Le mécanisme du recrutement des gangs de rue

DISPARITION. Des dizaines d'adolescentes de l'agglomération de Longueuil ont été portées disparues puis retrouvées quelques jours plus tard au cours de la dernière année. Souvent en fugue des centres jeunesse, ces jeunes filles cherchent la liberté et tombent dans le panneau doré d'un des 12 gangs de rue de la Montérégie, qui les mène tranquillement vers la prostitution juvénile, profitant ainsi de leur vulnérabilité.
Le recrutement de jeunes filles par les gangs de rue est un phénomène qui touche toutes les sphères sociales, constatent Pascale Philibert et Carole Demers, du projets Mobilis à Longueuil, qui lutte contre les gangs de rue et la prostitution juvénile.
Chaque année, environ 125 filles sont aux prises avec différents niveaux de prostitution juvénile en Montérégie.
Les victimes, d'abord consentantes, sont généralement jolies, âgées de 12 à 18 ans, vulnérables, en quête d'identité, et peuvent provenir de toutes les sphères sociales.
Le jeu de l’amour et l’argent
On les aveugle avec le jeu de l'amour avant de les rendre vulnérables et de les manipuler pour qu'elles deviennent des «escortes», un terme accepté par les jeunes. À leurs yeux, elles ne sont pas des prostituées et elles ne se plaignent pas de l'exploitation sexuelle qu'elles subissent.
«N'importe quelle fille peut se faire embarquer, explique Pascale Philibert. Les gangs ont une façon de les enfirouaper en leur achetant des objets de luxe et en leur laissant croire qu'elles sont aimées.»
L'arrivée d'objets de luxe dans la chambre des jeunes filles est un signe souvent indicateur. La vigilance des parents est donc primordiale pour éviter ce piège. Carole Demers explique que les membres des gangs de rue sont rusés, mais paresseux. Si ça semble compliqué et que la fille est supervisée par ses parents, ils abandonnent rapidement.
Dans d'autres cas, les parents se braquent contre leur fille lorsqu'ils apprennent la vérité, ce qui enfonce davantage leur enfant dans le problème.
«Lorsque, par frustration, des parents rejettent leur fille qui est aux prises avec la prostitution, malheureusement, elles vont y rester coincées longtemps», déplore Carole Demers.
Des experts en manipulation
Les filles qui vendent leur corps pour faire plaisir à leur «chum» ne gardent rien des sommes faramineuses qu'elles peuvent encaisser.
«Elles peuvent faire plusieurs clients dans une soirée et recueillir 1000$, et ce, six jours par semaine. Elles le font par amour. Leur proxénète leur dit qu'il a besoin d'elle.»
L'agent relationniste pour le Service de police de l'agglomération de Longueuil (SPAL) Ghislain Vallières, qui a déjà participé au projet Mobilis, rapporte avoir rencontré une jeune fille sur le coin d'une rue, bien coiffée, avec une manucure parfaite, mais qui demandait de la monnaie pour manger.
Se sortir de l’enfer
Ces jeunes victimes de prostitution juvénile ne vont remettre leur mode de vie en question qu’après une longue période, alors que la violence entre en jeu.
Le coordonnateur du projet SPNE (sans proxénète ni escorte), Karim Dabo, indique que le plus difficile est de faire réaliser aux filles qu'elles ne vivent pas dans une relation saine et que leur copain est un «pimp».
«Des filles font des démarches pour s'en sortir et vont retourner vers leur chum parce qu'il leur donne l'amour et l'affection qu'elles ne retrouvent pas ailleurs. Elles peuvent aussi être devenues dépendante à la drogue et y retourner pour ça.»
Selon M. Dabo, environ 10 filles sur 60 vont réussir à se sortir de ce cercle annuellement. «Les 50 autres, si elles restent, risquent de devenir de la marchandise. J'ai vu des filles qui ont passé 10 ans dans la rue pour les gangs, et elles étaient dans un état horrible. Le but est de les sortir de là le plus tôt possible, ou mieux encore, éviter qu'elles y tombent.»
Mobilis, un programme de prévention
Le projet Mobilis a été mis sur pied en 2008, par l’initiative du Centre jeunesse de la Montérégie et du Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL) qui souhaitaient instituer ensemble un protocole visant à prévenir l’adhésion des jeunes aux gangs de rue, incluant la prostitution et le trafic humain.
«C'est une problématique méconnue, soutient Pascale Philibert. Beaucoup d'intervenants me disaient ne pas être confrontés à ce phénomène et que leurs jeunes n'étaient pas impliqués dans l'exploitation sexuelle, mais grâce aux formations, il y a de plus en plus de dépistage qui se fait.»
Après 7 ans de service, le projet a porté ses fruits. «Aujourd'hui, on peut nous nommer le nom du «chum» d'une fille et nous savons tout de suite si c'est un proxénète connu. Dans ce cas, nous allons demander aux intervenants de surveiller ces jeunes de plus près.»