Actualités
Éducation

Des enseignants à bout de souffle

le mardi 20 avril 2021
Modifié à 14 h 45 min le 21 avril 2021
Par Geneviève Michaud

gmichaud@gravitemedia.com

Ils sont tous enseignants sur la Rive-Sud, certains au primaire, d’autres au secondaire. Ils sont tous passionnés par leur métier, qu’ils exercent depuis 10, 15 ou même 20 ans. Ils ont tous à cœur la réussite de leurs élèves. Et tous, sans exception, sont épuisés par le manque de ressources, les ratios de plus en plus élevés et la tâche qui ne cesse de s’alourdir. À LIRE AUSSI : « Ça prend de vrais investissements dans l’éducation et dans les ressources » Au cours des dernières semaines, Le Courrier du Sud a pu s’entretenir avec cinq enseignants de la Rive-Sud, qui ont tous souhaité garder l’anonymat. Pour le bien de l’article, nous les appellerons Mmes Sophie, Julie, Mélanie et Catherine et M. Patrick (noms fictifs). Plus d’élèves, moins de ressources Alors que les ratios de classe sont de plus en plus grand, les enseignants rencontrés déplorent tous le temps et les ressources qui sont insuffisants pour leur permettre de bien effectuer leur travail. «On ne cesse de nous rajouter des tâches supplémentaires, lance d’entrée de jeu Mme Mélanie. Il y a deux ans, on a par exemple ajouté l’éducation à la sexualité à notre programme. Il a donc fallu trouver du temps pour ça en classe, se former sur le sujet, préparer les cours, etc.» «Et on ne fait pas juste enseigner et corriger, poursuit-elle. On siège à des comités, on met en place et exécute des plans d’intervention, on effectue des suivis, on organise des rencontres avec les parents, etc. On doit aussi remplir beaucoup de documents, entre autres pour les élèves à besoins particuliers.» Toutes ces tâches viennent amputer le temps que les enseignants peuvent consacrer aux élèves. «C’est difficile pour nous de voir que plus les élèves progressent dans leur scolarité, plus les écarts entre eux s’agrandissent, déplore Mme Sophie. Et on manque de temps pour s’occuper des élèves en difficultés. Pourtant, si on est allé en enseignement, c’est qu’on a à cœur la réussite de chacun!» Les enseignants se retrouvent parfois à devoir faire des choix et à venir en aide aux élèves dont les besoins sont les plus pressants. «Mais faire des choix quand on parle d’élèves, ce n’est pas normal!» s’insurge Mme Julie. «On se retrouve ainsi avec ce qu’on appelle dans le milieu des «élèves popcorn», soit des cas problèmes qui explosent et qu’on ne peut pas aider parce qu’on n’a pas les ressources», ajoute Mme Catherine. Absence de classes et services spécialisés Outre le ratio élevé des classes, l’intégration de plusieurs élèves à besoins particuliers dans l’enseignement régulier et le manque de ressources adéquates pour les aider vient compliquer la donne. «Certains élèves auraient dû doubler une année ou être placés dans des classes spécialisées, mais ces classes n’existent plus ou ne sont pas en nombre suffisant, déplore Mme Sophie. Ces élèves ont diverses problématiques comme un trouble du spectre de l’autisme, des difficultés d’attachement ou autres qui viennent compliquer l’apprentissage.» «Mais moi, j’ai un BAC en enseignement régulier, pas en adaptation scolaire», ajoute-t-elle.

«En plus d’être enseignante, je dois être infirmière, technicienne en éducation spécialisée, psychologue…»  

– Mme Catherine

Tous s’entendent ainsi pour dire que les ressources en éducation spécialisées sont insuffisantes. «Ce n’est pas simplement le nombre d’élèves par classe qui fait une différence, précise Mme Julie. L’an prochain, j’en aurai 32, mais combien seront à besoins particuliers? Avant, ces élèves comptaient pour plus que 1 dans le calcul des ratios, mais ce n’est plus le cas maintenant.» Attraction et rétention de la main-d’œuvre Selon les enseignants rencontrés, les conditions de travail actuelles ne sont pas propices à attirer ni même retenir le personnel, qui manque gravement à l’appel. «Le salaire et les conditions ne sont pas attirants pour les nouveaux, soutient Mme Sophie. Certains qui ont toujours voulu enseigner en sortent après quelques années seulement parce qu’ils sont désabusés du système et tannés de ne pas pouvoir aider les élèves.» Cette pénurie de main-d’œuvre a mené à l’embauche de plusieurs enseignants non légalement qualifiés pour combler les postes vacants. Un bien petit pansement pour une grande plaie. «Ce sont tous des gens compétents dans leur matière respective, mais ce ne sont pas des pédagogues, explique Mme Julie. Et ça veut dire que les autres enseignants et les membres de la direction doivent donner de leur temps pour les aider.» «Le nombre de non légalement qualifiés qui enseignent actuellement envoie le message que n’importe qui qui a son diplôme d’études secondaires peut enseigner, ajoute Mme Catherine. Quel message ça envoie au sujet de mes qualifications, moi qui ai fait un BAC de quatre ans? Ça m’insulte!»    

La pandémie a compliqué une situation déjà difficile

Si la pandémie a eu un impact sur l’ensemble des travailleurs, les enseignants ont vu leur quotidien déjà difficile être complètement chamboulé, en mars 2020. «Au début, malgré la bonne volonté des Centres de services scolaire, l’aide était quasiment inexistante, si bien que tout le travail est retombé dans les bras des enseignants, parce qu’ils étaient le contact avec les familles», rappelle Mme Mélanie. Et la pandémie n’a fait que creuser le fossé entre les élèves qui réussissent et ceux qui sont en difficulté. «Toutes les inégalités ont été exacerbées par la pandémie, déplore Mme Sophie. Les élèves qui n’avaient pas l’attention de leurs parents avant ne l’ont pas plus maintenant. Leurs parents ne sont pas devenus des parents modèles du jour au lendemain.» Qui plus est, les élèves en situation précaire n’ont pas tous accès à un ordinateur ou à une connexion internet. «Le gouvernement a beau dire qu’il a fourni un ordinateur à tous les élèves, ce n’est pas le cas sur le terrain», soutient Mme Catherine.