Sans clés et sans matelas, des locataires abandonnés cherchent des solutions

Les raisons de la coupure d’électricité et d’eau du 21 janvier sont encore nébuleuses. Plusieurs locataires prétendent une coupure volontaire de la propriétaire, tandis qu’elle rejette le blâme sur les pompiers. (Photo : Le Courrier du Sud – Michel Hersir)
Le matin du 21 janvier, alors qu’il faisait -28 degrés à l’extérieur, l’électricité, le chauffage et l’eau ont été coupés chez les locataires du 136, boul. Curé-Poirier Ouest à Longueuil. Relogés temporairement à l’hôtel Sandman par la Croix-Rouge, ils sont revenus à l’immeuble le 8 février pour y découvrir que les serrures avaient toutes été changées. Et ce qui les attendait à l’intérieur des logements était encore pire.
Des portes arrachées, des électroménagers débranchés et placés sur le balcon, des matelas disparus, des toilettes bouchées et des effets personnels entassés dans des sacs de poubelle. L’électricité, le chauffage et l’eau étaient revenus, mais il règne dans l’immeuble un désordre total.
«C’était comme si on avait tout fait pour nous chasser, pour s’assurer qu’on ne revienne pas», se désole un des locataires sur place, qui préfère garder l’anonymat par crainte de représailles.
Un des locataires s’est improvisé un lit à partir d’une des portes arrachées d’un des logements. (Photo : Le Courrier du Sud – Michel Hersir)
Certains locataires ont dû forcer l’entrée dans les logements; d’autres y ont eu accès après qu’un employé de la propriétaire de l’immeuble ait débarré les portes, sans toutefois leur donner une clé.
Ainsi, n’importe qui peut accéder aux appartements en ce moment.
«Je garde mes effets personnels dans ma voiture», indique un des locataires, ne se sentant pas en sécurité dans l’immeuble.
Comme pour plusieurs autres, il n’a d’autres choix que d’y rester s’il veut avoir un toit sur la tête.
L’homme qui habite l’immeuble depuis 2016 a pu regagner sa chambre, mais a dû s’inventer un lit à partir d’une porte arrachée d’une chambre adjacente.
Plusieurs se sont installés dans une autre chambre que celle qu’ils avaient initialement, là où les quelques matelas encore sur place se trouvaient.
Le four de ce logement a été retiré du mur et placé sur le balcon. La laveuse ne fonctionne plus également. (Photo : Le Courrier du Sud – Michel Hersir)
La propriétaire se défend
Afin d’expliquer le changement des serrures, la propriétaire Félicita François maintient qu’elle a reçu l’ordre de la Ville de Longueuil de cesser immédiatement l’usage de l’immeuble, défini comme une maison de chambres.
Les logements sont constitués de 4½, subdivisés pour louer plusieurs chambres individuelles.
Mme François ajoute qu’elle ne savait pas que les locataires allaient revenir et qu’elle a placé les matelas dans un camion pour respecter l’avis de la Ville.
Pour sa part, la Ville indique plutôt que, selon la lettre envoyée à Mme François, les correctifs quant à l’usage des maisons de chambre devaient être appliqués «d’ici le 30 juin».
La porte d’un logement du rez-de-chaussée est grande ouverte : les gens, dont l’auteur de ces lignes, ont pu y entrer et constater de nombreux problèmes. (Photo : Le Courrier du Sud – Michel Hersir)
Visiblement éprouvée par la situation, la propriétaire se désolait tout autant que les locataires de l’état des appartements et se défend d’une quelconque responsabilité pour l’état des logements.
Les locataires, invités à la contacter pour récupérer leurs effets personnels, ont été incapables de la rejoindre.
Un immeuble problématique
Les quatre locataires interrogés par le journal avaient d’ailleurs des remontrances à l’égard de l’état de l’immeuble et de son entretien, qui dataient d’avant l’incident des deux dernières semaines.
Parmi celles-ci, le chauffage n’aurait pratiquement pas fonctionné de l’hiver, des insectes comme des punaises de lit ou des cafards seraient présents dans certains logements et la propriétaire entrerait dans les appartements sans en avertir ses locataires.
Plusieurs d’entre eux prétendent d’ailleurs que c’est elle qui a coupé l’électricité et l’eau pour les forcer à quitter leur logement, ce que réfute Mme François, indiquant plutôt que ce sont les pompiers qui ont coupé l’eau parce que les tuyaux étaient gelés.
Plusieurs portes de différents logements ont été arrachées, dont celle de cette chambre. La propriétaire prétend que ce sont les pompiers qui ont défoncé les portes. (Photo : Le Courrier du Sud – Michel Hersir)
Selon le Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL), les policiers sont intervenus à au moins quatre reprises depuis le début de l’année dans l’immeuble, en lien avec «des problématiques visant autant les locataires que le locateur», souligne le sergent Francis Charette.
À la recherche d’une solution
Lorsqu’ils ont été interpellés le 21 janvier, les policiers ont constaté que «certains éléments» pouvaient mettre à risque les locataires et la Ville a jugé l’immeuble inhabitable. Ils se sont entendus avec la Croix-Rouge pour les relocaliser temporairement, au frais de la Ville.
Le SPAL a en outre avisé le service de l’urbanisme de Longueuil et les pompiers afin que des vérifications à propos de la conformité du bâtiment soient faites. Un suivi a également été fait par des policiers RÉSO et la Ville de Longueuil. Le 4 février, l’immeuble a de nouveau été jugé habitable, et donc la Ville ne pouvait plus poursuivre l’aide d’urgence au-delà du 8 février.
Les policiers RÉSO ont donc entrepris des démarches avec le Comité Logement Rive-Sud et l’organisme Réseau d’Habitation Chez Soi, qui ont pris en charge les locataires sans logis.
Au Réseau d’Habitat Chez Soi, on dit travailler «au max» pour trouver des solutions à court terme pour les chambreurs.
«On a essayé de nous évincer de façon cavalière.»
-Jean-François Alix, un des chambreurs de l’immeuble
Le SPAL et la Ville ont indiqué que le dossier relève maintenant du droit civil et que les suivis dans ce dossier doivent se faire par le biais du Tribunal administratif du logement.
Pendant ce temps, ceux qui restent dans l’immeuble se résignent à leur situation.
«Je crois que seule la Croix-Rouge a fait son boulot de façon extraordinaire, déplore un locataire. Elle a donné le temps aux gens qui interviennent d’agir. Deux semaines plus tard, les policiers n’ont rien fait, la Ville n’a rien fait, et les organismes communautaires, ils ont de bonnes intentions, mais aucun moyen.»