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Marché public de Longueuil: des commerçants qui y croient

le mardi 17 septembre 2019
Modifié à 11 h 29 min le 16 septembre 2019
Par Ali Dostie

adostie@gravitemedia.com

Si les locaux du Marché public de Longueuil laissés vides à la suite du départ de trois commerces phares ont entraîné une baisse de la clientèle cet été – pourtant le moment fort de l’année pour un tel établissement –, la majorité des commerçants refusent de se laisser abattre. Car au marché, ils y croient. À lire aussi: Les actions posées depuis l'acquisition Le constat est indéniable: il y a eu baisse de la clientèle au Marché public au cours de la dernière année. «Ç’a décliné quand l’Association des producteurs maraîchers du Québec [APMQ] a annoncé qu’elle voulait vendre», identifie la propriétaire de la pâtisserie Cake-toi Amélie Lavoie. À partir de ce moment, aucun effort n’a été fait pour créer des événements, décorer le marché, lui «insuffler de la vie», relate-t-elle. «Ils étaient loin de se préoccuper de ce qu’on vivait.» Le propriétaire de Meyers saucisses allemandes, Siegfried Bachtold Meyer, n’hésite pas à dire que l’APMQ les a «abandonnés». Ce dernier est installé au Marché depuis le début. Il déplore les loyers dispendieux et la complexité des négociations avec l’APMQ. Rappelons que la Ville de Longueuil a acquis le marché en avril, au coût de 7,4 M$. Du côté de la pizzéria Rustika, la gérante Karima Oumerri admet qu’il y a peu de clients. «Mais nous avons notre clientèle fidèle, des gens qui viennent juste pour acheter ici», observe-t-elle. Mais... Au-delà de cet état de fait, les commerçants sur place tiennent bon... mais non sans efforts. À la microbrasserie Le Barrage, tout comme chez Tacos Nachos Tex Mex TNT, les ventes sont en croissance depuis l’ouverture il y a respectivement trois ans et un an. Cake-toi agrandira ses locaux dans moins de deux mois et la propriétaire signera son bail pour cinq ans. Du côté de Chez Ti-Claude, on peut compter sur une clientèle fidèle. Pour une première fois, le commerce s’installera à l’intérieur du Marché cet hiver pour offrir ses produits à l’année; une demande de ses clients. La diminution du nombre de consommateurs s’est peut-être fait sentir un peu à la Fromagerie des nations, mais rien pour inciter au départ. «Le propriétaire nous dit que même si tout le Marché fermait, on resterait!» partage le commis Samuel Grégoire. «Plus que de l’espoir» La grande majorité des commerçants rencontrés sont enthousiastes à l’égard de ce que la Ville a jusqu’ici entrepris au Marché. Il y a quelques semaines, une personne responsable travaille directement sur place. Plusieurs y voient une «réelle volonté» de les aider. «On ne se sent pas laissés pour compte. La Ville est très proactive», se réjouit Mme Lavoie. «Peut-être que ça amènera d’autres commerçants», espère pour sa part Mme Oumerri. L’opinion du copropriétaire du Barrage Martin Lessard est encore plus tranchée. «Je n’ai pas seulement espoir, j’ai confiance.» Le son de cloche est toutefois différent de la part du propriétaire de Meyers saucisses allemandes. «Les commerçants, nous avons de bonne idée, nous connaissons ça, mais on ne nous écoute pas», se désole M. Meyer. Responsabilité partagée Les difficultés vécues par le Marché public de Longueuil ne datent pas d’hier. Plusieurs lui reprochent son emplacement, son offre de produits, son ambiance ou encore les prix perçus comme plus élevés qu’ailleurs. Ce «Marché de Longueuil bashing», la propriétaire de Cake-toi Amélie Lavoie avoue en avoir ras-le-bol, car une foule de gens œuvrent pour que le Marché soit florissant. De son avis, il y a deux types de commerçants au Marché: ceux qui croient que c’est leur responsabilité d’«amener l’argent» dans leur commerce, et ceux qui pensent que cette tâche revient aux autres. Elle s’identifie à la première catégorie. Mme Lavoie dit tout faire pour attirer les clients dans sa pâtisserie, qui se porte bien grâce entre autres au bouche à oreille et à son activité sur Facebook. «Oui, on vit une baisse de clientèle, mais on fait ce qu’il faut. Je cours pour que ça marche.» À ses yeux, la responsabilité de s’approprier le Marché revient tant aux commerçants qu’à la Ville et aux citoyens. Penser «local» Une vision qui résonne aussi dans le discours de Claude Charbonneau, propriétaire de chez Ti-Claude, qui vends fruits, légumes, viandes surgelées et autres produits. «Je ne me fie pas au marché [pour que ça fonctionne]; je me fie à ma clientèle, résume-t-il. Et on travaille dur!» Une clientèle que M. Charbonneau connaît bien, alors que certains clients sont des habitués depuis l’époque où son commerce se trouvait aux Halles de Longueuil. Ne tarissant pas d’éloges pour ses viandes surgelées issues de microfermes de la Montérégie, M. Charbonneau mise sur la qualité, la diversité et le côté «local» de ses produits. «Si tu vends la même chose qu’ailleurs, pourquoi les gens feraient le détour pour venir te voir?», questionne-t-il. L’achat local est au cœur même de la démarche du Barrage, qui s’approvisionne à même au Marché. Il en est de même au Tacos Nachos Tex Mex TNT. «On s’encourage entre nous», évoque le gérant du TNT Lester Ortiz. La promotion de l’achat local est selon lui la clé du succès. Des incitatifs et de la publicité pourraient encourager les citoyens à fréquenter le Marché et même les restaurateurs à s’y ravitailler. Il est d’ailleurs d’avis que l’argument du «mauvais emplacement» concernant le Marché est une «fausse vérité». «Il y a des gens qui passent à côté, on est à une minute de la gare de train de banlieue, illustre M. Ortiz. Les gens de Longueuil se déplacent [pour leurs emplettes]; ils se rendent au Costco, aux Promenades St-Bruno. C’est juste l’idée de l’achat local qui n’est pas encore ancrée.» Visibilité En plus de son emplacement, ce qui a été identifié comme un certain «handicap» du Marché est avant tout un manque de visibilité: manque de panneaux depuis le chemin de Chambly, manque de publicité. «En ce moment, le Marché est un local dans le fond d’un champ, image Amélie Lavoie. Il faut le remplir, qu’il demeure une plaque tournante des citoyens. Pourquoi ne pas en faire un pôle attractif des loisirs? Il faut que les gens se l’approprient.»     Pas le succès espéré Lors de l’annonce du projet de Marché public en 2013, Longueuil avait approché l’Association des producteurs maraîchers du Québec (APMQ) pour construire et gérer son marché. Pour ce faire, elle avait accordé à l'organisation à but non lucratif le droit d’utiliser le terrain, évalué à 3,4 M$. L’entente stipulait que la Ville fournissait les infrastructures d’un peu plus de 1,1 M$. La convention d’exploitation prévoyait également le versement à l’APMQ d’une somme de 420 000$ par année pour une période de 10 ans pour l’exploitation du site. De son côté, l’APMQ investissait 10 M$ dans le projet, notamment pour la construction du bâtiment principal. Malgré des débuts somme toute modestes, le Marché public avait suscité l’enthousiasme d’une large part de la population lors de son ouverture en 2014. Mais la clientèle n’a jamais vraiment été au rendez-vous. L’accès jugé difficile, le Marché étant situé à l’écart des grands axes routiers, est perçu par de nombreux consommateurs comme un irritant. Et bien que la Ville ait ajouté de nouveaux panneaux indicateurs et fait la publicité du Marché sur ses panneaux électroniques, les résultats sont minimes. Le Marché a accumulé année après année les bilans déficitaires, à raison d’environ 100 000$ annuellement. En novembre 2018, l'APMQ a lancé la serviette et avisé la Ville de son désir de cesser d’exploiter le Marché. Les arguments alors avancés étaient que les ventes n’étaient pas au rendez-vous et que les déficits ne cessaient de s’accumuler. En avril 2019, la Ville a racheté les infrastructures à l'APMQ pour la somme de 7,4 M$. En additionnant toutes ces sommes, la Ville a donc investi plus de 13 M$ dans son Marché public. S’ajoutent également à ce moment le déficit annuel du Marché ainsi que la valeur des publicités que la Ville lui fournit. Les taxes foncières payées par l’APMQ n’ont par ailleurs pas été aussi élevées que les 325 000$ annuels anticipés. En 2014, 50 314$ de droits de mutation se sont ajoutés aux 110 171$ de taxes municipales. Entre 2015 et 2018, le montant de taxes payé par le Marché a oscillé entre 220 407$ et 229 574$. Un investissement qui ne rapporte pas vraiment ses dividendes. Avec la collaboration de Philippe Lanoix-Meunier.