Scott-Lasalle: Ancien fleuron longueuillois de la confection de vêtements et de la vente au détail

le lundi 02 mai 2022
Modifié à 0 h 00 min le 28 avril 2022

Collection SHL, série Georges Paré, photographe, no 103, 1945. Retrait d’un poteau devant la raison sociale par infographie, 2022)

75e anniversaire du Courrier du Sud. Dans le cadre de ses recherches sur les différents volets de la vie longueuilloise et à la demande de M. Howard Scott et de sa famille, la Société d’histoire de Longueuil (SHL) poursuit actuellement une recherche sur l’entreprise familiale Scott-LaSalle Company Limited établie à Longueuil entre 1934 et 1979, spécialisée dans la confection de vêtements pour hommes et garçons, d’uniformes et dans le commerce de détail mieux connue du public sous les bannières Bond Clothes et LaSalle, Centre d’économie familiale. 

Hélène Dupuis, historienne, Société d'histoire de Longueuil

Félicitations au Courrier du Sud pour son 75e anniversaire de fondation et grand merci pour sa précieuse collaboration et l’accès à ses archives. Dès les premières parutions du journal et ce, jusqu’en 1979, l’entreprise de Longueuil a régulièrement utilisé les pages publicitaires du journal pour faire connaître toute la gamme de ses produits et sa philosophie commerciale résumée par cette phrase fétiche « Au meilleur prix pour chaque dollar d’achat ». 

De l’Ukraine à Longueuil

Vers 1909-1910, fuyant les pogroms russes, Aaron Tkacz, tailleur de métier, son épouse Sarah (Toulch) et leurs trois enfants quittent l’Ukraine pour venir s’établir au Québec où ils ont déjà de la famille. Durant la traversée, ils adoptent le nom Scott et de nouveaux prénoms pour faciliter leur intégration. Ils choisissent de s’installer au village de Saint-Cyrille-de-Lessard, comté de l’Islet non loin de Saint-Jean-Port-Joli où ils tiendront un magasin général pendant une dizaine d’années leur permettant d’apprendre le français tout en se familiarisant aux us et coutumes locales. 

La famille qui compte dorénavant 8 enfants (5 fils et 3 filles) déménage à Montréal où Henri revient à son métier de tailleur et acquiert un atelier sur le boulevard Saint-Laurent en 1923. Le couple fait progresser l’atelier à l’aide de leurs fils qui entrent un à un au service de l’entreprise familiale spécialisée dans la confection de vêtements pour hommes et garçons. La crise économique de 1929 freine les affaires mais comme tout homme a besoin d’un complet pour « s’habiller propre » au cours de sa vie (mariages, fêtes, offices religieux), l’atelier poursuit ses activités tout en essayant de réduire ses coûts d’exploitation. 

L’inauguration du pont Jacques-Cartier en 1930 incite à la famille à explorer de nouvelles opportunités d’affaires du côté de Longueuil où les logements et les terrains sont moins chers qu’à Montréal, où il n’y a aucune concurrence dans leur domaine et où il y a une abondante main-d’œuvre en quête de travail. Elle jette son dévolu sur le quadrilatère situé entre les rues Guillaume, Saint-Jean, la voie ferrée du Canadien national (l’actuelle piste cyclable) et la rue Saint-Sylvestre. 

On y trouve déjà des écuries et un bâtiment désaffecté, anciennement connu sous le nom de Laiterie Longueuil Dairy qu’Henri Scott achète en 1934. La famille quitte Montréal pour Longueuil en 1935 et entreprend la construction d’une manufacture, la Scott Clothing Company Limited incorporée en 1936 qui s’affiche sous le nom de Bond sur l’édifice. En ces temps difficiles et face à un taux de chômage très élevé, le Conseil municipal accueille favorablement l’établissement d’une nouvelle manufacture et offre un congé fiscal de 10 ans aux dirigeants à titre d’encouragement. 

Un nouveau tissu en fibres synthétiques peu coûteux commercialisé par la Celanese Canada Ltd remplace la doublure de soie utilisée antérieurement pour les complets. Une idée novatrice viendra aussi mettre de l’eau au moulin soit le développement de points de vente québécois et pancanadiens sous le modèle de franchises à l’enseigne Bond Clothes. La famille Scott exige des détenteurs de boutique que les complets vendus sur mesures soient confectionnés exclusivement à la manufacture de Longueuil. 

Des complets et des uniformes

La Deuxième Guerre mondiale (1939-1945) change complètement la donne. Épaulant la firme Clayton & Sons de la Nouvelle-Écosse, Scott Clothing Co Ltd entre dans l’univers de la confection d’uniformes pour l’armée. Une mine d’or ! Au final, la manufacture aura confectionné 285 963 pièces de vêtements militaires pour le Gouvernement fédéral pour la somme de 1 249 143$ entre 1942 et 1946. Suivront d’autres contrats pour l’armée, puis des uniformes de pompiers, policiers, ambulanciers, gardiens de prison, employé-es d’Air Canada, d’Expo 67 et combien d’autres corps qui se distinguent par leurs costumes respectifs. Déjà, la manufacture de Longueuil qui comptait 400 employé-es en 1947, voit ce chiffre grimper au plus fort jusqu’à 1 997 employé-es en 1970. 

Les tâches manufacturières exigent une main-d’œuvre spécialisée et bien formée composée de marqueurs, de tailleurs, de couturières, de presseurs, d’expéditeurs et combien d’autres. L’embauche ne nécessite aucune « petite annonce » dans le Courrier du Sud, média utilisé par ailleurs pour fins publicitaires, c’est le bouche-à-oreille qui fonctionne le mieux pour le recrutement. Les générations familiales se succèdent, on y trouve même un conjoint ou une conjointe, les étudiants y travaillent l’été. Selon plusieurs témoignages, « On formait une grande famille ».

 
     (Rapport annuel Scott-LaSalle Ltd, 1966, couvert verso intérieur) 


De Bond Clothes Shops à Lasalle, centres d'économie familiale

Revenons à la période d’après-guerre, un des dossiers sur lequel se penche Jack Scott de la direction, est de trouver quoi faire avec les invendus ou les retours qui s’engrangent au sous-sol. Lors d’une visite chez un manufacturier new yorkais, il adhère à la solution américaine des ventes d’entrepôts, soit d’ouvrir la manufacture les jeudis et vendredis soir et le samedi pour offrir les « invendus » à très bon prix compte tenu que le dépôt initial est déjà encaissé. À son retour, il propose l’idée à son équipe de gestion s’interrogeant où tenir cette vente? On lui répond : « Dans la salle en bas, la cafétéria ne servant que le jour, on peut facilement la transformer en entrepôt les soirs et le samedi ». L’idée est acceptée et aussitôt concrétisée par ce concept novateur des « ventes d’entrepôts » qui sera largement publicisé et qui est encore si populaire de nos jours.  

En entrant dans l’entrepôt-cafétéria, la clientèle n’était séparée des ateliers que par des baies vitrées, elle comprenait sur le champ pourquoi les prix étaient si bas, tout simplement parce qu’elle achetait directement du manufacturier, sans flafla ni intermédiaires.  L’enrichissement de la population après la guerre, la croissance démographique du baby-boom, les faibles taux d’intérêt, la naissance d’une importante classe moyenne et l’installation des familles en banlieues ont offert une occasion exceptionnelle à l’entreprise de se développer à travers tout le Québec et ailleurs.  

Au cours des années 1950, Bond Clothes Shops avait axé son offre commerciale sur les complets pour hommes, tailleurs pour femmes, manteaux incluant les fourrures, les tissus et les accessoires complémentaires. 

L’année 1959 marque un tournant soit l’entrée de plein pied dans le commerce de détail. Les dirigeants délaissent le logo Bond pour celui de LaSalle dans leurs publicités tel que montré ci-bas et développent peu à peu, la chaîne de magasins « LaSalle », véritables centres d‘économie familiale dont le cœur se situe au 210, rue St-Jean. 


(Source : Courrier du Sud, 30 avril 1959, p.8, vol. 13A.)


À partir de ce moment, à l’offre vestimentaire traditionnelle s’ajoute graduellement tout ce dont on a besoin dans une maison et à l’extérieur :  mobilier pour chacune des pièces, tapis, téléviseurs, appareils électroménagers, petits appareils électriques, caméras, stéréos, vêtements pour fillettes, robes, jouets, souliers, décorations, bicyclettes, tout pour le camping, le ski, le golf, tout pour la cuisine et pour recevoir, etc…

Les années 1950 et 1960 et le début de la décennie 1970 constituent l’âge d’or de l’entreprise entrée à la Bourse de Montréal en 1962 sous le nom administratif de Scott-LaSalle Company Limited et qui comptera jusqu’à 70 succursales de vente. Depuis les années 1965 et sous l’impulsion d’Howard Scott de la 3e génération de la famille, les nouveaux magasins sont le plus souvent intégrés à des centres d’achat de tailles variées ayant à un bout un magasin LaSalle et à l’autre, un supermarché alimentaire tels que Steinberg, IGA ou Dominion. Les ventes et les revenus augmentent constamment comme le démontrent les résultats de 1965 et ceux de 1978 passant de 17 millions$ à plus de 67,5 M$.  

La multiplication des problèmes au cours des années 1970-1980 aboutissent finalement à une déstabilisation économique mondiale marquée par la crise du pétrole, l’inflation galopante et la flambée des taux d’intérêts. Ces phénomènes génèrent un impact négatif sur les industries et la compagnie Scott-LaSalle Company Limited n’y échappe pas. S’ajoute localement une concurrence féroce des magasins à rabais (Miracle Mart, Bonimart, Zellers, Woolco etc.). De plus, les goûts vestimentaires changent, le complet-cravate et les fourrures ont de moins en moins la cote, la mode désinvolte du « flower power » s’impose et de nouveaux centres commerciaux plus luxueux attirent la clientèle. 

N’envisageant pas de changer ses façons de faire, l’entreprise maintient son modèle traditionnel dans un contexte économique néfaste lequel, en bout de compte, entraîne sa faillite en 1979 puis la fermeture et la dissolution d’une entreprise pionnière florissante dans le monde de la confection des vêtements et le commerce de détail, la perte d’un fleuron manufacturier pour Longueuil, la fin d’une saga exceptionnelle de 70 ans pour la famille Scott et malheureusement, la mise à pied de 1 400 personnes. 

Dans le cadre de son 50e anniversaire, la Société d’histoire de Longueuil publiera cet automne (2022) un Cahier d’histoire comportant l’intégralité de la recherche de Mme Hélène Dupuis sur l’entreprise Scott-LaSalle. Elle souhaite rencontrer et faire des entrevues avec des personnes qui auraient travaillé chez LaSalle.  On peut rejoindre la SHL par la messagerie téléphonique au 450 674-0349 ou par courriel à info@societedhistoirelongueuil.com
 
 

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