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Enfants surdoués : un manque criant de structures adaptées sur la Rive-Sud

le mercredi 22 novembre 2017
Modifié à 15 h 42 min le 22 novembre 2017
Par Sarah Laou

slaou@gravitemedia.com

TÉMOIGNAGES. Des familles ne trouvant pas de ressources pour leur enfant à haut potentiel, il y en a plus d'une centaine recensées par les membres de l'Association Haut Potentiel Québec, fondée en 2012. Et si quelques programmes existent à Montréal, sur la Rive-Sud, c'est le désert. Voir aussi : La seule clinique spécialisée en douance a pignon sur rue à Saint-Lambert La douance reste méconnue d’une grande majorité de professionnels de la santé et de l’éducation Programme spécial pour ados doués à la Commission scolaire Riverside Deux familles de Longueuil membres de l’Association ont accepté de raconter leur quotidien au Courrier du Sud. Le cas de Manolo À 9 ans, Manolo est un petit brun malicieux aux yeux rieurs et au contact facile. Rencontré dans un appartement de l'arr. de Saint-Hubert dans lequel il habite avec ses parents, il répond aux questions avec entrain tout en jouant à son jeu préféré, Minecraft, sur sa tablette. «J'aime ça parce que tout est géométrique, c'est vraiment l'fun!» commente Manolo, très enthousiaste. La géométrie, les sciences, le calcul, il s'y est intéressé dès la garderie, raconte sa mère, Marie-Claude Nantel, qui a dû s'adapter tant bien que mal à la soif insatiable d'apprentissage de son fils. «Il a toujours eu un esprit mathématique, se souvient-elle. Il déchiffrait les chiffres longs à 3 ans, multipliait et lisait facilement à 4 et s'intéressait déjà beaucoup au calcul mental.» Tant est si bien qu'aujourd'hui, Manolo est capable de résoudre des problèmes mathématiques complexes pour son âge. «C'est facile pour moi les maths, mais les arts plastiques et la musique, je n'y arrive pas! Et à l'école, personne ne m'aide et j'y comprends rien!» lance soudain le petit garçon, changeant subitement de visage et fondant en larmes. Plusieurs minutes seront alors nécessaires pour le consoler. Cette hypersensibilité aux autres, aux situations et aux contrariétés, Mme Nantel doit y faire face chaque jour. «Parfois, on ne se rend pas compte que derrière toute cette capacité d'apprentissage, il peut être immature sur d'autres plans, dépeint-elle en faisant référence aux angoisses de son fils. Il se lasse très vite de tout et ne supporte pas les changements. Chaque soir, ce sont des crises d'anxiété ou de colère à la maison. Il a aussi beaucoup de tics. Il pleure souvent pour toutes sortes de petits sujets qui nous semblent anodins car pour lui, c'est une montagne. Il lui arrive de tousser de façon nerveuse et il analyse en permanence les autres. Il s'inquiète de sujets d'adultes, comme savoir si nous avons assez d'argent pour payer telle ou telle chose…», décrit la maman, qui a mis en place une routine sécurisante pour tenter d’apaiser Manolo.
« Est-ce qu’on attend que mon fils développe de graves troubles du comportement avant de l’aider ? » – Marie-Claude Nantel, mère d'un enfant surdoué
«Avoir un enfant à haut potentiel dans un système qui ne le reconnaît pas, je vous assure que c'est difficile, se désole-t-elle ensuite. On a demandé du soutien au CLSC et ce qu'on a reçu, c'est une évaluation du trouble du spectre de l’autisme (TSA) non fondée. Après plusieurs mois d'attente, on commence à avoir l'aide d'une travailleuse sociale, mais personne n'est informé sur la douance.» Mme Nantel et sa conjointe Marie-Hélène travaillent toutes deux dans le milieu de l'éducation et se disent «surprises de voir à quel point la douance n'est pas connue au Québec». «Beaucoup de parents démissionnent car ils ne savent pas comment trouver des ressources adaptées, poursuit Marie-Hélène, qui est enseignante sur la Rive-Sud. Ce n’est pas tout le monde qui a les moyens de payer ou d'aller dans le privé.» Manolo, qui a fait une partie de sa scolarité dans une école internationale montréalaise, fréquente le Collège Français de Longueuil depuis le début de l'année, un établissement privé qui n’est pas parfaitement adapté à sa réalité. «L'argent, on le trouve, mais c'est dur chaque mois, confesse Mme Nantel. C'est un sacrifice que l'on fait parce qu'aujourd'hui, on n'a rien trouvé d'autre et qu’on n'a aucun soutien.» Près de 1500$ ont également été déboursés par les parents pour faire évaluer le profil intellectuel de Manolo. «Lorsque le diagnostic de douance est tombé, j'ai enfin compris qui était mon fils, exprime avec émotion Marie-Claude. Mais il n'est pas un cas prioritaire pour les écoles. Va-t-on attendre qu'il développe de graves troubles du comportement? Aujourd'hui, personne ne s'inquiète de Manolo», lance la mère désœuvrée, qui songe même avec sa conjointe à ouvrir une école adaptée pour les enfants à haut potentiel sur la Rive-Sud. «C'est triste de se dire que la seule façon de l'aider est de bâtir quelque chose de toute pièce», déplore celle qui est pourtant déterminée à trouver des solutions pour son fils. Le cas de Dany Le petit Dany a 5 ans et vit à Longueuil. Déjà, à la garderie, «il ne faisait rien comme les autres et était toujours seul dans son coin», se souvient sa mère, qui a souhaité rester anonyme pour ne pas marginaliser davantage son fils. «Il ne faisait pas ce qu'on lui demandait de faire et on me convoquait tout le temps pour son comportement. On m'avait dit de consulter au CSLC et de voir un psychologue.» La maman a donc consulté plusieurs spécialistes avant de se diriger par elle-même vers l'évaluation du quotient intellectuel de Dany. Le diagnostic de haut potentiel est alors tombé. «Dany avait très hâte de commencer l'école pour apprendre, mais il a vite déchanté, explique ensuite sa mère. Il s'est ennuyé dès le début. Il savait déjà lire et a continué d'être turbulent. Quand j'ai voulu expliquer au professeur et à la direction sa différence, on ne m'a pas prise au sérieux. On m'a dit qu'il avait certainement un TDAH puisqu'il n'écoutait pas les consignes en cours et ne faisait que bouger.»
«Il faudrait des classes et des programmes spéciaux pour les enfants doués, comme il en existe pour les enfants à besoins particuliers. On n'a pas le droit de les laisser sans rien.» - La mère d’un enfant à haut potentiel
À force d'insistance auprès de la direction de son établissement scolaire de la Commission scolaire Marie-Victorin, la maman a finalement obtenu des aménagements pour son fils. On propose désormais à Dany des temps de lecture et une tablette pour faire des exercices de logique. Mais l'enfant a tout de même de grandes difficultés de socialisation. «Mon fils aime les planètes et les trucs scientifiques, explique la maman. Les jeunes de son âge ne s'y intéressent pas et le trouvent bizarre, alors il est exclu. Il reste à la bibliothèque pendant la récréation. Il se sent mal à l'école alors qu'il n'a que 5 ans. Ce n'est vraiment pas facile à gérer...», s'attriste-t-elle. «Je ne veux pas que mon fils finisse par décrocher ou développe des troubles, poursuit-elle. Normalement, ça devrait être une bonne nouvelle d'avoir un enfant plus intelligent que la moyenne, mais ce n'est pas le cas quand rien n'est adapté pour lui. Ça prend toute notre énergie de parent, on vit dans la crainte et l'inquiétude, on se sent seul et impuissant pour l'aider. Et puis, je n'ai pas les moyens de le mettre au privé», explique la mère qui travaille comme agente de paroisse sur la Rive-Sud. La douance, qu'est-ce que c'est ? On définit comme haut potentiel intellectuel, surdoué ou doué un individu ayant un quotient intellectuel (QI) supérieur à 130, soit de 2 à 5% de la population. La douance n’est cependant pas seulement une question de QI, car certaines personnes précoces intellectuellement peuvent obtenir des résultats hétérogènes ou des difficultés aux tests de QI traditionnels. Néanmoins, ces individus ont généralement une plus grande énergie physique et mentale que la moyenne, ainsi qu’un besoin viscéral de comprendre le monde qui les entoure, d’innover, de créer et d’approfondir. Ils ont un développement sensoriel, moteur et langagier précoce, ont moins besoin de sommeil, apprennent plus rapidement et peuvent être volubiles. Ils ont un mode de pensée en arborescence, réagissent vivement à l’injustice, sont perfectionnistes, hypersensibles et empathiques.
Les experts s’entendent pour dire que la complexité développementale des hauts potentiels les place comme étant plus à risque de décrochage scolaire et de désordres émotionnels et sociaux.
De récentes études de l’équipe du Dr Olivier Revol, psychiatre français expert en douance, indiquent que deux profils d’enfants à haut potentiel (HP) existent: le profil homogène, ou laminaire, qui présente un développement cognitif harmonieux ainsi qu'une grande facilité d'apprentissage; et le profil hétérogène, ou complexe, qui a tendance à générer des troubles d’apprentissage, des troubles moteurs ou des troubles du langage pouvant masquer la douance. Leur réussite scolaire est très variable. Les HP homogènes ont été définis comme plus anxieux face à leur vie sociale que les HP hétérogènes, mais plus équilibrés et mieux adaptés. Un enfant surdoué reste donc aussi éloigné et différent de la moyenne qu’un enfant avec une déficience intellectuelle, qui, elle, est reconnue par le ministère de la Santé et des Services Sociaux et le ministère de l’Éducation. L'envers de la douance en chiffres D'après les études sur La dépression existentielle chez les surdoués de James T. Webb, celles du psychiatre Christophe Lançon ou encore de la neuropsychologue Laurence Vaivre-Douret:
  • Les doués peuvent représenter un taux de décrochage trois fois plus élevé que la moyenne
  • De 25 à 50% reçoivent un diagnostic erroné
  • 50% présentent un trouble de l'écriture
  • 57% ont un trouble de l'anxiété
  • De 8 à 10% tiennent des propos suicidaires sérieux avant 12 ans
  • 75% ont vécu au moins un épisode dépressif dans leur vie
Sources: Association québécoise pour la douance et dossier thématique sur la douance du magazine de l'Ordre des psychologues Psychologie Québec, 2017 Rens.: www.aqdouance.org et http://www.hautpotentielquebec.org