Culture

Prix Charles-Biddle 2019: Dena Davida, esprit pionnier de la danse contemporaine

le dimanche 22 décembre 2019
Modifié à 13 h 13 min le 18 décembre 2019
Par Ali Dostie

adostie@gravitemedia.com

Dena Davida œuvre dans le milieu de la danse contemporaine depuis les années 1970. L’apport, l’implication, l’engagement et le rayonnement national et international du travail de cette Californienne qui a immigré au Québec a récemment été récompensé par le prix Charles-Biddle 2019. «C’est tombé du ciel», lance d’entrée de jeu l’artiste, enseignante et chercheuse de Saint-Lambert, à propos de ce prix qui souligne l’apport d’une personne ayant immigré au Québec, remis par le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI), Culture pour tous et La Fabrique culturelle. Cet honneur fait remonter à la surface des souvenirs de ses débuts et des raisons qui l’ont poussée à quitter les États-Unis pour le Québec. «J’ai adopté le Québec et j’espère qu’il m’a adoptée aussi en 1977, exprime Mme Davida, en entrevue au Courrier du Sud. Ça fait bien longtemps que je n’ai pas en tête cette couche de moi.» «Je suis de la génération des hippies. Il y avait toute cette question de l’identité aux États-Unis, avec l’implication dans la guerre du Vietnam et le racisme exacerbé. C’était impossible à vivre. Je recherchais une société plus paisible.» Elle a visité bien des recoins du Canada, mais s’est arrêtée à l’endroit qui lui avait «donné la meilleure opportunité de ne plus être américaine». Née d’une famille d’artistes, Dena Davida n’a jamais douté de sa vocation. Elle s’est toutefois éloignée de la voie plus hollywoodienne et «tristement commercialisante» qu’avaient empruntée ses proches. «La danse, c’est réellement moi. J’ai toujours été extrêmement physique, assez sportive. La danse m’avait choisie.» Esprit pionnier Dena Davida a aussi été séduite par la communauté d’artistes en train de se former et se structurer à la fin des années 1970 au Québec. «C’est l’année où le ministère de la Culture préparait le premier fonds pour développer la danse professionnelle», met-elle en contexte. Un terrain de jeu excitant pour celle qui est entre autres à l’origine de Tangente, premier lieu de diffusion de danse contemporaine au Québec; du collectif de chorégraphes, danseurs et danseuses indépendants Qui danse?; et du Regroupement des centres d’artistes autogérés du Québec et de CanDanse. Elle a également cofondé le Festival international de nouvelle danse, dont elle a été la programmatrice de 1985 à 2001. «Je suis Américaine, j’ai cet esprit de pionnière, cet instinct d’avoir quelque chose à établir!» Elle parle plus en détails de Tangente, qu’elle a créé avec quatre collègues en 1980. Le lieu de diffusion, dont le public ne fait que croître, regroupe trois salles d’une centaine de places. Chaque production est présentée quelques soirs seulement. «Le nombre de spectateurs est moins important que la qualité de l’attention et de l’intérêt. On veut un public réceptif.» Une intimité qui tend à effacer la distance entre les performeurs et le public. «Chaque salle est transformable. On peut explorer différents rapports, mais toujours sans rideau. Il n’y a pas de quatrième mur. On ne veut pas cacher le public dans le noir et qu’il se retrouve devant une boîte lumineuse.» Nouveau chapitre Chargée de cours à l’UQAM depuis 25 ans, Dena Davida a enseigné la composition et l’improvisation en danse et a complété un doctorat en anthropologie de la danse. Et encore aujourd’hui, elle défriche. Celle qui se définit comme une «artiviste» entreprend actuellement de définir la profession de commissariat des arts vivants, qui fera l’objet d’un cours de deuxième cycle. «Le commissariat des arts vivants regroupe plusieurs titres. Ça peut être le directeur artistique d’un festival, où l’humain est en présence directe devant public. C’est la personne qui porte la vision artistique.» Le terme provient des arts visuels, où il existe des formations professionnelles. On ne compte aucune formation ou littérature à propos d’un commissaire des arts vivants au pays. Dena Davida œuvre à mettre sur pied une revue scientifique sur les arts vivants, qui pourra servir aux directeurs artistiques dans le domaine. «Je veux combler le manque», expose-t-elle. Changer le monde Dans la vidéo de La Fabrique cultuelle présentant les finalistes du prix Charles-Biddle 2019, Dena Davida affirme vouloir «changer le monde par la danse». «Je veux favoriser les spectacles qui auront un impact sur la vie des gens. Je ne veux rien savoir des pièces complaisantes, qui n’activent pas la pensée du public.» Elle donne en exemple la mise en scène des «corps atypiques», qu’on ne retrouve habituellement pas sur une scène de danse, ou encore de l’événement mondial sous le thème Danse et droits de la personne, du Congress on Research in Dance, pour lequel elle a dirigé le comité d’organisation local en 2005. «La danse peut intervenir à tellement de niveaux. Chez les enfants, elle active l’imaginaire. Avec les personnes autistes, la danse, un langage non verbal, est très efficace», illustre-t-elle. En jetant un regard sur son parcours professionnel, Dena Davida avoue être «émue d’avoir pu en faire autant pour contribuer à former un meilleur monde, en petit ou en grand».