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Santé

32 heures sur la table d'opération: record pour l'hôpital Charles-Lemoyne

le mardi 20 novembre 2018
Modifié à 11 h 05 min le 20 novembre 2018
Par Katherine Harvey-Pinard

kharvey-pinard@gravitemedia.com

COURAGE. En octobre dernier, Dominic Mullin a participé bien malgré lui à un record à l’hôpital Charles-LeMoyne, alors que trois chirurgiens se sont relayés pendant 32 heures pour lui retirer une tumeur rare qui s’était logée dans son cou. Une énorme épreuve pour toute la famille. Dominic Mullin avait des douleurs au cou depuis quelques années. «Je n’en pouvais plus», lance-t-il en entrevue. Après avoir essayé sans succès l’acupuncture, la massothérapie, la chiropratique, l’ostéopathie, les relaxants musculaires et autres techniques, il a rencontré son médecin de famille, qui lui a proposé de passer des radiographies. À partir de là, tout s’est enchaîné en peu de temps. «Elle nous rappelle et dit: on a les résultats, viens nous voir et ne viens pas seul, se souvient Catherine Giguère. Ça sentait le cancer à plein nez.» Le 29 juin, Dominic se rend à l’hôpital Charles-LeMoyne pour consulter un neurochirurgien et passer de nombreux tests. Le diagnostic tombe: il a un chordome, une tumeur dans le cou. Il s’agit d’un cancer très rare. «Je n’ai pas eu d’émotion sur le coup, se souvient-il. Je suis resté neutre. J’avais un sentiment de sécurité aussi parce qu’il [le neurochirurgien] savait de quoi il parlait.» De ce moment jusqu’au jour de son opération, il a porté un collier cervical en permanence, mais n’avait pas de douleurs et se considérait «fonctionnel à 100%». Prendre une décision Les neurochirurgiens lui expliquent ses options pour l’opération. Dominic opte pour que la tumeur soit entièrement retirée. «C’est difficile de prendre une décision. Tu te demandes si tu as entendu tout ce qu’il y avait à entendre ou s’il y a un risque qu’on n’a pas calculé. Jusqu’au moment de l’opération, je suis resté incertain», avoue l’homme de 41 ans. «Mon ORL [otorhinolaryngologiste] Dr Pierre Larose m’a demandé de lui donner carte blanche parce que si j’étais réticent, ça pouvait mal tourner. Si je n’avais pas voulu la bonne chirurgie, que j’avais voulu moins, je n’aurais peut-être pas eu de qualité de vie sur une longue période.» Chez sa conjointe naissent toutes sortes de questionnements. «Tu te dis: est-ce que je vais être pognée pour placer mon mari? Est-ce que je vais être pognée pour rester toute seule avec deux enfants? relate-t-elle, des sanglots dans la voix. Tu te dis aussi: ils n’enlèveront pas tout, ce n’est pas vrai!» Jour J Le 4 octobre, trois mois après avoir appris la présence de la tumeur dans son cou, Dominic se rend au CHUM pour une embolisation, une manœuvre qui consiste à bloquer une artère proche de la tumeur afin d’éviter qu’elle ne saigne et, du même coup, de rendre la chirurgie plus facile. Il est ensuite transféré à l’hôpital Charles-LeMoyne pour l’opération. «On essayait que ce soit le plus normal possible. Je ne voulais pas arriver là-bas stressé. J’étais prêt, j’avais toute l’information. Ils m’ont très bien expliqué comment ça allait se passer.» Malgré tout, une petite crainte demeure. «Il a fallu que quelqu’un me dise quelque chose pour que je décroche. C’est l’anesthésiste, Dre Pellerin, qui m’a rassuré. Elle avait des taches de rousseur et j’y voyais une carte du ciel; c’était rassurant!» Dominic passe 32 heures sur la table d’opération. Pendant ce temps, Catherine retourne à la maison. «Les médecins m’ont dit: ne vient pas à l’hôpital, reste chez vous. Ils s’attendaient à une opération de 24 heures. Ils m’ont dit qu’ils allaient me texter s’il y avait un problème.» Alors qu’elle soupe avec une amie, le Dr Larose lui lâche un coup de fil pour lui dire que tout se passe bien; elle pleure de joie. «J’ai bien dormi, admet-elle. Je sentais qu’il était correct.» L’après Dominic sort de la salle d’opération le 5 octobre aux alentours de 14h30. Il ouvre les yeux vers 19h30. «J’étais dans l’incompréhension. Il fallait que je réalise que j’étais revenu à la réalité.» Il passe sept jours aux soins intensifs, durant lesquels il est victime d’hallucinations en raison des narcotiques qu’il doit prendre. «Je ne faisais pas le lien entre ce qui était réel et ce qui ne l’était pas. Suis-je mort ou réveillé?» Qui plus est, il ne peut pas parler en raison de sa trachéotomie. Il doit écrire dans un cahier pour communiquer. Les médecins prévoyaient que Dominic resterait à l’hôpital pendant deux mois. Il a finalement quitté seulement 20 jours après l’opération, «sans complications notables et à pied», selon le neurochirurgien Dr Philippe Martel. «À un moment donné, je me suis dit que ça allait être trop long, se souvient Dominic. Donc, ma tête s’est mise à pousser mon corps à guérir plus vite.» Positif Au moment de son entrevue avec Le Courrier du Sud, exactement un mois après son opération, Dominic n’avait pas de sensibilité à son oreille gauche, son épaule gauche et son avant-bras, mais tout devrait revenir avec le temps, selon les médecins. Il a deux cicatrices, une qui traverse son cou d’une oreille à l’autre, l’autre à l’arrière de sa tête. Et il a toujours le sourire aux lèvres. «Les chances de récidives sont toujours présentes, comme dans tous les cancers. Seul l’avenir peut le dire», affirme le Dr Martel. Mais Dominic ne s’en fait pas trop avec ça. «Je sais que je suis suivi», affirme-t-il, avec tout le positivisme qui le caractérise. Il est évidemment fort reconnaissant envers son médecin, qui lui a sauvé la vie. «Je l’ai félicité à maintes reprises pour son travail», confie-t-il. Selon lui, cette difficile épreuve lui a permis de mieux se connaître. «Ça n’a pas changé ma vie; ç’a peut-être mieux défini qui je suis. Quand on est jeune, on essaie de connaître notre personnalité et nos forces… Moi, je viens de les apprendre. Je viens d’apprendre qui je suis», conclut-il, émotif. Protéger les enfants Dominic Mullin et Catherine Giguère ont deux fils, Esteban, 12 ans, et James, 9 ans. Comment leur annoncer la mauvaise nouvelle, que leur père souffre d’un cancer? «Ça ne s’explique pas», croit Dominic. «Ils vont dans une petite école et leurs deux meilleurs amis ont perdu leur maman à cause du cancer, l’an dernier, à Noël, mentionne la mère. Nous, en juin, on apprend que le chordome est un cancer… On n’a pas dit ce mot! On a plutôt dit: Papa a bobo dans le cou!» Esteban et James ne s’inquiétaient pas trop de la situation. «Ils disaient “Ah, c’est pas cool” et “Papa va aller à l’hôpital et il va se faire réparer”, relate la femme de 39 ans. On aurait géré ensuite s’il y avait eu des complications.»

Un record et une fierté pour l'hôpital Charles-Lemoyne

L’opération de Dominic Mullin est officiellement la plus longue de l’histoire de l’hôpital Charles-LeMoyne. Elle est aussi la plus longue en carrière du neurochirurgien spinal Dr Philippe Martel. Le type de cancer qu’avait Dominic Mullin, un chordome, est particulièrement rare, explique le Dr Martel. «Le chordome est une tumeur primaire de la colonne, explique le neurochirurgien. Elle est formée de structures embryonnaires qui grandissent mal et se transforment en cancer primaire de la colonne. C’est un cancer local; il reste à un endroit et il grandit.» «Il y a trois endroits majoritaires où il se développe. Le cou est le plus rare des trois», précise le Dr Martel. L’opération nécessaire dans le cas d’un chordome au cou est une «résection en bloc». «Ça consiste à ne jamais violer la tumeur. On tourne autour d’elle et on la libère millimètre par millimètre. Ensuite, on peut l’enlever en bloc.» Si Dominic avait refusé l’opération, il y aurait eu danger de paralysie progressive. «La tumeur grossit au fil du temps et la moëlle, qui est juste derrière, va éventuellement se comprimer. Le patient subira une paralysie progressive», affirme le Dr Martel. Une opération de ce genre amène également d’autres dangers. «On passe par plusieurs accès chirurgicaux, mentionne-t-il. Il y a plusieurs structures nobles dans le cou qu’on peut potentiellement léser, comme les voies respiratoires, les artères, les nerfs.» Si une ou plusieurs structures passent dans la tumeur, le chirurgien doit prendre des décisions importantes. «C’est là qu’est l’art de la chirurgie; de savoir jusqu’où aller pour ne pas causer des déficits irréversibles à un patient dans le but de le guérir complètement.» Et qu’est-ce qu’on fait, Dr Martel, en terminant la plus longue opération de l’histoire de l’hôpital Charles-LeMoyne? «On prend une bonne respiration, on est content de l’accomplissement et on fait un long dodo», conclut-il avec le sourire. La préparation C’était la toute première fois que l’hôpital Charles-LeMoyne avait à préparer une résection du chordome. «Toute l’équipe s’est mobilisée pour réaliser ce cas, affirme la directrice des services professionnels du CISSS Montérégie-Centre Inthysone Rajvong. Dans les faits, il y a eu la planification et il y a eu ce qui s’est passé pendant les 32 heures. Il a fallu réaménager le temps opératoire, permettre qu’une salle et que les ressources humaines soient complètement libérées juste pour ce cas. Comme c’était une première, il a fallu bien coordonner. Aujourd’hui, on peut dire que ç’a été un succès.» Au total, trois chirurgiens, dont deux neurochirurgiens, ont eu leur rôle à jouer dans l’opération et se sont relayés. «Un chirurgien qui fait ça pendant 32 heures et ne s’arrête jamais sera fatigué; c’est comme un pilote d’avion, indique le Dr Martel. Il faut qu’on se relaie, qu’on s’aide… Ce n’est pas un one man show, on ne peut pas faire ça tout seul.» Deux anesthésistes ont été au chevet du patient, chacun pour une durée de 16 heures. Il y avait toujours quatre infirmières dans la salle d’opération; au total, l’opération a nécessité quatre quarts de travail, donc la contribution de 16 infirmières. Sans mentionner les physiothérapeutes, ergothérapeutes et infirmières nécessaires pour le suivi post-opératoire. «On n’a forcé personne à participer, les gens étaient enthousiastes à prendre part à une opération de cette envergure. On a donc réaménagé leur horaire», révèle la Dre Rajvong. «Il y a aussi eu des rencontres pour être sûr qu’on était capable de supporter le cas au post-opératoire, précise la directrice des services professionnels. On a impliqué la direction des soins infirmiers et la direction des services multidisciplinaires spécifiquement pour ce cas.» Il faut dire que le Centre intégré de cancérologie de la Montérégie a vu le jour en 2011; l’hôpital avait donc les ressources nécessaires pour prendre soin de M. Mullin. «J’ai été recruté pour la neuro-oncologie, dit le Dr Martel. Le cas du chordome est hors norme, mais des chirurgies pour des cancers de la colonne, on en fait beaucoup maintenant. On est plusieurs chirurgiens spinaux et on développe de plus en plus ce genre de chirurgie.»