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Benoit McGinnis et le défi d’incarner « le père de l’ordinateur »

le mercredi 17 avril 2024
Modifié à 8 h 57 min le 18 avril 2024
Par Ali Dostie

adostie@gravitemedia.com

En incarnant Alan Turing sur scène, Benoît McGinnis se plaît à faire découvrir au public ce mathématicien considéré comme «le père de l’ordinateur» qui, dans les années 1940 et 1950, a lancé les bases de l’intelligence artificielle et a contribué à écourter la Deuxième Guerre mondiale. 

L’acteur interprète le rôle-titre de La machine de Turing, une production du Théâtre du Rideau vert, dont la tournée s’arrêtera au Théâtre Manuvie de Brossard le 24 avril. 

«Dans la pièce de Benoît Solès, on se rend compte qu’on a accès à l’homme, à ses émotions puis à sa vulnérabilité et à tout ce qu’il a vécu. Il y a beaucoup de thèmes intéressants : qu’il soit un surdoué, qu’il ait fait en sorte que la Deuxième Guerre mondiale s’est terminée plus vite, qu’il n’ait pas été reconnu à sa juste valeur, de son vivant», énumère avec enthousiasme le comédien.

Le mathématicien britannique a contribué à décrypter la machine Énigma qu’utilisait l’armée allemande pour transmettre de l’information.

Et pourtant, sa reconnaissance ne fut que posthume, par la nature même des services secrets au sein desquels il évoluait, mais aussi car il était homosexuel; un crime dans l’Angleterre des années 1940.

«C’est intéressant de remettre ça en perspective, de montrer le chemin parcouru depuis ce temps», croit Benoît McGinnis.

Comprendre sa philosophie

La philosophie d’Alan Turing fascine l’acteur. «Il a une façon de penser très intéressante. Pourquoi on ne peut pas penser autrement de ce qu’on a appris? Ce n’est pas aller à l’encontre de tout ce qu’on nous a enseigné, mais mettons que je l’applique autrement... Il a une intelligence qui le pousse à aller plus loin.»

(Photo : Gracieuseté – François Laplante)

Une belle porte d’entrée pour comprendre le travail de l’homme, alors que les formules mathématiques qu’il a élaborées sont hautement complexes. 

«Le metteur en scène [Sébastien David] me disait : il faut que tu puisses le dire et que tu trouves une manière avec laquelle pour toi, c’est super clair, pour que le public dise "Wow, qu’est-ce qu’il vient de dire!" relate-t-il. Et après, je joue et je fais semblant que je comprends!»

Benoît McGinnis s’est même référé à des mathématiciens pour savoir comment prononcer ces formules où s’alignent lettres, chiffres et symboles.

(Photo : Gracieuseté – François Laplante)

En nuances

Pour celui qui a déjà joué Mozart et Caligula, incarner une personne qui a bel et bien existé dans un passé récent est une première. 

Ne cherchant pas à imiter, Benoît McGinnis a approché Alan Turing un peu comme n’importe quel autre personnage, naturellement teinté par sa sensibilité et sa couleur. La pièce de Solès, romancée, présente aussi un Turing forcément différent de l’homme.

«Pour moi, c’est important de le rendre plus sensible, évoque-t-il. Je ne sais pas s’il était comme ça, mais c’est intéressant d’avoir quelque chose à donner au public, pour qu’il se retrouve là-dedans.»

D’incarner une personne réelle donne surtout une tonne de matériel pour mieux le comprendre, tel que La joie discrète d’Alan Turing, signé par Jacques Marchand. Des témoignages de personnes qui ont connu Turing donnent des indices et des pistes d’interprétation.

«Une femme disait qu’il était super drôle. Il était probablement Asperger ou autiste à un niveau plus faible. Il n’avait pas de filtre, il disait les choses. Il avait une certaine légèreté.»

De la matière pour une interprétation loin de celle du génie reclus et asocial, qui bégaie de surcroît. Cette caractéristique de Turing devait être abordée avec doigté, constate l’acteur. 

Lors des premières lectures, il n’intégrait pas ce tic de langage dans ses répliques. «Et j’ai dit à Sébastien : je pense que pour me sentir plus solide, je vais déterminer les endroits où il bégaie. Et finalement, à force de le faire, ça changeait tout le temps», décrit-il.

Un cadeau

Benoit McGinnis s’est fait offrir le rôle de Turing par les productrices Luce et Lucie Rozon, des Agents doubles. L’acteur est en quelque sorte devenu le point de départ du projet. 

«J’ai eu une certaine carte blanche des productrices qui m’ont dit : si tu as envie de te construire une équipe, ce serait formidable, relate-t-il. Voyons donc! Ça n’existe jamais ce genre de cadeau là!»

Après avoir vu La société des poètes disparus, présenté au Théâtre Denise-Pelletier, il est allé chercher le metteur en scène Sébastien David, avec qui il n’avait jamais collaboré.

Les deux artistes se sont rapidement bien entendus, McGinnis appréciant tant les idées et propositions du metteur en scène que la liberté qu’il lui laissait.

Il partage la scène avec Gabriel Cloutier Tremblay, Jean-Moïse Martin et Étienne Pilon.

(Photo : Gracieuseté – François Laplante)

Susciter la curiosité

Caligula, L’homme-éléphant, Des souris et des hommes, Demain matin, Montréal m’attend, Being at home with Claude, Hamlet, Le vrai monde; Benoît McGinnis a incarné de nombreux grands rôles dans des classiques du théâtre, et il est tentant de croire que son nom dans la distribution d’une pièce s’accompagne d’une certaine attente – du public à tout le moins. 

«Je ne sens pas la pression, mais je trouve que ç’a changé dans les dernières années. Je sens l’excitation des gens et je trouve ça positif. Je me sens choyé, je reconnais tout ça et je l’utilise.»

«Oui, je suis content de la reconnaissance du public… jusqu’à tant que les gens se tannent et m’haïssent!, lance-t-il en riant. Ils vont dire : il était bon jadis, maintenant il est rendu vieux et poche!»

Plus sérieusement, il se réjouit de défendre cette pièce et tant mieux, se dit-il, si son nom contribue à susciter l’intérêt. 
«C’est sûr que le sujet peut être plus pointu, mais c’est super accessible et la plupart me disent que ça leur donne le goût de lire sur Alan Turing. J’aime la curiosité que ça procure.»