Main-d’œuvre ukrainienne: les embûches sont nombreuses sur le chemin des employeurs

Christine Guérette et Max Dubois (Photos: Le Courrier du Sud – Denis Germain)
Deux entrepreneurs de Saint-Lambert désireux d’aider leur prochain ont récemment embauché des réfugiées ukrainiennes. Dans ce rôle qui dépasse largement celui d’employeur et qu’ils embrassent néanmoins avec ferveur, les embûches sont nombreuses et l’aide gouvernementale, timide.
«[Le discours] est ben beau au Canada, mais une fois qu’on les fait entrer, il n’y a pas de moyens pour les intégrer, les franciser. C’est quoi cette politique-là?», lance Max Dubois, attablé à son bistro de l’Échoppe des Fromages, aux côtés de Christine Guérette, propriétaire de la boutique de mode ARMUTO.
La discussion est animée.
Le propriétaire de la fromagerie, responsable aussi depuis peu du restaurant du Club de golf de Saint-Lambert, a embauché Roksolana et Olga.
M. Dubois s’est tourné vers Emploi Québec, qui lui a expliqué qu’il peut faire une demande pour de l’aide à la francisation.
«Ils vont me conseiller un consultant, que je vais payer six mois entre 150$ et 175$ l’heure, qu’ils vont me rembourser au bout de six mois. Je dois rendre 8 heures disponibles pour qu’elles apprennent le français», explique celui qui trouve le processus laborieux.
Ce, s’il obtient la subvention. Dans l’attente, Roksolana et Olga ne peuvent travailler.
Elles avaient commencé il y a quelques semaines à être formées comme bossgirls, mais un «mur de communication» s’était dressé entre eux, alors qu’elles ne parlent ni anglais ni français.
«Je suis devenu Charlie Chaplin, [je faisais du] cinéma muet! Et mon chef essayait aussi. Mais c’était du temps plein pour moi juste de dire: ça c’est chaud, ça c’est frette. J’ai commencé à apprendre l’ukrainien, j’ai mon lexique, mais ce n’est pas assez», commente-t-il.
En attendant, les deux employées ont deux heures par semaine de cours de français. «Tu n’apprends pas grand-chose avec ça, reproche-t-il. J’ai besoin d’aide. J’appelle le fédéral et il n’y a pas un programme ni d’aide!»
«Ce qui risque de se passer, c’est que les Ukrainiens vont s’engager entre eux et on ne les aura pas intégrés.»
-Max Dubois, qui déplore le peu d’aide gouvernementale pour soutenir les réfugiés
Google Translate en renfort
De son côté, Christine Guérette, de la boutique ARMUTO, emploie Raya depuis environ un mois.
Au début, Katerina, la fille de Raya qui parle anglais, servait d’interprète. Elle a quitté l’atelier lorsqu’elle s’est trouvé un travail de barista pour l’été.
«On se sert beaucoup de Google Translate. Et on parle en signes et en sons!» dit Mme Guérette en riant, imitant le bruit de la machine à coudre.
Arrivée au Québec avec sa propre machine à coudre, Raya sait manier l’aiguille, mais ce n’est pas son métier. Elle doit donc être formée à réaliser des opérations plus simples, avant de s’atteler à des modèles plus complexes.
Les tâches, très manuelles et visuelles, simplifient quelque peu les échanges. «On a ben du fun, on rit, mais c’est sûr que ça ralentit mon beat», témoigne Mme Guérette.
Si les organismes peuvent intervenir auprès de réfugiés, ce soutien qui repose essentiellement sur le bénévolat ne suffit pas, constate Max Dubois. «Ce n’est pas tout de donner du linge à gauche, à droite. Un moment donné, tu es habillés.»
Autonomie
Au-delà de leur offrir un emploi, c’est le chemin vers l’autonomie qu’espère Max Dubois pour Olga et Roksolana, qui ont respectivement deux et trois enfants.
«Je leur ai expliqué ce que ça veut dire de les embaucher comme bossgirl à un salaire 15$ de l’heure. Est-ce que c’est assez pour faire vivre trois enfants ici? Elles répondent: "Oui, oui, ce n’est pas grave". Mais je leur réponds: "Non, non, non, il faut trouver un moyen d’avoir un salaire décent pour ces familles-là!"», exprime M. Dubois qui jongle avec des options pour qu’elles gagnent plus cher.
Accueil sur mesure
Christine Guérette a créé un projet sur mesure pour Raya; une création 100% québécoise qu’elle vendra à plus bas prix afin de lui offrir plus d’heures, et éventuellement grossir son atelier. Actuellement, son employée ukrainienne y travaille à temps partiel.
Si Mme Guérette a accepté de discuter au Courrier du Sud, c’est notamment dans l’espoir d’inspirer d’autres entrepreneurs à leur emboiter le pas.
«Oui c’est un investissement de temps», avertit-elle, cependant.
«On fait une parade de mode avec ta collection!, lance Max Dubois. Moi, je fais une dégustation au club de golf, avec 400 personnes! Une soirée ukrainienne… et on ramasse des fonds pour l’église! Couture et fromage! Ou "Fromage à pleine couture pour l’Ukraine"!» poursuit-il, dans un remue-méninge improvisé.
La solidarité d’une communauté
Christine Guérette a bien vu les défis de «recommencer complètement sa vie à zéro» lorsqu’elle a rencontré la famille de son employée – les parents et leur cinq enfants – pour laquelle «elle a eu un coup de coeur».
Une membre de leur famille habite Saint-Lambert depuis huit ans. Néanmoins, ce n’est pas chez elle qu’ils ont pu être hébergés.
Le père, pasteur en Ukraine, travaille au golf de Saint-Lambert: un travail physique exigeant, qui prendra fin à l’été. L’ensemble de la famille débutera des cours de francisation en septembre.
«Ce n’est pas toujours facile [pour eux]. Ils ont de la famille, des amis en Ukraine, raconte Mme Guérette, et certaines semaines, ils n’ont pas de bonnes nouvelles».
Raya est arrivée sur le chemin de l’entrepreneure lorsque cette dernière était à la recherche d’une assistante.
«Le métier de couturière est en train de se perdre au Québec», dit la créatrice, qui avait ainsi publié une annonce à cet effet sur le babillard de Saint-Lambert.
Il a fallu peu de temps pour que «la communauté tissée très serrée» de la ville se manifeste et que la famille qui héberge la famille de Raya entre en contact avec Mme Guérette.
Cette solidarité s’est manifestée à nouveau lorsque cette dernière a constaté que Raya et sa famille portaient des vêtements trop chauds pour l’été qui se pointait.
Les dons, nombreux, ont rapidement afflué.
C’est aussi par le biais du babillard que Max Dubois a été mis en contact avec Olga et Roksolana.