PHOTOS ET VIDÉO – Une nouvelle vie pour le Piper Aztec C GNMA
Le Piper Aztec C GNMA dans sa nouvelle demeure (Photo : Gracieuseté – Pierre-Oliver Dubois)
Si ses belles années dans les nuages sont derrière lui, le Piper Aztec C GNMA n’a pas pris sa retraite pour autant! Grâce à l’enseignant de l’École nationale d’aérotechnique (ÉNA) Serge Rancourt, à l’ingénieur du Centre technologique en aérospatiale (CTA) Pierre-Olivier Dubois et au travail de 75 étudiants, l’appareil ravira désormais les plongeurs, à 95 pieds sous les eaux de la Carrière Flintkote, à Thetford Mines.
Selon Pierre-Olivier Dubois, chef du secteur Robotique et automatisation au CTA, c’est une combinaison d’opportunité et de pandémie qui a permis de transformer un des 38 appareils de l’ÉNA en attraction de plongée sous-marine.
«Je plonge beaucoup avec mon frère aux États-Unis et en Ontario mais avec la pandémie, on se demandait ce qu’on allait pouvoir faire comme plongée en 2020», raconte-t-il au Courrier du Sud.
Étant à la recherche d’un défi et sachant que l’ÉNA, manquant d’espace dans ses hangars après avoir reçu un nouvel appareil, devait se départir d’un Piper Aztec, une idée a commencé à germer dans sa tête de Pierre-Olivier.
Quelle ne fut pas sa surprise, lorsqu’il a approché le directeur de l’ÉNA Pascal Désilets avec son projet d’immersion de l’avion comme site de plongée, d’apprendre qu’il était le deuxième à en faire la proposition. Également plongeur depuis plusieurs années, l’enseignant en Techniques de maintenance d’aéronefs de l’ÉNA Serge Rancourt avait en effet eu la même idée!
Les deux hommes ont rapidement obtenu l’accord de Pascal Désilets pour aller de l’avant avec leur projet, mais à condition d’impliquer les étudiants.
426 heures de préparation
Élaboré en juin 2020 et lors de divers échanges au cours de l’été et de l’automne, le projet, baptisé ÉNA H2O, a démarré concrètement en janvier 2021.
Sous la supervision de Serge Rancourt, une centaine de personnes, dont 75 étudiants des trois programmes de l’ÉNA – maintenance d’aéronefs, avionique et génie aérospatial –, ont procédé au démantèlement de l’avion, à sa décontamination, au recyclage des composants n’étant plus utiles, au remontage de l’appareil, à sa préparation pour la livraison et à son réassemblage avant l’immersion. Chaque composant a ainsi été nettoyé du pétrole, du carburant et de la graisse qui le recouvraient, afin de pouvoir être immergé sans contaminer l’environnement.
Toutes ces tâches auront requis 426 heures de travail, échelonnées sur 12 semaines de la session d’hiver 2021 de l’ÉNA.
Photogrammétrie
Si le choix de la Carrière Flintkote s’est rapidement imposé comme site de plongée, en raison entre autres de la transparence de ses eaux et du fait qu’on y retrouve déjà plusieurs objets submergés, trouver l’emplacement idéal pour l’avion et prévoir son immersion s’est avéré tout aussi crucial que la préparation de l’appareil.
Au cours de l’année, Pierre-Olivier Dubois et son frère Marc-André ont donc effectué plusieurs plongées de reconnaissance afin de trouver l’emplacement idéal où déposer l’aéronef, soit un palier situé à 95 pieds de profondeur. L’avion a été placé sur le bord d’une falaise, avec l’aile gauche dans le vide.
«Comme l’avion a une largeur de 36 pieds, toute une stratégie a dû être élaborée afin de simuler les étapes nécessaires à son immersion», explique Pierre-Olivier.
Le relief du fond de la carrière a ainsi été reconstitué en 3D grâce à une technique de photogrammétrie consistant à prendre une série de photos à différents angles puis à les traiter à l’aide d’un logiciel spécialisé. Des photos prises avec un drone ont permis d’utiliser la même technique pour recréer l’espace tout autour de la carrière. Un système de numérisation à base de lumière structurée a quant à lui été utilisé pour créer un modèle 3D de l’avion.
À l’aide d’un logiciel de simulation, ces modèles ont permis de prévoir avec précision chaque étape de l’immersion.
Délicate opération de sabordage
Le 30 mai, après un périple d’environ 225 km – sur une remorque assez large et capable de supporter une charge de 1200 livres – le Piper Aztec est arrivé à la Carrière Flintkote. Une fois sur le site, l’avion a été déplacé à l’aide d’une grue de 65 tonnes placée sur le bord de la falaise.
L’équipe a travaillé avec l’instructeur technique Stéphane Sénécal pour toutes les opérations d’immersion de l’appareil.
«C’est avec lui qu’on a mis sur pied le plan de sabordage, explique Pierre-Olivier Dubois. Notre stratégie était que la charge soit sécurisée en tout temps de trois façons, soit par une grue, par un sac de levage fixe à la surface et par un sac de levage sous l’eau.»
«Quand on descend une charge comme ça dans l’eau avec un sac de levage, à chaque 30 pieds, on ajoute l’équivalent du poids d’une atmosphère, poursuit l’ingénieur. Il faut donc ajouter de l’air au sac de levage pour garder la flottabilité. Si on en ajoute trop, la charge remonte de façon exponentielle et si on n’en ajoute pas assez, on descend trop vite. Dans le cas d’une descente trop rapide, le sac de levage à la surface aurait bloqué la charge.»
Pour que l’avion ne se déplace pas horizontalement lors de la descente, l’équipe a utilisé des cordes accrochées à des tiges datant de l’exploitation minière comme guides.
Malgré quelques manipulations supplémentaires pour placer l’avion exactement au bon endroit, l’opération de sabordage s’est très bien déroulée, se réjouit Pierre-Olivier Dubois.
(Photos : Gracieuseté – ÉNA et Pierre-Oliver Dubois)
«On est extrêmement satisfaits! Ç’a été beaucoup plus rapide qu’on pensait : le levage a pris 15 minutes plutôt que 30 et alors qu’on prévoyait une heure pour la descente, ça ne nous a pris que 7 minutes! Tout dans l’opération était un highlight, mais cette descente-là a passé très vite; je n’ai rien vu!» lance-t-il en riant.
Bien qu’elle ait sécurisé l’appareil en place par des câbles d’ancrage en acier, l’équipe n’a pas de grandes craintes que l’avion se déplace au fil du temps, ni qu’il se dégrade.
«La masse des gens dans l’eau est très faible alors, ça prendrait énormément de force pour déplacer l’avion, même s’il est lui aussi plus «léger» dans l’eau – soit environ 750 livres versus ses 1200 livres sur terre, explique Pierre-Olivier. Et un avion en aluminium comme ça, sous de l’eau douce, n’a peu ou pas de risques de dégradation.»
«Mais je compte quand même plonger pour aller le voir chaque année», conclut-il.
Pour visionner toutes les capsules vidéos du projet ÉNA H20 : https://www.youtube.com/playlist?list=PLHQmAh4JAm_NtpzrCJWD_g7tpCzp1HHvW.
Le Piper Aztec C GNMA, une histoire de famille
Construit en 1961, le Piper Aztec C GNMA est parti d’Oklahoma City pour se rendre à Vancouver en 1974, puis au Québec en 1987. Il a amorcé sa carrière d’outil pédagogique en 1992, lorsque Claude Michaud en a fait don à l’ÉNA.
C’est pourtant sans connaître cette histoire que le jeune Samuel Michaud, petit-fils de Claude, s’est inscrit au programme de Techniques de maintenance d’aéronefs de l’ÉNA en 2018.
«Il me l’a appris quand je me suis inscrit», se remémore l’étudiant, en entrevue au Courrier du Sud.
L’immersion du Piper Aztec, en plus de souligner le 60e anniversaire de l’appareil, est donc également devenue une belle façon pour l’ÉNA de rendre hommage à son dernier propriétaire. Ce printemps, l’établissement a ainsi remis à Samuel les clés et le logbook de l’avion – registre de toutes les heures de vol réalisées.
Samuel Michaud et le directeur de l'ÉNA Pascal Désilets (Photo : Gracieuseté – ÉNA)
«Mon grand-père nous a quittés l’an dernier et ça m’a marqué; j’étais très près de lui, raconte le jeune homme. Avec cette nouvelle vie pour son avion, ça l’immortalise en quelque sorte.»
Samuel Michaud était prédestiné pour évoluer dans le monde de l’aviation.
«Je passais beaucoup de temps avec mon grand-père, qui a toujours eu l’aviation comme passion – il avait entre autres fondé une école de pilotage à l’aéroport de Saint-Hubert. En plus, mes deux parents sont pilotes alors, je n’ai pas vraiment eu le choix d’aimer ça!» lance en riant celui dont le plan de carrière est également de devenir pilote.
Pourquoi, alors, s’être inscrit en Techniques de maintenance d’aéronefs à l’ÉNA plutôt que dans une école de pilotage? «Mon grand-père me disait toujours que les meilleurs pilotes sont ceux qui connaissent la machine.»
S’il n’a jamais fait de plongée sous-marine, Samuel compte bien s’y mettre pour pouvoir rendre visite au Piper Aztec dans sa nouvelle demeure. «Ça me donne une bonne raison d’essayer la plongée!» conclut-il.