénovations, pour s’en rendre compte. C’est la même tendance pour les grains. Le canola, par exemple, vaut aujourd’hui cinq fois plus cher qu’il y a deux ans. Le prix des céréales, comme le blé ou l’orge, ne cesse lui aussi de grimper. C’est agréable pour les producteurs, moins pour les consommateurs. Si nous pouvions au moins profiter de la force de notre dollar pour voyager à l’étranger. Aujourd’hui, il faut à peine multiplier par 1,20 le prix de ce qu’on voudrait acheter à Plattsburgh, à New York ou à Miami. Il n’y a pas si longtemps, c’était plutôt 1,40. Mais voilà : les escapades vers le Sud sont parsemées d’embûches à l’aller, mais surtout au retour avec la quarantaine obligatoire. La force de notre dollar nous permettrait pourtant d’en avoir beaucoup plus pour notre argent. C’est frustrant. On peut espérer. Sauf exceptions, comme en Alberta ou en Nouvelle-Écosse, la situation s’améliore au Canada. Le Québec assouplit ses mesures. Les Américains font de même. Conservez vos dollars américains, ils pourraient bien vous être utiles dans pas trop longtemps.